L’actualité des grands magasins : faillites, réduction du parc et licenciements
Durant les trois dernières années, et dans bien des cas avant la pandémie, de nombreux grands magasins dont les enseignes sont souvent plus que centenaires sont :
Condamnées à la faillite : Barney’s, J.C. Penney , J.C. Crew aux États -Unis, Debenhams en Grande-Bretagne, Robinson à Singapour, Onuma au Japon.
Sauvées in extremis comme Neiman Marcus sorti du chapter 11 (loi américaine sur les faillites).
Obligées de réduire leur parc magasin et de licencier. Macy’s aux États -Unis poursuit en 2021 son plan de fermeture (30 magasins en 2021 sur un plan global de 120 magasins), M & S en Grande Bretagne a annoncé 7000 licenciements en 2020, en France le Printemps prévoit 1700 licenciements et la fermeture de quatre Printemps et de trois Citadium. En Espagne, El Corte Inglés prévoit de réduire ou de transformer 25 de ses 99 grands magasins. En Suisse, Manor va procéder à 476 licenciements soit 5% de ses effectifs. En Allemagne, Galeria Karstadt Kaufhoff fermera 51 magasins sur un parc de 172 magasins.
Décidées à abandonner leur activité grands magasins ainsi Globus a été vendu par Migros à Central Group et à Sigma holding pour 900 millions €.
Cette liste assez longue, mais loin d’être exhaustive, montre clairement que la formule grand magasin est condamnée à perdre encore des parts de marché dans le commerce de détail.
Une formule aujourd’hui fragilisée : causes et remèdes
Les grands magasins ont connu leur apogée dans les années 1950-1960.
Ils symbolisaient l’abondance et une offre qui se chiffrait en millions de références. Dans le World of Commerce, un livre d’anglais commercial, on pouvait lire « On trouve tout chez Macy’s depuis une épingle jusqu’à un éléphant. ».
Depuis cette période les grands magasins ont connu certains déboires et les remèdes qu’ils ont appliqués n’ont fait, au mieux, que retarder leur déclin.
Les grands magasins sont à présent dans la phase 4 du cycle de vie des formules de distribution alors que le e-commerce est passé à une vitesse accélérée de « la phase de décollage » à celle de « développement rapide ».
À leur apogée, dans les années 1950, les grands magasins étaient un passage incontournable pour les courses de Noël, pour les achats avant le départ en vacances, pour la semaine du blanc et pour les soldes.
Ils dominaient sans difficulté un commerce spécialisé de petite taille, fait de commerçants isolés qui présentaient souvent des assortiments démodés.
Mais dans les années 1970, après le développement des grandes surfaces alimentaires, apparaissait un commerce spécialisé puissant dans le bricolage, le meuble, le sport, l’électrodomestique et même le jouet.
Progressivement les grands magasins étaient condamnés à supprimer des rayons, incapables de lutter contre des concurrents plus puissants qu’eux dans une catégorie de produits.
La plupart des grands magasins allaient appliquer une stratégie défensive en se recentrant sur le triptyque : mode-maison-beauté.
D’autres investissaient dans la grande distribution alimentaire en créant ou rachetant des enseignes. L’application de ce volet stratégique allait donner des résultats contrastés.
Mais ce recentrage et cette diversification allaient se révéler insuffisants car leur territoire était maintenant contesté par des enseignes textiles qui montaient en puissance comme Zara, H & M ou Uniqlo, plébiscitées par une nouvelle génération de consommateurs pour qui « l’habit du dimanche » était un concept inconnu.
Attaqués de tous les côtés, les grands magasins allaient tenter de réagir en ouvrant des rayons épicerie fine et traiteur, parfois accompagnés d’une restauration avec une carte courte.
Ils allaient réactiver une politique de corner consistant à louer de l’espace à des marques montantes, prestigieuses ou à forte notoriété surtout dans le domaine mode et beauté.
Un autre axe défensif a été de cibler une clientèle étrangère parfois au détriment d’une clientèle locale plutôt âgée.
Le grand magasin est une formule qui ne parle pas aux jeunes plutôt adeptes du e-commerce, du local et des achats d’occasion.
Au début du XXI è siècle la vente en ligne fait son entrée dans l’univers du commerce mais la plupart des grands magasins méprisent cette nouvelle forme de vente ou s’y investissent timidement avec des résultats décevants.
Certains investisseurs sentant le déclin inéluctable des grands magasins revendent, tant qu’il en était encore temps, leurs actions à des nouveaux investisseurs qui pensaient pouvoir mieux faire.
La pandémie : un accélérateur de difficultés
La pandémie a porté un coup qui risque d’être fatal à de nombreuses enseignes de grands magasins, surtout celles qui ne sont pas propriétaires de leurs locaux qui constituent une réserve financière.
Il y avait, avant même la pandémie un trop plein de surfaces commerciales surtout dans les centres commerciaux périphériques.
