L’efficacité : nerf de la guerre de la communication

On attribue généralement à l’homme d’affaires John Wanamaker, fondateur des grands magasins Wanamaker’s à Philadelphie aux Etats-Unis, la phrase devenue célèbre, prononcée au début du siècle dernier : « Je sais que la moitié de mes investissements publicitaires est dépensée en pures pertes ; le problème, c’est que je ne sais pas laquelle ». Elle traduit surtout la difficulté voire l’impossibilité à l’époque, d’analyser les choses en connaissance de cause et d’effet et de savoir tenir compte des implications directes mais aussi indirectes de la publicité.

Avec des investissements en communication pour les marques représentant environ 30 milliards d’euros par an en France[1] et autour de 700 milliards de dollars dans le monde, il n’est pas surprenant que cette petite phrase soit venue tarauder les esprits des hommes et femmes de marketing et de communication au fil des décennies.

 Rendre des comptes et optimiser

La question de savoir si la publicité, ou plus largement la communication sous toutes ses formes, est efficace est une question qui préoccupe les marques depuis que la publicité existe.

La raison principale est liée au fait de pouvoir rendre des comptes, c’est-à-dire justifier l’investissement (ou la dépense …), ce qui renvoie à la notion de rentabilité ou de retour sur investissement. On distingue alors l’efficacité (brute) de l’efficience (relativement à l’effort consenti).

Une autre raison découle de la première et correspond à la possibilité d’apprendre des campagnes publicitaires précédentes pour améliorer la rentabilité des suivantes. On le voit tout ceci impose de mesurer. Et c’est bien la grande difficulté : que doit-on mesurer et comment ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité aujourd’hui avec l’essor des nouveaux médias de l’univers numérique devenus majeurs dans l’investissement des marques. Grâce aux données qu’ils produisent, ils permettent d’observer et analyser quasiment en temps réel les différentes formes de réactivité des consommateurs et clients, fournissant de très nombreuses informations auxquelles on n’avait pas accès aussi facilement et aussi rapidement avec les autres médias non numériques.

Revenir aux fondamentaux de la stratégie

Au commencement de tout, un besoin de communication est identifié par l’entreprise, sa ou ses marques, en relation avec la stratégie marketing, voire plus globalement la stratégie d’entreprise qui représente, ou devrait représenter, le fil rouge des actions à venir, parmi lesquelles les actions de communication. Ainsi, elle fait figure de « gardien du temple » dans la mesure où elle pose les bases de ce que veut faire l’entreprise ou la marque, auprès de qui, dans le respect de quelles valeurs. La communication de marque ou d’entreprise, va venir accompagner ce faisceau d’intentions au travers des messages qu’elle construit et diffuse.

Attention aux dysfonctionnements

Mais qui dit « transmission de message », dit « risque de dysfonctionnements » et ces derniers ne sont pas liés aux seules émission et réception des messages. Les points de dysfonctionnement potentiel de la communication jalonnent tout le chemin suivi[2] :

Il est donc essentiel de s’assurer que « ça » marche, c’est-à-dire que les dispositifs mis en place au travers des messages et des canaux choisis sont efficaces.

Efficace ? Vous avez dit efficace ?

Le mot est d’un usage tellement courant en matière de communication qu’on ne se donne plus la peine de réfléchir au sens qu’il a, ce qui a pu conduire à des dérives que l’on verra plus loin. Là aussi il est nécessaire de revenir à quelques fondamentaux.

Avant tout, il n’existe pas de critère d’efficacité dans l’absolu : il n’existe pas une efficacité, mais des efficacités.

En effet, pour une campagne de communication donnée :

  • Sa diffusion va créer des contacts auprès de publics cibles, qu’il s’agisse de cœur de cible, de cibles secondaires ou encore de publics hors cible.
  • Ces contacts vont alors créer des effets.

On peut alors dire qu’il y a efficacité si et seulement si les effets créés correspondent aux effets attendus, ceux-ci découlant directement des objectifs stratégiques évoqués plus haut.

