L’euro numérique ou monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de détail, « ne pourra être un succès que s’il répond aux besoins des Européens » (Fabio Panetta, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE).
Face à l’essor rapide des crypto-actifs tels que le bitcoin ou la libra de Facebook et aux nombreux risques qu’ils engendrent (blanchiment d’argent, protection des consommateurs, piratage, instabilité financière, etc.), les sept principales banques centrales des pays développés, représentant le Canada, le Japon, la Suède, la Suisse, l’Angleterre, les Etats-Unis et la zone euro, ont lancé un projet relatif à la création de leur propre monnaie numérique. A cet égard, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, appelle de ses vœux l’émission d’un euro numérique d’ici 2026.
Les principaux enjeux de l’euro numérique
Analyse conceptuelle
La BCE définit cet euro numérique comme « une forme électronique de monnaie de banque centrale qui, à l’instar des billets de banque, permettrait à tous d’effectuer leurs paiements quotidiens rapidement, facilement et en toute sécurité ».
Il s’agirait en l’espèce d’un troisième type de monnaie qui, au lieu de prendre une forme physique comme une pièce ou un billet, revêtirait une forme numérique.
Contrairement à un crypto-actif qui ne dépend d’aucune banque centrale ou institution financière[1], l’euro numérique serait émis par l’Eurosystème (la BCE et les banques centrales nationales) et accessible à tous les citoyens et entreprises. Il existerait sans remplacer les espèces mais en les complétant.
Concernant la technologie qui serait adoptée pour la monnaie centrale de détail, les banques centrales n’auraient peut-être pas recours à une technologie de registre distribué qui constitue une des caractéristiques de la blockchain. Tous les publics pourraient utiliser cette nouvelle monnaie soit sous une forme stockée sur une carte ou une application mobile, soit via un compte ouvert en monnaie centrale numérique.
Les enjeux
Dans le magazine « L’ENA hors les murs », Christine Lagarde rappelle que « la monnaie n‘est acceptée que si elle bénéficie d’une solide confiance, conserve sa valeur et respecte la vie privée, notion qui prend une importance croissante à l’ère numérique. Ces fondements sont, et resteront, ceux de la monnaie de banque centrale, quelle que soit sa forme à l’avenir ».
Dès lors, les principaux enjeux de l’euro numérique sont les suivants : accès, confiance et souveraineté monétaire.
- L’accès universel aux moyens de paiement
Une des missions fondamentales d’une banque centrale est d’assurer un accès universel à des moyens de paiement simples, sans aucun risque, résilients et inspirant confiance. Des exigences que ne garantissent pas les crypto-actifs.
- La confiance et la sûreté
Lors d’un discours en décembre 2019, le Gouverneur de la Banque de France, Monsieur Villeroy de Galhau, a souligné que l’émission d’un euro numérique devrait permettre de « préserver la confiance dans le système financier qui résulte en partie de la possibilité d’échanger ses avoirs contre de la monnaie légale ». Une des fonctions essentielles de la monnaie est celle de réserve de valeur sûre pour les citoyens. Fonction à laquelle ne répond pas un crypto-actif qui est très volatil.
- La souveraineté monétaire
Pour M. Villeroy de Galhau, la mise en place d’une monnaie numérique « nous permettrait de disposer d’un puissant levier d’affirmation de notre souveraineté face aux initiatives privées du type Libra ».
Afin d’émettre l’euro numérique, le groupe des sept banques centrales évoquées précédemment a réussi à fixer des règles de base commune qui s’articulent autour de trois principes :
1) maintien de la stabilité monétaire et financière ;
2) complément d’autres formes de monnaie notamment les espèces qui continueront d’exister aussi longtemps qu’il y aura une demande ;
3) promotion de l’innovation et l’efficacité du système de paiement.
Les risques
Les risques pour les utilisateurs de la MNBC de détail
Des risques pourraient apparaître lors de l’émission de la MNBC de détail tels que le non-respect de la vie privée, l’insécurité, la non-égalité des conditions d’accès des utilisateurs, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ces écueils exigent une application rigoureuse de la réglementation sur la protection des données personnelles ainsi que le respect des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT).
Une menace pour les modèles d’affaires des banques traditionnelles ?
Certains émettent l’idée selon laquelle la mise en place d’une MNBC de détail constituerait une entrave à la rentabilité, à la solvabilité et à la liquidité des banques.
- Un risque pour la rentabilité des banques…
Lionel Potier, économiste au Groupe Crédit agricole, voit dans l’émission d’une MNBC de détail, une « concurrence dans la fourniture de services de paiement et une captation des dépôts par la banque centrale ». Cette nouvelle forme de monnaie, qui est garantie par le bilan de la banque centrale et qui ne souffrirait d’aucun risque de défaut, pourrait avoir la préférence des épargnants au détriment des dépôts dans des banques commerciales.
Le renoncement aux dépôts bancaires au profit des MNBC de détail pourrait avoir un impact sur le modèle d’affaires des banques comme le soulignent Morten Bech et Rodney Garrat, dans le rapport trimestriel de la Banque des règlements internationaux (BRI) de septembre 2017.
- … mais aussi pour leur solvabilité et leur liquidité
Les banquiers craignent que dans l’hypothèse d’une crise de confiance, des transferts massifs aient lieu des comptes bancaires vers la MNBC. Cette ruée sur les dépôts bancaires (« bank run ») pourrait accélérer les crises bancaires et mettre en péril la stabilité financière.
Pour conclure, rappelons que, outre la MNBC de détail, les banques centrales travaillent sur les opportunités qu’offrirait une « MNBC de gros » qui serait utilisée exclusivement pour les transactions financières entre la banque centrale et les banques.
[1] Un crypto-actif est un actif numérique créé et utilisé via des technologies de chiffrement. Il ne remplit pas les trois fonctions de la monnaie et n’est pas régulé par une autorité centrale. En outre, il s’agit d’un actif spéculatif à haut risque.