Impact de l’intelligence artificielle sur le commerce

L’intelligence artificielle (IA) est en train de révolutionner un grand nombre de secteurs d’activités, dont celui du commerce. En effet, les bénéfices de ce nouvel outil au service du commerce sont indéniables. Mais comme le soulignent certains experts, l’IA présente également des risques qu’il faut maîtriser.

Dans son ouvrage intitulé « Disruption », remarqué par le jury des Prix et Médailles de l’Académie des Sciences commerciales en 2019, Stéphane Mallard démontre, entre autres, que « l’intelligence artificielle suggère une inversion urgente de la vision stratégique des entreprises qui doivent se réinventer pour les consommateurs de demain. Il annonce un monde « où nous serons augmentés par l’intelligence artificielle ». Enfin, comme de nombreux chercheurs, l’auteur affirme que l’intelligence artificielle (IA) « s’installe discrètement dans nos quotidiens ».

L’intelligence artificielle (IA) fait partie du commerce en France qui dispose de remarquables atouts : d’une part, un gros volume de données (“big data“) collectées dans le cadre des achats en ligne et, d’autre part, des réseaux sociaux (voir par exemple communication commerciale et vente via les réseaux sociaux).

Créé par John McCarthy, le terme “intelligence artificielle” caractérise l’élaboration de programmes informatiques capables de prendre en charge des tâches habituellement effectuées par des humains, l’objectif étant de parvenir à transmettre à une machine des fonctions propres à l’humain comme la rationalité, le raisonnement, la mémoire et la perception.

Le concept d’intelligence artificielle est difficile à cerner. Yann Le Cun, chercheur en intelligence artificielle, définit ce concept comme “un ensemble de techniques permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux“.

L’IA a envahi tous les secteurs d’activité dont celui du commerce. Quels en sont les enjeux et les limites ?

1. Les enjeux de l’intelligence artificielle pour le commerce

L’Intelligence artificielle constitue un très bon outil pour la compétitivité et l’innovation dans le secteur du commerce : diminution des coûts en déléguant des tâches répétitives et sans intérêt aux machines (Marin de la Rochefoucauld, 2022), analyse et exploitation des données, optimisation de la stratégie marketing et du ciblage publicitaire, amélioration de l’expérience client… Selon Charles Ollion, co-fondateur et directeur de la recherche Heuritech, « appliquée au commerce, l’intelligence artificielle permet d’analyser un très grand nombre de produits, de prix ou de comportements de consommateurs. Pour ce chercheur, les applications principales au service du commerce sont : 1) la recommandation de produits et la publicité ciblée ; 2) l’amélioration des services pour les clients (agents conversationnels (« chatbots », etc.) ; 3) l’intelligence des marchés et l’analyse des produits.

Comme le déclare Morgan Jerabek, stratège numérique, expert SEO et Web Analytics, « l’IA conquiert de plus en plus les canaux de vente physique et devrait, dans les années à venir, s’affirmer comme un incontournable ». L’IA réinvente le commerce pour répondre aux enjeux du futur !

1.1 L’intelligence artificielle au service du commerce physique

  • Amélioration du parcours d’achat dans les magasins de vente au détail

L’IA dans les magasins de vente au détail va améliorer l’expérience client, aider à la prévision de la demande et à la gestion des stocks.

Concernant l’optimisation de la relation client, l’IA va rationaliser les activités afin d’offrir aux clients des expériences d’achat personnalisées, agréables et sans perte de temps. Une des applications d’apprentissage automatique de l’IA dans le commerce de détail est celle de la vision par ordinateur. Cette dernière va permettre : 1) la fidélisation de la clientèle grâce à l’amélioration de l’expérience en magasin ; 2) l’accélération du processus d’achat à partir de l’analyse des habitudes d’achat des clients ; 3) l’optimisation de l’agencement des rayons ; 4) la facturation automatique des produits pris dans les rayons.

Outre la vision par ordinateur, les enseignes recourent aux robots-guides, aux robots-vendeurs… pour améliorer l’expérience client. Ainsi, en 2016, Darty a accueilli un nouveau vendeur, Pepper, un robot humanoïde créé par SoftBank Robotics afin d’accompagner les clients tout au long de leur parcours d’achat.

S’agissant de la prévision de la demande et de la gestion des stocks, l’IA prédictive va permettre aux commerçants de commander les produits en quantité suffisante pour répondre aux sollicitations de la clientèle, tout en évitant le surstockage qui représente un coût élevé. En d’autres termes, l’IA concourt à la détermination du niveau de stock optimal visant à répondre à la demande sans craindre une rupture de stock, et à la minimisation des dépenses de stockage.

