Les risques liés à l’usurpation d’identité commerciale

L’usurpation d’identité ne touche pas seulement les individus. Elle concerne également le commerce. Ses conséquences sont particulièrement dommageables, notamment en termes de réputation. Comment réagir face à une usurpation d’identité commerciale ?

L’usurpation d’identité ne touche pas seulement les personnes physiques. Elle concerne également les entreprises dont le commerce, c’est-à-dire « l’activité qui consiste à acheter et/ou à vendre des produits ou des services » (voir dictionnaire de l’Académie des Sciences Commerciales). Cette menace, qui est de plus en plus utilisée par des escrocs devenus ingénieux et imaginatifs, ne cesse d’augmenter avec l’accélération des nouvelles technologies.

Les risques liés à cette arnaque sont nombreux. Ses conséquences sont particulièrement dommageables et exigent une protection élevée.

Les signes distinctifs de l’identité commerciale

  • Le concept de signe distinctif

Maître Dalhia Arfi-Elkaïm, avocate d’affaires au barreau de Paris, définit le signe distinctif : « signe permettant d’identifier une entreprise parmi d’autres, ou des produits ou des services parmi ceux des concurrents au sein d’un même secteur d’activité ». De leur côté, les professeurs Jacques Azéma et Jean-Christophe Galloux décrivent les signes distinctifs comme « des moyens phonétiques ou visuels qui permettent à la clientèle de reconnaître les produits, les services ou les établissements qu’elle recherche et de les distinguer des produits, des services ou des établissements similaires ».

  • Les quatre signes distinctifs de l’identité commerciale

Les signes distinctifs de l’identité commerciale sont : la marque, le nom commercial qui permet d’identifier un fonds de commerce, l’enseigne qui désigne l’établissement commercial et le nom de domaine attribué à un site internet.

  • La marque

Le signe distinctif d’une marque est régi par l’article 4 du règlement sur la marque de l’Union européenne (RMUE) et par l’article L711-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) qui stipulent que « tout signe susceptible d’une représentation dans le registre des marques peut constituer une marque ». Par ailleurs, conformément à l’article L711-1 du CPI, « la marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales ». L’article suivant du CPI rajoute : « elle sert à désigner, dans le commerce, une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production ».

  • Le nom commercial

Comme le rappelle le professeur Grégoire Loiseau, la jurisprudence définit généralement le nom commercial comme « la dénomination sous laquelle une personne physique ou morale désigne l’entreprise ou le fonds de commerce qu’elle exploite pour l’identifier dans ses rapports avec la clientèle ». En résumé, le nom commercial sert à désigner le fonds de commerce pour l’identifier dans ses rapports avec la clientèle. Il se distingue de la dénomination sociale ou de la raison sociale (réservée aux sociétés) et des marques. En tant que signe distinctif, élément de ralliement de la clientèle et support d’une réputation commerciale, le nom commercial est doté d’une valeur patrimoniale objective importante. Sa protection est fortement encadrée par la loi du 28 juillet 1824 qui réprime l’usurpation du nom commercial ainsi que par une abondante jurisprudence. Enfin, lorsque le commerçant dispose d’un site de commerce électronique, il utilise la plupart du temps son nom commercial en tant que nom du domaine.

  • L’enseigne

L’enseigne est un signe extérieur et visuel qui sert à « localiser » (dixit Y. Saint-Gal) un établissement commercial. Le dictionnaire de l’Académie des Sciences commerciales en donne la définition suivante : « Signe distinctif, nominal ou de fantaisie, d’une entreprise. Il peut être le nom commercial ou, dans le cas d’un commerçant, exister conjointement avec le nom patronymique de celui-ci ou se confondre avec lui. L’enseigne est un des éléments incorporels du fonds de commerce ». De son côté, l’article L.581-3 du code de l’environnement définit l’enseigne comme « toute inscription, forme ou image apposée sur un immeuble et relative à une activité qui s’y exerce ».

