Le commerce de détail en liberté surveillée

La liberté surveillée du commerce de certains produits, par les règlements ou à l’initiative des distributeurs est diverses selon les pays, les époques et fortement perturbée par le commerce en ligne.

L’analyse du commerce mondial montre qu’il existe un certain nombre de catégories de produits pour lesquelles, au nom de la morale et/ou de la défense de la santé publique, une totale liberté est prise en défaut.

Les produits concernés sont :
1) les vins et spiritueux,
2) le tabac,
3) les produits pharmaceutiques,
4) les armes à feu,
5) les produits érotiques
6) les drogues douces

Conformément à la définition du commerce détail, nous excluons de notre champ d’investigation les activités de services problématiques comme la prostitution ou les casinos.

Dans cet article nous montrons que, pour le commerce de détail, les choix législatifs adoptés par les pouvoirs publics, centraux ou locaux, ainsi que les décisions prises par les entreprises de commerce varient d’un pays à l’autre au cours du temps. Ces choix vont de l’interdiction absolue comme pour les drogues dures ou même récréatives dans l’immense majorité des pays, à une liberté plus ou moins encadrée par l’autorité publique (alcool, tabac, produits pharmaceutiques, armes à feu…).

Vins et spiritueux

Par exemple en France, comme en Suisse, le principe de base pour les vins et spiritueux est la liberté de vente à travers plusieurs canaux de distribution (cavistes, supermarchés, e-commerce notamment). Cette liberté souffre pourtant de certaines limitations comme la vente aux mineurs. Dans certains cas, cette liberté peut ne pas être exploitée par suite de décisions individuelles. Ainsi, il se trouve que la Migros, leader du commerce de détail Suisse, sous la direction de son créateur Gottlieb Duttweiler avait établi comme principe, pour des raisons morales, de philosophie des affaires et de santé publique, de ne pas commercialiser cette catégorie de produits. Après le décès du fondateur (1962) et de sa veuve (1990) et face à l’évolution de la distribution Suisse, ce principe va commencer à être pris en défaut (existence de boutiques de vins et spiritueux dans des centres commerciaux appartenant à Migros à la suite du rachat de Denner déjà vendeur de ces produits…). En 2012, Claude Hauser, alors en fin de mandat à la présidence de la coopérative Migros, préoccupé par la position du géant orange face à la concurrence, va se prononcer pour la vente de vins (mais pas d’alcools forts) dans les magasins Migros. Son souhait ne fut pas approuvé par l’Assemblée Générale des coopérateurs. Cette affaire à suivre montre que les règles peuvent être remises en cause avec le temps et face aux impératifs de la lutte concurrentielle.

Tabac

En France, le tabac est un produit soumis à une liberté surveillée (monopole, fixation des prix par l’État, existence du circuit spécialisé des buralistes, sujets à l’attribution d’une licence). Vous pouvez lire à ce propos un article de presse de 1959 très instructif pour la France intitulé « On fume trop peu en France ». En Suisse, comme aux Etats-Unis, au contraire, il est possible de trouver des cigarettes en supermarchés et dans des boutiques spécialisées comme Davidoff. Pour ce produit encore, il existe une « exception Migros » qui bannit le tabac de ses magasins, par la volonté du fondateur Gottlieb Duttweiler. Mais le rachat de Denner par Migros va, comme pour les vins et spiritueux, changer la donne : pas de cigarettes chez Migros mais des cigarettes dans sa filiale Denner !

Produits pharmaceutiques

Le cas des produits pharmaceutiques est à la fois plus simple et plus complexe. Plus simple, car dans la plupart des pays la vente de médicaments sur ordonnance est assurée par des pharmaciens contrôlés par l’autorité publique. Plus complexe, car le concept de médicament prescrit varie selon les pays : Alève, un anti inflammatoire non stéroïdien AINS, en vente libre aux Etats-Unis, reste un produit prescrit en France et, à ce titre, ne peut être vendu qu’en pharmacie. Cette complexité renvoie aussi à la définition même du médicament. La vitamine C ne peut être vendue en France en supermarchés car elle est considérée comme un médicament. En Suisse, une organisation comme le CI CDS (Communauté d’Intérêt du Commerce de Détail Suisse) lutte contre les pharmaciens qui assurent l’écrasante majorité de la vente des produits en vente libre over the counter (OTC). L’introduction dans le circuit alimentaire de produits non prescrits comme l’aspirine ou le paracétamol… ainsi que des produits requalifiés « compléments alimentaires » comme les antiarthrosiques d’action lente est un enjeu économique important. Mais la liberté de vendre des produits courants comme le paracétamol en supermarchés vient de rencontrer en Suède un vent contraire avec l’interdiction de sa vente en grandes surfaces. Complexité supplémentaire pour les produits pharmaceutiques, le développement du e-commerce ouvre un espace de liberté mais aussi de confusion et d’abus.

Armes

Pour les armes à feu la Suisse possède la législation la plus libérale d’Europe, comparable à celle des Etats-Unis que le président Obama voudrait durcir. A contrario, en France, c’est un certain contrôle qui prévaut, malheureusement sérieusement battu en brèche par les circuits illégaux.

Sex shops

La création de magasins de produits liés au sexe (couramment appelés sex shops) est, en théorie, libre mais l’ouverture de tels établissements est soumise à autorisation locale. Les opinions des élus peuvent plus ou moins entraver la naissance de ces d’établissements. Témoignage du bouleversement que connaissent les mœurs en occident, les produits liés au sexe peuvent se trouver, maintenant, en vente dans le e-commerce. Il est possible aujourd’hui d’acheter ces catégories de produits plus facilement et plus discrètement sur internet.

Drogue

Enfin, nous ne ferons que mentionner le cas du cannabis dont la vente est illégale sauf, dans une certaine mesure, aux Pays-Bas.

Nous devons garder présent à l’esprit certaines règles :
– il existera toujours des conflits entre les canaux de distribution (supermarchés/ pharmacies/e-commerce).
– la libéralisation des mœurs est en marche (ce qui n’exclut pas bien entendu de possibles retours en arrière). Ainsi, en Chine, pays traditionnellement réputé pour sa pudeur, il est maintenant possible d’acheter des sex toys dans des magasins de proximité.
– Le e-commerce fait tomber les frontières.
– Le tourisme d’achat qui était uniquement physique et local (faire quelques kilomètres pour se procurer des produits interdits et/ou moins chers) devient maintenant virtuel et mondial.
– Le temps est un puissant instrument d’humilité : interdit aujourd’hui, permis demain et peut être à nouveau interdit après-demain.
– Les principes moraux peuvent ne pas résister à « la loi de la part de marché ». Pourquoi exclure des produits rentables alors que les concurrents en vendent ou pourquoi ne pas vendre « des produits d’espoir » comme des médicaments miraculeux dont le vendeur connaît pourtant la faible efficacité. Comme disait Winston Churchill : « ma conscience est une bonne fille avec laquelle je m’entends bien ».

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