Les fermetures intermittentes ont rendu plus criantes l’apparition de déserts commerciaux et inutile la course aux plus de m2. Mais la nature ayant horreur du vide les promoteurs ont trouvé de nouveaux clients parmi lesquels les entreprises de e-commerce à la recherche de points relais pour diminuer leurs coûts logistiques.
Le confinement et le télétravail ont très largement favorisé de manière probablement durable le e-commerce et il est peu probable que les grands magasins puissent regagner le terrain perdu car leurs clients habituels ont acquis une plus grande maîtrise du commerce en ligne.
Les marques qui louaient des espaces dans les grands magasins ont été obligées de trouver des stratégies de distribution alternatives et il est peu probables qu’elles reviennent dans les grands magasins, en tout cas dans les mêmes conditions.
Les loyers payés par les grands magasins déjà très (trop) élevés avant la pandémie vont paraître exorbitants lorsque celle-ci sera terminée.
Le cœur de métier du grand magasin, le textile, a été le plus durement touché par le virus avec des baisses, selon les pays et les périodes de référence, de l’ordre de 20 à 50%. Le confinement a remis en cause la fonction de représentation du vêtement déjà sensible avant la pandémie. Cette évolution a, par contre, favorisé les achats d’occasion et les vêtements de détente.
Les touristes sont devenus avec la fermeture des frontières et la politique sanitaire restrictive des États une denrée particulièrement rare. Quand on sait que les touristes représentaient 50% du chiffre d’affaires des Galeries Lafayette, on mesure mieux le déséquilibre que provoque cette absence. Philippe Houzé, le président des Galeries Lafayette, a estimé, il y a quelques mois, ce manque à gagner à 1 milliard € pour l’année 2020. Mais les grands magasins se veulent optimistes en pensant que les touristes reviendront en 2023 ou 2024.
Les consommateurs qui ont largement eu recours au e-commerce durant la pandémie ont apprécié ses facilités et mesuré ses limites. Malheureusement les grands magasins étaient trop faibles dans ce domaine pour pouvoir saisir cette opportunité. Par contre Zara, déjà bien engagé dans la vente en ligne compte fin 2022 réaliser 25% de son chiffre d’affaires contre 14% en 2020.
Un avenir plus qu’incertain
Compte tenu des informations documentaires dont nous disposons et des avis des experts du commerce, il est possible d’envisager trois scénarios pour l’avenir des grands magasins.
Le scénario 1, le plus pessimiste, prévoit une disparition quasi complète dans les cinq à dix ans, de la formule grands magasins définie comme une unité de vente multi-spécialisée.
Progressivement, de plan de sauvetage en plan de sauvetage, de fusion en fusion, de réallocation des espaces à d’autres activités, on assistera à la réduction des tailles de surfaces de vente et du nombre d’unités. Au stade ultime il ne restera plus que quelques unités dans chaque pays qu’on pourrait appeler « les musées des grands magasins ».
Le scénario 2 pourrait s’intituler « T’as de beaux restes tu sais ! ».
Ce scénario rejoint en partie au scénario 1, mais il est moins radical. Les experts évoquent la survie de 2 magasins sur 5. Les enseignes les plus faibles disparaitront, reprises par des groupes plus résilients ou par des fonds de pension désireux d’extraire les restes de l’essence du grand magasin. Pour survivre les enseignes devront réduire encore leurs coûts et notamment leurs frais de personnel ce qui aboutira la plupart du temps à une dégradation de l’expérience client.
Le scénario 3, le plus optimiste, est caractérisé par une transformation- radicale de l’univers du grand magasin avec extension et création de services. Nous en avons déjà quelques exemples centrés sur le bien – être (spas, salles de sport, instituts de beauté, conseils diététiques) et sur des événements culturels et sportifs. Parallèlement le triptyque beauté – mode-maison sera caractérisé par une montée en gamme non des produits mais des services attachés au produit. Ce ne seront plus des vendeuses mais un personnel-conseil, ultra qualifié et totalement adapté au client. Ces nouvelles activités dont certaines seront fortement innovatrices engendreront probablement des essais-erreurs et une augmentation des coûts qui posera le problème du prix d’acceptabilité et/ou celui de la rentabilité pour l’enseigne. Comme l’a déclaré une responsable de Selfridges « les grands magasins devront accepter d’avoir moins de clients » mais à plus forte contribution.
Les changements seront si profonds qu’on peut même s’interroger sur la pertinence de l’utilisation du terme grand magasin pour des unités vendant des produits à forte composante services, des services au service du produit. Pour tous les scénarios l’avenir du grand magasin impliquera une meilleure maîtrise de l’informatique comme fonction de support, dans le magasin et en dehors de l’unité de vente. Il est en effet difficile d’imaginer aujourd’hui un commerce qui ne serait pas phygital et qui n’exploiterait pas les ressources de l’intelligence artificielle et de la robotique.
Illustration par falco de Pixabay