Ré-imaginer le conseiller de vente en commerce de luxe à l’ère de l’IA

Le commerce de luxe crée sa valeur par l’expérience client, dans laquelle les conseillers de vente jouent depuis toujours un rôle central pour fidéliser, fournir un service personnalisé, créer des expériences différenciantes. Plus que jamais, il garde ses lettres de noblesse alors que le e-commerce et le Métaverse avaient cru sonner son glas. Mais à l’heure de l’omnicanal, des technologies digitales et de l’IA qui transforment le paysage du commerce de détail, les conseillers clients de luxe doivent eux aussi intégrer de nouvelles pratiques, de nouvelles postures, apprendre une relation client « en interaction » avec l’IA, finalement jouer un nouveau rôle, tout en conservant l’exclusivité et la touche humaine qui définissent le commerce de luxe. Un réel virage s’impose dans la relation client et nécessite un management du changement pour les marques, a fortiori dans un contexte de pénurie de main d’œuvre experte, l’attractivité de la profession de conseiller du luxe et la rétention des talents étant un sujet majeur depuis le Covid et accéléré avec la digitalisation du commerce. 

Qui est donc le conseiller client du luxe à l’ère de l’IA ?

Historiquement, les conseillers clients de luxe se concentrent sur le service en magasin, s’appuyant sur leurs compétences interpersonnelles, leur excellente connaissance des produits et de la signature de la marque, pour guider une clientèle haut de gamme à travers des expériences d’achat personnalisées. Aujourd’hui, leur rôle s’est considérablement élargi. Le conseiller de luxe moderne doit s’adapter aux nouvelles attentes clients, à une démographie rajeunie, aux besoins de maîtrise des sujets de développement durable et, de surcroît, être au fait de l’environnement digital et IA :

  • Un expert en omnicanal, intégrant de manière transparente et fluide les expériences en magasin et en ligne,
  • Un professionnel plus analytique qui travaille avec les données, utilisant des outils d’IA pour anticiper et répondre aux besoins des clients,
  • Un ambassadeur de la marque sur les réseaux sociaux, interagissant avec les clients via des plateformes numériques.
  • Un gestionnaire « tech », capable de naviguer dans les outils de vente augmentés par l’IA et les analyses de données qui lui recommandent des axes de maximisation de l’expérience et des ventes.

Cette évolution de leur rôle est essentielle quand on sait que l’intention d’achat de luxe est multipliée par 5 selon que l’expérience client est plutôt bonne ou marquante (« wow ») (source CXG group).

Ainsi des marques comme Gucci et Louis Vuitton ont adopté cette transformation. Le centre de services « Gucci 9 » permet aux conseillers de fournir des expériences d’achat personnalisées à distance, d’organiser des sessions stylistiques virtuelles, de travailler avec un système de recommandation produits en temps réel, d’être assistés efficacement sur les activités omnicanales des clients, le tout à partir d’outils CRM et d’analyses IA dérivées. De même, le « Digital Atelier » de Louis Vuitton équipe les professionnels de la vente avec des applications basées sur l’IA pour améliorer le service en magasin.

Une nouvelle triangularité relationnelle conseillers-IA-clients :

Les nouveaux défis pour les conseillers consistent à utiliser de manière « humaine » et fluide pour le client 4 approches essentielles de l’IA permettant de l’hyperpersonnalisation. Les avantages sont nombreux. Le tout doit améliorer l’expérience client :

  • Personnalisation à grande échelle : les algorithmes d’IA analysent les comportements d’achat et les préférences pour proposer des recommandations sur mesure.
  • Réalité augmentée et essayages virtuels : Gucci et Dior ont intégré des fonctionnalités de réalité augmentée permettant aux clients d’essayer virtuellement des produits avant achat.
  • « Client telling » prédictif amélioré : les outils d’IA aident les conseillers à anticiper les préférences des clients, facilitant ainsi des interactions personnalisées
  • Conseillers virtuels basés sur l’IA : de plus en plus de marques de luxe utilisent des stylistes virtuels et chatbots pour offrir un support client 24/7. Un challenge pour les conseillers « physiques » qui doivent apprendre à se faire assister de chatbots pour mieux conseiller eux-mêmes.

Les conseillers de vente doivent-ils avoir peur de l’IA ?

L’IA fait peur et stresse si on ne s’occupe pas de son intégration, dans processus d’adoption humain. Dans le luxe comme dans d’autres secteurs. C’est aux marques de prendre soin des conseillers, de travailler avec eux la confiance vis-à-vis des technologies d’IA, et la vision de l’évolution de leur métier, qui précisément doit être d’autant plus humain. Des méthodologies d’adoption de l’IA sont appliquées pour que l’IA soit perçue comme :

  • Outil de soutien, pas de remplacement : les informations basées sur l’IA améliorent l’expérience de conseil sans remplacer l’interaction humaine.
  • Réduction du temps de réponse et efficacité accrue : l’IA permet aux conseillers d’accéder rapidement aux informations sur les produits et recommandations personnalisées.
  • Accessible et compréhensible : des programmes de formation et développement autour de l’IA permettent aux conseillers d’affiner leurs compétences en confiance
  • Obligatoirement associée au maintien de la connexion émotionnelle : l’automatisation excessive risque d’affaiblir le service personnalisé. Il est crucial de trouver un équilibre entre assistance IA et interaction humaine.