  • Le nom de domaine commercial

En plus des trois signes distinctifs évoqués précédemment, un nouveau signe est apparu avec l’apparition et le développement d’internet, celui de nom de domaine. Conçu au départ comme une simple adresse électronique personnalisée qui identifie un site web, ce nouvel identifiant est devenu pour les commerçants, un moyen pour attirer la clientèle des internautes.

Comme le souligne François Viangalli, Maître de conférences à l’Université de Grenoble-Alpes, dans le commerce en ligne, le nom de domaine remplit pour le commerçant qui dispose d’un site internet, une « fonction d’identification et de signalisation à peu près équivalente à celle reconnue à l’enseigne dans le commerce physique ». Il en donne la définition suivante : « Dénomination à caractère universel qui permet de localiser une ressource ou un document sur internet, en indiquant la méthode pour y accéder, le nom du serveur et le chemin à l’intérieur de celui-ci. Il constitue un signe distinctif permettant l’identification et l’accès à la ressource – site commercial ou autre – envisagée.

D’après Claire Humann, Maître de conférences à l’Université du Havre, « le nom de domaine peut se définir comme la dénomination électronique (l’adresse) du site internet d’un fonds de commerce physique ».Pour cette enseignante, le nom de domaine est une « enseigne électronique ».

En conclusion, le nom de domaine, élément essentiel de l’identité commerciale, offre un avantage concurrentiel en permettant de fixer la clientèle.

Qu’est-ce que l’usurpation d’identité commerciale ?

L’usurpation d’identité consiste à s’approprier l’identité d’autrui. Une proposition de loi de juillet 2013 définit cette pratique frauduleuse dans son exposé des motifs : « Le fait de prendre, délibérément, l’identité d’une autre personne vivante pour réaliser des actions frauduleuses commerciales, civiles ou pénales, accéder aux finances de la personne usurpée, ou commettre en son nom un délit, ou accéder à des droits (indemnités sociales) de façon indue ». Celle-ci peut recouvrir des situations extrêmement variées comme l’usurpation d’identité commerciale.

L’usurpation de l’identité commerciale est constituée dès lors qu’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public sur les signes distinctifs que sont la marque, le nom commercial, l’enseigne et le nom de domaine sur la toile.

  • Usurpation de la marque

L’usurpation de marque ou « brandjacking » consiste à utiliser le patronyme d’une marque pour soit détourner la clientèle, soit porter atteinte à son image, soit au contraire profiter de sa notoriété. Des commerces comme Interflora, la FNAC, Carglass, … sont régulièrement victimes de cette arnaque.

  • Usurpation du nom commercial

Un exemple d’usurpation du nom commercial est celui de Celio. Le jugement qui a été rendu sur cette affaire par le Tribunal de Grande Instance de Paris (3ème chambre) en date du 19 octobre 1999 a conclu « qu’en déposant comme nom de domaine sur la toile, la dénomination « celio.com », l’usurpateur a commis une usurpation du nom commercial et un abus de droit en application de l’article 1382 du code civil.  Il a porté préjudice au propriétaire du nom commercial (la société Marc Laurent) qui s’est vu empêché de déposer son nom commercial, signe distinctif pour sa clientèle, comme nom de domaine sur l’internet.

  • Usurpation de nom de domaine

Avec l’avènement du commerce électronique, les tribunaux sont aujourd’hui confrontés à une autre forme d’usurpation, qui est beaucoup plus fréquente : l’usurpation de nom de domaine. Cette pratique frauduleuse, appelée « cybersquat » « consiste à accaparer, en le déposant, un nom de domaine reprenant ou évoquant une marque, un nom commercial, un patronyme ou tout autre dénomination, afin de tirer un profit matériel ou moral de sa notoriété présente ou à venir » (source : FranceTerme). L’escroc va usurper un nom de domaine pour le négocier ensuite à un prix très onéreux. Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 juin 2019, il est précisé que cybersquat« se conçoit généralement comme le fait de faire enregistrer, sans avoir ni droit ni intérêt légitime à l’égard de celui-ci et dans le but de nuire à un tiers ou d’en tirer indûment profit, un nom de domaine sur internet qui est identique ou qui ressemble à une marque, à un nom commercial, à un nom patronymique ou à tout autre dénomination appartenant à autrui ».