Ainsi il faut insister sur le fait que les contacts, leur volume[3], ne représentent pas l’efficacité : ils sont la condition nécessaire, mais pas suffisante, pour que des effets se produisent, qui seront ou non, les effets espérés.

Et il faut d’autant plus insister sur ce point que l’univers du numérique, ayant à sa disposition un très grand nombre de données (des « big data » ou données massives) a rapidement proposé de considérer de nombreux nouveaux indicateurs auxquels on n’avait pas accès pour les médias classiques et qui ont fait à tort figure d’indicateurs d’efficacité : par exemple, les impressions, les pages vues, les vidéos vues, les volumes de partages, commentaires, les clics.

Court terme, moyen terme, long terme

Il peut sembler surprenant de se demander quels effets on attend d’une campagne de communication. Si in fine l’objectif de toute entreprise est de parvenir à vendre ses produits, services, prestations, l’objectif de la communication, à un instant donné n’est pas toujours celui-là. Il suffit pour s’en convaincre de prendre l’exemple simple d’une marque alimentaire qui viendrait de rencontrer un accident industriel[4]. L’objectif des communications mises en place consistera avant tout à restaurer la confiance des consommateurs, donc à agir sur l’image de la marque.

Un objectif de vente à court terme peut être contre-productif à long terme si l’on n’a pas aussi construit un socle d’image suffisamment solide capable d’agir sur la préférence de marque afin d’échapper au moins en partie, à la guerre des prix et des promotions. Un tel socle engendre aussi une plus grande fidélité.

Bien entendu, cela ne signifie pas qu’il faut exclure les campagnes permettant de réaliser des ventes à court terme. Il s’agit simplement d’orchestrer les communications, de les articuler dans cette perspective de pérennité et solidité de la marque, de ses valeurs et caractéristiques d’image auprès des publics cibles.

Les modélisations des ventes, par exemple au travers des techniques statistiques économétriques, permettent de mesurer très précisément l’effet « billard à deux bandes de la communication » : la publicité ou plus largement la communication va engendrer des ventes directes à court terme, mais va aussi construire de la considération ou préférence de marque qui engendrera à son tour à plus long terme, de nouvelles ventes[5].

L’effort publicitaire et donc financier à consentir pour les ventes futures sera plus important si le socle en question n’existe pas puisqu’une partie des ventes naturelles issues de la considération de marque ne se produiront pas.

C’est avant tout la nature des messages, leur contenu lui-même qui va contribuer plus ou moins à la création du socle de considération. Mais on y reviendra, le média lui-même peut jouer un rôle dans la production de ventes à court terme : c’est en particulier le cas d’Internet qui, potentiellement, permet d’accéder « en un clic » au produit proposé pour l’acheter en un instant, en (quasi) temps réel. La question est alors de savoir ce que l’on construit sur le long terme et ce qu’il en est réellement du retour sur investissement (ROI).

Internet un média pas comme les autres, un lieu de vente pas comme les autres

On entend souvent dire : « la publicité sur Internet ça marche et ça n’est pas cher ». Ce média est de plus en plus utilisé dans les campagnes de communication : des grandes entreprises et marques qui diversifient leurs investissements jusqu’aux plus petites marques en lancement et aux « start-up » qui se font connaître, vendent et communiquent exclusivement sur Internet et les réseaux sociaux[6]. Mais Internet, ou plus largement l’ensemble des médias numériques, a ceci de particulier qu’il est à la fois lieu de vente et espace publicitaire. Mettre en avant un produit dans un commerce, en faire la publicité dans les allées d’un centre commercial produira un effet. Comptabiliser les ventes qui en résultent et les attribuer à ce seul dernier point de contact représente une erreur fréquemment commise, plus encore avec Internet et les médias numériques dans leur ensemble. On démontre qu’il existe en réalité des effets de synergie avec les autres médias qui viennent potentialiser l’efficacité du numérique à la fois lieu de vente et de communication

