Cent dix ans après sa création par Antonio Puig Castelló, l’entreprise espagnole reconnue mondialement dans le secteur du luxe vient d’entrer dans le marché boursier espagnol, l’IBEX 35, indice regroupant les 35 plus grosses entreprises espagnoles. Ce lancement boursier est le plus important d’Espagne depuis dix ans et l’un des plus importants en Europe.
Puig, une entreprise émergeante
L’industrie du luxe en Espagne, moins importante qu’en France ou en Italie, représentée par les marques Loewe et Balenciaga, bien que maintenant sous pavillon français, a vu émerger l’entreprise Puig. Elle est devenue la marque leader du luxe espagnol, classée aux premiers rangs mondiaux.
Le groupe, de 11 000 salariés, commercialise ses produits dans plus de 150 pays et possède des bureaux dans 32 d’entre eux. Depuis 2013 ses nouveaux bureaux en France se situent dans l’iconique avenue des Champs-Elysées. Etablie aux Etats-Unis en 1962, l’entreprise a inauguré son dernier siège aux Etats-Unis dans le Rockefeller Center à New York en début d’année.
Propriétaire des parfums Rabanne et Carolina Herrera (dont le célèbre « 212 ») qui figurent parmi les 15 premiers parfums au monde, Puig comprend également dans son portefeuille les marques Jean Paul Gaultier, Nina Ricci, Charlotte Tilbury, Dries Van Noten, Byredo, Penhaligon’s, L’Artisan Parfumeur, Uriage, Apivita, Dr. Barbara Sturm, Kama Ayurveda et Loto del Sur, ainsi que les licences beauté Christian Louboutin, Banderas et Adolfo Dominguez.
Une saga familiale soudée et discrète
L’histoire de Puig est celle d’une petite entreprise familiale de parfumerie fondée à Barcelone en 1914 par Antonio Puig, que trois générations familiales ont su transformer en un géant du luxe mondial grâce à une croissance et à une expansion continue.
Puig a obtenu à ses débuts, en 1922, son premier succès avec la production du premier rouge à lèvres en Espagne, « Milady ». Antonio Puig (Barcelone, 1889-1979), fils unique d’un exportateur d’agrumes, après avoir suivi des études de Commerce, maitrisant l’anglais et le français. Fort de sa réussite avec « Milady », il décide de s’aventurer dans le domaine espagnol du parfum, dans un secteur dominé par les marques Gal, Parera et Myrurgia. Il obtient la représentation en Espagne de l’Eau de Cologne 4711 marque de la famille allemande Mülhens.
Avec la deuxième génération, Mariano, Antonio, José Maria et Enrique Puig, l’entreprise continue son expansion et commence à prendre une ampleur plus internationale. L’ « Agua de Lavanda Puig » n’étant pas adapté au sophistiqué marché international, Puig élabore un produit aux accents méditerranéens, différent de ceux proposés par les marques françaises, qui dominent le marché. C’est la naissance, en 1968, « d’Agua Brava » pour homme, elle devient très populaire aux Etats-Unis.
Parmi les quatre enfants du fondateur, tous très impliqués dans l’entreprise, Mariano Puig (Barcelone 1927-2021) sera l’initiateur de l’ouverture à l’international de Puig, avec la création de sa filiale en Grande Bretagne (1970), l’inauguration d’une fabrique en France (Chartres, 1976), une filiale au Chili (1977), au Panamá (1979) et la distribution en Espagne de la marque américaine Max Factor. Le parfum « Quorum » devient le produit plus international de Puig.
La rencontre en France de l’industriel Mariano avec le créateur franco-espagnol Paco Rabanne (Francisco Rabaneda, Saint- Sébastien, 1934-2023) introduit un nouveau dialogue Paris-Barcelone avec le lancement en 1973 du parfum « Paco Rabanne pour homme » qui révolutionnera le secteur des parfums masculins. Il s’agit du début de la véritable expansion internationale de Puig qui va acquérir la totalité de l’entreprise Paco Rabanne, mode et parfums. Cette rencontre est si fructueuse que le couturier a déclaré : « Si je suis Paco Rabanne aujourd’hui, je le dois à Mariano Puig. J’ai trouvé en lui le père qui me manquait, le mien a été assassiné pendant la guerre civile espagnole quand j’étais petit ». La marque Paco Rabanne suppose aussi l’entrée de Puig dans le marché du luxe, une ouverture renforcée avec la production des parfums de Carolina Herrera à New York, l’achat de sa maison de mode en 1995 et le très réussi lancement de son célèbre parfum « 212 » en 1997. Avec l’achat de l’entreprise de mode et de parfumerie Nina Ricci (le mythique « L’air du temps ») en 1998, Puig consolide une position incontournable dans le marché du luxe international.