L’avenir du conseiller de vente de luxe face à l’IA

Le futur du conseiller de vente dans le luxe n’est pas celui d’un robot IA autonome remplaçant l’humain, mais plutôt d’un professionnel augmentant son expertise grâce à l’IA. L’IA joue un rôle de soutien, améliorant l’efficacité et la personnalisation des interactions sans pour autant remplacer la relation humaine qui reste essentielle dans le luxe.

L’objectif principal des marques est d’équiper les conseillers avec des outils d’IA qui facilitent leur travail : accès rapide aux informations produits, recommandations basées sur l’historique des clients, réalité augmentée pour des essayages virtuels, et formation continue personnalisée. Cela permet aux conseillers de se concentrer sur la dimension émotionnelle et relationnelle de leur métier.

Ainsi, le conseiller du futur ne sera pas un simple exécutant ou un robot, mais un expert augmenté, capable de combiner intelligence artificielle et intelligence émotionnelle pour offrir une expérience ultra-personnalisée et engageante. Les compétences requises évoluent : si la fluidité digitale et l’IA devient très importante, les compétences émotionnelles, verbales et non verbales retrouvent leurs lettres de noblesse pour tirer le meilleur profit « humain » de l’IA.

Implications pour les marques de luxe : essentialité de l’expérience des employés

Dans ce contexte les conseillers de vente sont fragilisés : selon CXG Group, 30% d’entre eux mondialement en 2024 ne sont pas heureux dans leur quotidien.  Ils se sentent sous-évalués à 33%, sans équilibre professionnel-personnel pour 39% et 42% souffrent d’un manque d’autonomie. Ainsi 51% pensent quitter leur emploi contre 30% en 2022. Or les clients suivent les conseillers de luxe qui quittent ! 68 % des clients dits « VIC » (Very Important Clients) suivraient leur conseiller chez une autre marque s’il changeait d’employeur…

Le « turnover » des conseillers de vente du luxe devient significatif et très couteux : en 2024, 2.5 millions d’offres d’emploi n’étaient pas pourvues ; aux Etats Unis, le coût annuel des ventes de luxe perdues en raison du « turnover » des conseillers de vente est de 500 milliards de dollars ; et remplacer un conseiller client du luxe coûte 6 à 9 mois de salaire ; enfin le taux de « turnover » était en 2024 de 60% en France et aux Etats Unis, de 51% au Royaume Uni.

Ainsi, avec les défis structurels liés à l’intégration de l’IA dans le métier de la vente, l’expérience des employés devient, pour les marques, aussi importante que l’expérience client : il s’agit d’assurer l’évolution des compétences autour des outils IA et de la nouvelle excellence du service client malgré le « turnover » existant, remobiliser « humainement » la raison d’être de leur rôle et leur organisation de travail.

L’expérience employés devrait idéalement couvrir :

  • La formation généralisée, qui aide à l’actualisation des compétences IA dans l’univers du luxe de façon valorisante. La formation qui privilégiait le produit et les techniques de vente évolue vers le développement personnel mixant l’IA, la valorisation du conseiller dans le « clientelling » intégrant aussi les interactions client dans les réseaux et sur le site, et les tendances du luxe. 
  • La gestion de la charge de travail et du stress entre la relation client en magasin et en ligne
  • La mise en confiance en expliquant que si l’IA aide à optimiser les transactions, elle ne peut pas remplacer l’interaction intuitive et relationnelle attendue par les clients haut de gamme.
  • Le discours structuré à tous les niveaux du commerce de luxe qui veille à ce que l’IA complète plutôt que remplace l’expertise humaine.

Ainsi, alors que l’IA sert les marques dans l’optimisation de leur recrutement sur de nouvelles compétences, les techniques de recrutement commencent à évoluer à la faveur de l’expérience collaborateurs : Jaguar Land Rover par exemple utilise des technologies de réalité virtuelle pour immerger les candidats dans l’expérience de leur travail à venir.

Un changement de valeur…

Enfin, l’ère de l’IA présente à la fois des défis et des opportunités pour les conseillers de vente de luxe. Si l’IA améliore l’efficacité et la personnalisation, elle exige également une adaptation des compétences. Les marques qui investissent dans la formation et une transformation « humaine » autour de l’utilisation de l’IA, une expérience employés ancrée et pleine de sens, offrent à la fois des perspectives de carrière attractives et seront plus à même de créer de la valeur, garantir fidélisation et exclusivité. Tout est une question d’équilibre entre technologie et interaction humaine.

Article écrit par Helen Zeitoun, membre de l’Académie des Sciences Commerciales, inspiré par les données mondiales de CXG Group, dont elle est membre du board. Auteure médaillée par l’A.S.C. et Présidente de Datae Humanum, elle sert les comités de direction et dirigeants dans leur stratégie « IA humaine et durable, donc efficiente ».

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