Les effets de synergie existent entre tous les médias, mais comme avec Internet on accède à de très nombreuses données, il arrive que l’on se berce de l’illusion liée à la quantité de ces données au détriment de leur qualité, ou du moins à la qualité de l’interprétation que l’on doit en faire. Ainsi il arrive fréquemment d’attribuer une vente sur Internet aux seuls stimuli de la publicité qui y a été diffusée avant l’achat (simplement par l’interprétation de la « concomitance »), alors que tout un ensemble de messages ont été reçus en amont par le consommateur créant un contexte plus favorable de réception de la publicité Internet (ce type d’effet appelé « amorçage » en neurosciences[7], plus difficile à mesurer, n’en est pas moins réel et déterminant).

Mesurer ce qui compte vraiment et non pas compter tout ce qui peut se mesurer

Et cette masse d’informations disponibles (les fameuses big data du marketing) sont comme la langue d’Esope : la pire et la meilleure des choses. C’est en partie en réaction à cet afflux de données fournies aux marques de façon pas toujours pertinente et parfois sans lien avec leurs objectifs, que l’Union des Annonceurs ou UDA (devenue depuis Union des Marques), a souhaité mettre en place un référentiel de l’efficacité[8] qui pose les bases concrètes, objectives, rigoureuses, de ce que sont et ne sont pas les critères de l’efficacité publicitaire. Ce référentiel propose de plus un large inventaire de ces critères, les classifie, les définit et permet d’accéder à des études de référence permettant de les mesurer. Il faut pour cela qu’elles aient reçu une certification par l’organisme indépendant CESP[9] : le Visa CESP.

Le référentiel distingue très clairement les indicateurs de mise en œuvre media (ceux qui conduisent aux contacts évoqués plus haut à l’instar de l’audience, mais qui ne relèvent pas de l’efficacité) des indicateurs relatifs aux effets produits par les contacts : indicateurs publicitaires d’une part (relatifs aux perceptions engendrées par la publicités : mémorisation, attribution, compréhension, agrément, …) et indicateurs d’efficacité globale d’autre part (ceux qui mesurent les effets sur la marque ou le produit). Ces derniers sont à leur tour segmentés en trois catégories : efficacité marque (notoriété, image par exemple), efficacité « pré-business » (intention d’achat par exemple), efficacité « business » (ventes par exemple).

Le référentiel aujourd’hui développé pour les actions publicitaires a pour ambition d’être étendu à toutes les formes de communication.

Les outils de mesure et la difficile question de l’attribution

Une fois les indicateurs de l’efficacité déterminés par la marque, la question de savoir comment les mesurer reste entière. Il existe deux grandes familles d’outils : ceux qui reposent sur des études par sondage direct auprès des consommateurs, ceux qui reposent sur la l’analyse de données plus massives.

Les sondages :

Ils permettent de recueillir la perception des consommateurs, leurs opinions, leurs intentions, en lien avec la publicité que l’on évalue. Lorsqu’ils sont menés avant la diffusion de la campagne, ils permettent de déterminer les améliorations à apporter aux messages : il s’agit des pré-tests soit qualitatifs, soit quantitatifs. Lorsqu’ils sont menés après la diffusion de la campagne, ils permettent d’en faire le bilan d’efficacité pour un certain nombre de critères : il s’agit des post-tests quantitatifs.

L’analyse de données :

Ce sont le plus souvent les données de ventes (ou de souscriptions ou d’abonnements pour les services) qui sont alors analysées. L’enjeu est de déterminer quelle est la part des ventes de la période considérée imputable aux effets naturels (les ventes que l’on aurait réalisées de toute façon) et quelle est la part des ventes imputable à la campagne de communication. Plus encore, on cherche souvent à savoir quel média a plus ou moins contribué à ces ventes additionnelles : c’est la question de l’attribution essentielle à résoudre pour optimiser les investissements futurs.

