Les marques deviennent un support de la construction de sens

Les marques ont pour vocation d’identifier l’origine du produit et de différencier l’offre par rapport aux concurrents. Ces deux fonctions représentent la raison d’être d’une marque dans une organisation. Toutefois, aujourd’hui, au-delà de leur rôle d’identification et de différenciation, les marques représentent des objets sociaux qui donnent du sens à la fois auprès des salariés de l’organisation et auprès des consommateurs-citoyens[1].

Des marques porteuses de sens

Ce faisant, elles acquièrent une place prépondérante dans l’économie mondiale. Toutefois, une question centrale se pose : comment la marque peut apporter du sens ? C’est lorsqu’une marque incarne des valeurs qu’elle peut apporter de la signification, une vision et des émotions. Pour les salariés d’une organisation, le sens apporté par la marque leur permet de s’identifier à l’organisation pour laquelle ils travaillent. Ils défendent la marque à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise et peuvent devenir des ambassadeurs auprès des clients. Pour les consommateurs, les marques peuvent être des supports de leur construction identitaire. Toutefois, les individus sont de plus en plus enclins à mettre en avant leur identité de citoyen, et sont davantage en quête de sens dans leur consommation qu’auparavant. Ces bouleversements poussent à faire évoluer plusieurs paradigmes dans la relation consommateur-marque que l’on peut résumer ici en trois nouvelles tendances : (1) Du soi étendu à l’expansion de soi, (2) De l’expérience à l’inspiration, (3) De l’attachement à l’admiration.

  • De l’étendu de soi à l’expansion de soi.
    On sait depuis de nombreuses décennies que les possessions participent activement à la définition de l’individu[2]. On peut deviner l’importance du sentiment de pouvoir que l’individu pense détenir sur les possessions pour les considérer comme faisant partie de son soi, ainsi plus nous pensons posséder ou être possédés par un objet, plus il fera partie de nous-même. Parallèlement à la notion du soi étendu, la motivation centrale des individus est d’augmenter leurs capacités et d’améliorer leur potentiel. Les relations proches sont un des moyens d’y parvenir, puisqu’elles donnent accès aux ressources de l’autre[3]. Dans cette perspective, les marques ne sont plus uniquement des symboles de possession mais peuvent être considérées comme des ressources qui alimentent le désir de s’étendre des individus. Une étude en cours auprès de 2000 personnes en France et aux Etats-Unis[4] montre que certes les consommateurs préfèrent les marques qui partagent leurs propres valeurs, mais ils apprécient davantage les marques qui au-delà de leurs valeurs communes incarnent aussi des valeurs qui étendent leur identité et les enrichissent. Ces résultats sont riches d’enseignement car ils permettent de remettre en cause l’idée que les personnes achètent plutôt les marques qui leur ressemblent. A l’heure de l’explosion des réseaux sociaux qui ont tendance à enfermer les individus autour de leurs centres d’intérêts déjà connus, cette recherche montre l’importance de favoriser la découverte de nouveaux univers auprès des individus.
  • De l’expérience à l’inspiration.
    Depuis quelques décennies, s’est développé un marketing expérientiel qui tend à proposer aux consommateurs des immersions dans des expériences extraordinaires plutôt que des achats de simples produits ou services[5]. Les marques ont suivi ce mouvement en proposant des offres expérientielles faisant la part belle aux valeurs hédonistes. Toutefois, une dimension importante a été oubliée. Il s’agit d’une quête de sens pour permettre aux individus de mieux comprendre l’environnement dans lequel ils s’intègrent. Lassés aujourd’hui, d’une consommation vide de sens, les consommateurs semblent davantage réceptifs aux marques qui peuvent leur permettre de trouver une cohérence interne dans leur consommation. Ainsi, la marque Patagonia, sur le marché de la mode, permet aux consommateurs de s’engager dans une consommation responsable en les aidant à réduire, réutiliser et recycler leurs vêtements. La marque est aujourd’hui plébiscitée car elle est inspirante et donne une nouvelle vision de la consommation qui répond à un besoin des individus en quête de sens.
  • De l’attachement à l’admiration.
    Dans l’idée que l’avenir des marques se trouve dans la capacité à donner du sens aux consommateurs-citoyens, les marques s’engagent de plus en plus dans des causes sociétales (égalité des sexes, des genres, inclusion…). On pourrait rétorquer que ces actions ne sont pas nouvelles car depuis plusieurs décennies, les organisations sont concernées par la responsabilité sociale. Toutefois, alors que l’engagement des marques s’inscrivait notamment dans un paradigme relationnel de l’attachement, aujourd’hui, l’engagement des marques semble s’apparenter à une prise de position qui ne cherche pas à séduire tout le monde. Par exemple, quand la marque Nike choisit Kaepernick comme égérie alors critiquée par le président des Etats-Unis, ou quand Burberry soutient le mouvement LGBT encore contesté par certaines communautés, il y a une prise de risque, un combat idéologique qui s’éloigne de l’approche relationnelle traditionnelle. Les marques activistes, par leur engagement et leur désobéissance, apparaissent plus sincères et suscites l’admiration des consommateurs-citoyens. Cette désobéissance à une consommation frénétique et l’engagement dans des combats idéologiques semblent peut-être représenter l’avenir des marques car cela permet de répondre à un besoin oublié : celui de la quête de sens pour mieux comprendre et s’intégrer dans le monde qui nous entoure.

[1] Michel G. (2017), Au cœur de la marque, 3e édition, Dunod.

2 Belk, R. W. (1988). Possessions and the extended self. Journal of Consumer Research, 15(2), 139-168.

[3] Aron, A. et Aron, E. N. (1997), Self-expansion motivation and including other in the self, Handbook of personal relationships, 2, 1, 251-270.

[4] Etude menée avec GfK dans le cadre de la chaire Marques & Valeurs, IAE Paris-Sorbonne.

[5] Carù A. et Cova B. (2006), Expériences de consommation et marketing expérientiel, Revue Française de Gestion, 3, 162, 99-113.

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