Mariano, PDG de Puig, transmet le flambeau en 1998 au comité de direction. Javier Cano élu président, est la première personne étrangère à la famille Puig, à assumer cette fonction jusqu’à 2004, moment de l’arrivée à la direction de la troisième génération de la famille : Marc et Manuel, petits-fils d’Antonio Puig.
L’expansion de Puig sur le marché national se confirme avec l’achat des parfums d’Adolfo Dominguez, Agatha Ruiz de la Prada (Groupe Myrurgia) et Mango. L’industrie du parfum en Espagne porte presque exclusivement le nom de Puig.
L’élection en 2004 de Marc Puig en tant que PDG et de Manuel Puig vice-président, consolide l’adoption d’une stratégie de forte et rapide croissance avec une ouverture sur le Moyen-Orient et les nouvelles filiales au Chili, Argentine, Brésil et en Russie. Mais c’est avec le rachat en 2011 à Hermès de l’entreprise de mode Jean-Paul Gauthier et de ses parfums en 2016 que Puig ajoute à son portefeuille un des joyaux de sa couronne…
Marc Puig, certainement le dirigeant le plus discret du monde du luxe, tient à ne pas parler de lui, jusqu’au point qu’il concède à peine des entretiens aux journalistes, a déclaré : « ma personne, même publique, n’a que peu d’intérêt. Et je ne veux surtout pas que ma personnalité éclipse ou se substitue aux intérêts du groupe ». C’est lui qui a ajouté dans le portefeuille du groupe d’autres marques célèbres dont Charlotte Tilbury, Dries Van Noten, Byredo, Penhaligon’s, L’Artisan Parfumeur, Uriage, Apivita, Dr. Barbara Sturm, Kama Ayurveda et Loto del Sur, ainsi que les licences beauté Christian Louboutin, Prada, Valentino ou les parfums de célébrités comme Antonio Banderas et Shakira.
Malgré le mauvais impact de la Covid-19, avec une diminution significative des ventes et une perte de 70 millions d’euros, l’entreprise rebondit et acquiert en 2022 la suédoise Byredo avec un chiffre d’affaires estimé à 180 millions d’euros, qui passe sous pavillon espagnol. Selon quelques informations elle était convoitée par L’Oréal.
Grâce aux bons résultats financiers et à une expansion exceptionnelle au cours des trois dernières années, au développement du digital et à la croissance en Chine, Puig a clôturé 2023 avec un chiffre d’affaires record de 4.304 millions d’euros avec une hausse de 19% par rapport à l’année 2022, dépassant ainsi les objectifs fixés d’atteindre 3000 millions en 2023. Elle a atteint un EBITDA de 849 millions d’euros avec un bénéfice net de 465 millions, malgré une hausse des taux d’intérêt et un contexte géopolitique mondial fort compliqué.
Reflet de cette expansion et afin de fêter les cent dix ans de l’entreprise catalane, en février dernier, le Roi et la Reine d’Espagne ont inauguré la Tour Puig 2 à Barcelone, un second édifice de 20 étages qu’inclut un Centre d’innovation et de technologie expérientielle.
Les clés du succès de Puig ?
Loin de la presse mondaine, le leadership familial établi par les trois générations d’une famille fort discrète et soudée, appuyée sur l’hommage et la force de l’héritage est une des clés de sa réussite. Leur devise : « siempre perpetuando los valores de la familia », « en perpétuant toujours les valeurs de la famille ».