Le sujet est délicat et seul le recours à des méthodes d’analyses de données statistiques rigoureuses permet de répondre : les modélisations économétriques de différents types sont particulièrement adaptées à la résolution de ces problématiques. Elles mesurent également les retours sur investissement, les phénomènes de synergie évoqués plus haut, mais aussi les effets de rémanence, les effets de court, moyen ou plus long terme.

Deux études récentes pour la télévision[10] et une étude récente pour la presse[11] illustrent concrètement comment sont mises en œuvre ces analyses statistiques. Bien que réalisées à l’initiative de deux médias, elles explorent aussi les autres apports des autres leviers de communication.

En conclusion et l’on aurait envie d’ajouter « une fois de plus et comme toujours », on perçoit à quel point une question pourtant simple à énoncer : « ma campagne publicitaire est-elle efficace et quels sont les meilleurs leviers de son efficacité ? » nécessite de la rigueur, du temps de réflexion et d’analyse pour répondre. Les méthodes, les outils, les prestataires de qualité existent pour ne pas tomber dans les pièges tendus par les trop-pleins de données, pour dépasser les apparences, les fausses évidences relevant de corrélations simples à appréhender, mais trompeuses quant à la réalité des relations de cause à effet.


[1] Source FrancePub – à moduler pour l’année Covid 2020 : environ 26 milliards d’euros et un peu plus de 30 millions une année « normale ».

[2] Voir aussi pour davantage de précisions théoriques et académiques, le modèle de communication de Shannon et Weaver

[3] Il s’agit de tous les critères liés à l’audience du média, par exemple, la couverture, la répétition, le GRP, etc.

[4] Nestlé en juin 2011 rappelle par précaution certains de ses pots pour bébé, en raison d’une suspicion de verre brisé. Perrier en 1990 décèle des traces de benzène dans certaines bouteilles aux Etats-Unis.

[5]  Voir les conférences de l’IREP :

  • Belliat Zysla (2008) La modélisation économétrique au secours de l’efficacité et de l’optimisation plurimedia, COMSEARCH IREP, séminaire Efficacité
  • Belliat Zysla, Martin Bruno (2009) Le marketing scientifique : l’analyse multivariée au service de la performance de la marque, COMSEARCH IREP, séminaire Efficacité

[6] Voir les études du marché publicitaire : baromètre BUMP réalisé par l’IREP, Kantar et FrancePub ainsi que les baromètres du SRI :

https://www.irep.asso.fr/marchepub/resultats-annuels/

[7] voir l’article « La mémoire non consciente » paru dans les Dossiers Pour La Sciences N°31 par Larry SQUIRE, professeur de psychologie à l’université de Californie à San Diego et chercheur au Veterans Affairs Medical Center de San Diego et Eric KANDEL, professeur de biochimie et de biophysique à l’université Columbia de New York, prix Nobel de physiologie et médecine en 2000 pour ses travaux de recherche sur la mémoire.

[8] https://uniondesmarques.fr/nos-services/actualit%C3%A9s/article/2020/02/13/Le-R%C3%A9f%C3%A9rentiel-mesurer-lefficacit%C3%A9-de-la-communication#:~:text=En%20mesurer%20la%20performance%20de,incertitude%20quant%20%C3%A0%20leurs%20d%C3%A9finitions%E2%80%A6.

[9] Centre d’Etude des Supports de Publicité : https://www.cesp.org/

[10] Etude TV 1 : https://www.snptv.org/etudes/lefficacite-le-r-o-i-de-la-pub-tv/

  Etude TV 2 : https://www.snptv.org/etudes/la-publicite-tv-media-incontournable-pour-booster-tous-vos-leviers-marketing-roitv2/

[11] Etude Presse : https://www.acpm.fr/Actualites/Toute-l-actualite/Actualites-generales/DemainLaPresse-l-Efficacite-Lancement-de-la-mesure-d-efficacite-Business-de-la-Presse

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