Le cybersquat, aujourd’hui largement condamné, entraîne la radiation du nom de domaine frauduleusement enregistré ou son transfert à son titulaire légitime.

De nombreuses condamnations ont été prononcées concernant l’usurpation de nom de domaine : exemple de l’affaire Galeries Lafayette c/ Association Excellence Française (voir TGI Paris, jugement du 25 mai 1999).

Les conséquences d’une usurpation d’identité commerciale

Les risques liés à l’usurpation d’identité commerciale sont nombreux :

  • Des pertes financières conséquentes ;
  • Une perte de crédibilité auprès des clients ;
  • Une réputation en ligne remise en cause. « L’usurpation d’identité se conjugue très souvent avec les problématiques d-e-réputation » déclare Maître Alain Bensoussan. En effet, une entreprise commerciale victime d’une usurpation d’identité voit la plupart du temps son image, ses produits, sa réputation en ligne… remises en cause.
  • Une structure d’entreprise ébranlée ;
  • Des actes répréhensibles peuvent être commis au nom de l’entreprise victime de l’usurpation d’identité.

Comment se protéger d’une usurpation d’identité commerciale ?

Pour prémunir les commerçants contre une usurpation d’identité commerciale, des dispositions permettent de protéger les signes distinctifs : marque, nom commercial, enseigne et nom de domaine sur la toile.

  • L’action en concurrence déloyale par confusion

L’action en concurrence déloyale, développée par la jurisprudence sur les principes du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle, trouve son fondement dans les articles 1240 et 1241 du code civil. Elle peut revêtir plusieurs formes dont la confusion, qui est généralement la résultante d’une imitation. Exemple d’un commerçant concurrent qui, pour capter le chaland, utilise un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine similaire à ceux du titulaire de ces signes distinctifs de telle manière qu’il existe une confusion dans l’esprit de la clientèle. Ce processus de captation des clients est un élément constitutif d’un acte de concurrence déloyale par confusion.

L’action en concurrence déloyale par confusion constitue le mode normal de protection juridique lorsque l’usurpation touche un des signes distinctifs de l’identité commerciale. En effet, la personne usurpée n’étant pas protégée par le droit de la propriété intellectuelle, l’action en concurrence déloyale lui permet de poursuivre en responsabilité civile l’auteur de procédés contraires aux règles du commerce. Le titulaire de l’identité commerciale devra alors démontrer le risque de confusion dans l’esprit de la clientèle résultant de l’usurpation. Le risque de confusion constitue une question de fait souverainement acceptée par les tribunaux.

Parmi les décisions jurisprudentielles ayant accepté le risque de confusion, nous pouvons citer les exemples suivants : Madam Old England » et « Old England » (Cassation, chambre commerciale, 25 octobre 1982, « Galeries Lafayettes » et « Galeries Lafayette » (Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris, 25 mai 1999).

  • Dépôt auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI)

La marque est un signe distinctif qui permet de faire connaitre ses produits ou ses services. Il s’agit d’un bien précieux pour le commerçant qu’il faut protéger. Le premier moyen de protection est le dépôt auprès de l’INPI.

Le nom commercial ou le nom de domaine, qui distingue un commerçant de ses concurrents, a également une grande valeur commerciale. Comme la marque, ces deux signes distinctifs représentent un enjeu stratégique majeur qui doit être protégé. Dès lors, leur dépôt auprès de l’INPI leur assurera une protection juridique.

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