Lors de sa récente introduction en Bourse Marc Puig a rendu un nouvel hommage à l’esprit familial : « L’étape d’aujourd’hui est également possible grâce à l’esprit d’entreprise de deux générations qui nous ont précédés et qui ont osé regarder au-delà de nos frontières alors que très peu le faisait à l’époque. Je peux imaginer la fierté de ceux qui nous ont quittés s’ils pouvaient voir à quel point nous avons gardé notre union forte et jusqu’où nous sommes allés ensemble »
Une autre clé de sa réussite réside dans sa capacité à innover, à suivre l’évolution de la société et à s’adapter aux nouvelles tendances du marché. Le grand investissement de l’entreprise dans les laboratoires de recherche et développement pour le parfum, le maquillage et le soin de la peau grâce à ses laboratoires situés dans le Hub Opérations de la nouvelle tour Puig-T2 à L’Hospitalet de Llobregat (Barcelone).
Sur l’innovation, Marc Puig, déclare : « Nous savons prendre notre temps entre chaque grand lancement d’un nouveau produit ». Savoir attendre, la sérénité est un des traits transmis par la famille Puig au long de ces cent dix ans.
Pourquoi une introduction en bourse ?
Vendredi 3 mai dernier Puig Brands, S.A. a célébré son introduction en bourse et sa cotation à la Bourse de Barcelone. Le prix de l’Offre a été fixé à 24,50 € par action offerte, marquant les actions de catégorie B de l’entreprise sur les Bourses espagnoles. Cherchant à lever 1,25 milliard d’euros au cours d’une première offre, suivie d’une seconde portant le montant levé à plus de 2,5 milliards, ce que valorise le groupe à plus de 10 milliards d’euros. A l’issue de l’opération, fin 2024, Puig sera cotée à la Bourse de Madrid.
Afin de préparer cette introduction en bourse, Puig a réorganisé toute l’entreprise sous la société anonyme PUIG BRANDS SA avec une restructuration de son conseil d’administration, dans lequel la famille maintient le contrôle discrétionnaire car la famille Puig gardera une participation majoritaire ainsi que le contrôle politique avec 68% des actions de classe A, et en fonction du green shoe en actions de classe B, celles côtés en bourse. Pour rappel, le marché boursier en Espagne est un regroupement des quatre bourses espagnoles : Madrid, Barcelone, Bilbao et Valence. La bourse de Madrid est la plus grande place boursière en Espagne et la plus visible sur la scène internationale avec l’indice IBEX 35.
La décision de Puig de s’introduire en bourse est particulièrement considérable dans un contexte où de nombreuses entreprises familiales optent pour rester privées afin de maintenir un contrôle étroit sur les opérations et la vision de l’entreprise. Être coté en bourse permettra à Puig de gagner en crédibilité et d’être encore plus visible sur les marchés financiers internationaux ainsi que de diversifier davantage ses activités et de lever des fonds pour de nouvelles acquisitions.
Marc Puig, a déclaré au Financial Times sur l’IPO de son groupe : «nous pensons que le fait d’être une entreprise familiale également soumise à la responsabilité du marché nous permettra d’être plus compétitif sur le marché international de la beauté au cours de la prochaine phase de développement de l’entreprise… elle nous permettra également d’imposer une discipline de marché et d’éviter les éventuelles difficultés auxquelles se confrontent les entreprises familiales lors du passage de témoin entre générations »
Enfin, sur le volet environnemental, avec l’Agenda ESG 2030 lancée en 2021 Puig s’est engagé à respecter les nouveaux critères environnementaux, à atteindre « zéro émission nette » dès maintenant à 2050 et à contribuer à limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 avant 2030.
Très performante sur le continent américain, avec un 36 % de son chiffre d’affaires, les Etats-Unis, le Mexique et le Brésil représentent ses plus grandes ventes. Depuis 2023 Puig a renforcé sa présence à Miami avec le Hub Travel Retail et l’ouverture en début 2024 de nouveaux locaux dans le Rockefeller Center à New York.
La famille Puig, grande passionnée de voile, sponsor de la Copa del Rey, a partagé toujours cet attachement avec la Famille Royale espagnole. En 2024 elle devient le sponsor officiel global de la 37è America’s Cup qui aura lieu à Barcelone en septembre prochain, ainsi que de la première Women’s America’s Cup, nommée « Puig Women’s Cup ». Parmi d’autres reconnaissances, Puig a obtenu en 2022 le Prix Dialogo France.
Elena Lizón-Respaut est maître de conférences HC à l’Université Paris-Dauphine.