  • L’intelligence artificielle contre les vols en magasin

Avec l’inflation, les vols en magasin se sont multipliés. Une augmentation de 14% des plaintes contre le vol à l’étalage a été observée entre 2021 et 2022 en France. A ces vols à l’étalage, il faut ajouter les vols commis par les employés. Pour lutter contre ce fléau, certaines enseignes ont eu recours à l’IA. Dans les supermarchés par exemple, des caméras intelligentes permettent de repérer les gestes suspects des voleurs. En France, on compte 1 500 magasins qui utilisent l’IA pour lutter contre le vol à l’étalage.

  • Le « smart phygital »

Le concept « phygital » est le terme inventé par l’agence de marketing australienne Momentum en 2013 pour désigner le phénomène par lequel les points de vente physique intègrent les techniques et ressources numériques afin d’assurer le développement de leur activité. Quant à la notion de « smart phygital », elle séduit de plus en plus de consommateurs. Associée à l’IA, elle vise à améliorer encore plus l’expérience client grâce à une anticipation et une analyse des besoins des consommateurs via ses données et ses habitudes de consommation.

  • Optimisation de l’implantation des commerces et la dynamisation des centres villes

Des jeunes pousses (« start-up ») comme MyTraffic[1] se sont lancées dans la revitalisation commerciale des centres villes en mobilisant l’énorme potentiel offert par les mégadonnées et l’intelligence artificielle. Ainsi, des villes comme Arras, qui a vu son taux de vacance diminuer de 17,5% à 8% en deux ans, ont fait appel à MyTraffic pour soutenir leur stratégie de reconquête du centre-ville. Le responsable de la stratégie commerciale d’Arras, Antoine Cornuel, avait déclaré en 2019 que « les analyses de flux de passants avaient donné des arguments pour convaincre les commerçants de ne pas fermer entre midi et 14 heures ». Un autre exemple de recours à MyTraffic est celui de la société de glaces italiennes Amorino qui a souhaité optimiser l’implantation de son réseau. « L’outil MyTraffic nous permet de redessiner le maillage par région », déclare le responsable du développement du réseau Amorino en France ».

1.2 L’intelligence artificielle au service du commerce électronique

  • L’IA est désormais ancrée dans le commerce électronique

Dans un document de recherche intitulé « Artificial intelligence in e-commerce : a bibliometric study and literature review », les auteurs Ransome Epie Bawack et al, définissent l’IA dans le commerce électronique comme « l’utilisation de techniques, de systèmes, d’outils ou d’algorithmes d’IA pour soutenir les activités liées à l’achat et à la vente de produits ou de services sur Internet ».

L’application de l’IA est particulièrement innovante et active dans le secteur du commerce électronique. Pour Martin Rugfelt, directeur marketing d’Expertmaker (société américaine spécialisée dans les logiciels d’intelligence artificielle et d’analyse de mégadonnées (« Big data »), « l’intelligence artificielle entre désormais dans une nouvelle ère et s’apprête à révolutionner le commerce sur internet ».

Pour stimuler le commerce électronique, l’IA offre les dispositifs suivants : 1) l’amélioration de la gestion des stocks ; 2) l’automatisation des publicités en ligne grâce à l’apprentissage automatique ; 3) le facilitateur de recherche en ligne ; 4) les agents conversationnels. D’après une étude d’Ideta[2], « les entreprises souhaitent que l’intelligence artificielle conversationnelle se développe pour continuer d’améliorer leur plateforme de e-commerce » ; 5) la personnalisation de l’expérience client sur tous les canaux ; 6) la détection des fraudes et la diminution des risques financiers ; 7) des conditions de livraison améliorées.

  • Quid des usages de ChatGPT dans le commerce électronique ?

ChatGPT, l’agent conversationnel de l’entreprise américaine OpenAI, fonctionne comme un assistant à qui nous pouvons demander toutes sortes de choses. La technologie sur laquelle est basé ce nouvel outil est celle du traitement du langage naturel (« Natural Language Processing/NLP »). Face aux possibilités offertes par ChatGPT, d’aucuns pensent que ce dernier pourrait révolutionner le commerce électronique.

Les applications de ChatGPT dans le commerce électronique sont nombreuses et portent notamment sur la production de contenu, l’analyse de données et l’écriture de code. Comme l’écrit Jamal El Hassani, journaliste chez LSA, « des fiches produits au service client en passant par les recommandations e-commerce, les applications dans le retail sont légion ». Quelques exemples cités par Jamal El Hassani illustrent les opportunités de ChatGPT : « la création automatisée de contenus et de fiches produits ; optimisation de campagnes de publicité en ligne et du référencement ; automatisation du service client via des chatbots capables de gérer les questions quelle que soit leur formulation ; recommandation de produits ».

Dans un article intitulé « Un directeur marketing remplacé par ChatGPT ? » (février 2023), Jean-Paul Aimetti, professeur émérite du CNAM et président de l’Académie des Sciences commerciales, affirme que « les responsables marketing doivent impérativement utiliser les ressources croissantes de l’IA (dont ChatGPT), formidable instrument d’analyse et de modélisation d’informations gigantesques, mais pour encore longtemps, ils ne pourront être remplacés par ChatGPT ni par tout autre robot ».

  • Impact du métavers dans le secteur du commerce électronique

Voir l’article intitulé « Les enjeux du métavers pour le commerce électronique » (Nadia Antonin, avril 2022) diffusé sur le site de l’Académie des Sciences commerciales.

Si toute technologie est porteuse de progrès, elle présente également des risques et des limites. Quid des défis de l’intelligence artificielle ?

2. Les risques liés à l’intelligence artificielle

2.1 une menace pour l’avenir de certains métiers dont ceux du commerce

L’économiste John Maynard Keynes prévoyait déjà qu’avant la fin du XXe siècle, les emplois aliénants et pénibles seraient détruits par la technologie.

Un rapport récent publié le 26 mars 2023 par Goldman Sachs pronostique que l’IA menacerait environ 300 millions d’emplois à temps plein dans le monde et que l’IA pourrait remplacer un quart du travail actuel aux Etats-Unis et en Europe.

Erwann Tison, Directeur des Etudes de l’Institut Sapiens, met en lumière cinq métiers fortement menacés, ayant déjà connu une forte diminution de leurs effectifs depuis 1986 : employés de la banque et des assurances, employés de la comptabilité, secrétaires de bureautique et de direction, caissiers et employés de libre-service, ouvriers de la manutention.

Cela étant, si certains métiers sont condamnés à disparaître avec l’intelligence artificielle, de nouveaux emplois vont se créer comme ceux de « data scientist », de directeur de la qualité des données (« Chief Data Quality Officer »), de directeur de la transformation numérique (« chief digital officer »), de chercheurs en IA, etc. (voir principe de la destruction créatrice de Joseph Schumpeter).

2.2 Des risques d’atteinte aux données personnelles

« L’IA pose des questions cruciales et nouvelles, tout particulièrement au regard de la protection des données », souligne la CNIL. Pour Alain Bensoussan, auteur d’un projet de charte éthique sur « les droits et devoirs des robots », « en France comme en Europe, les cadres réglementaire et éthique sont inadaptés à ces nouveaux équipements intelligents ».

Un rapport de recherche intitulé « Intelligence artificielle et protection de la vie privée – La perspective des consommateurs », rédigé par Option consommateurs en collaboration avec Maya Cachecho, Ph.D., Sandrine Prom Tep, PhD., Evelyne Jean-Bouchard, PhD. Et Pablo Jose Garcia, démontre d’un côté que « les débouchés de l’IA dans le secteur commercial sont vastes » mais d’un autre côté, il décrit les risques d’atteinte à la vie privée et l’exacerbation des asymétries d’information[3] entre les consommateurs et les commerçants eu égard au traitement souvent opaque des données.

2.3 Un danger pour la cybersécurité

Trois experts américains, Kevin Coleman (National Cyber Security Alliance/NCSA), Elham Tabassi (National Institute of Standards and Technology/NIST) et Tim Bandos (Digital Guardian), ont présenté trois manières dont l’IA et l’apprentissage automatique pouvaient être exploités par les pirates informatiques : l’empoisonnement des données, la technique des réseaux antagonistes génératifs et la manipulation des robots.

Conclusion

Face aux risques engendrés par l’intelligence artificielle, un encadrement s’impose afin de garantir une bonne mise en œuvre de l’IA dans nos sociétés. A cet égard, la Commission européenne a adopté en avril 2021 le projet de réglementation sur l’intelligence artificielle ou Artificial Intelligence Act (AI Act) qui devrait entrer en vigueur d’ici 2025. Par ailleurs, la CNIL a mis en place en janvier 2023 un service de l’intelligence artificielle qui, selon un rapport du Conseil d’Etat de l’été 2022, « doit devenir une des autorités nationales de contrôle responsables de la régulation des systèmes d’IA ».


[1] MyTraffic : jeune pousse spécialisée dans l’analyse de flux de passants.

[2] Editeur de solutions no code qui permettent aux entreprises de concevoir leurs propres agents conversationnels, leurs assistants vocaux (« voicebots »), etc.

[3] Asymétrie d’information : Situation où l’information n’est pas distribuée de façon uniforme entre les parties prenantes.

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