Hyperciblage et déconstruction de marque ?

Les formidables possibilités qu’offrent le digital et l’exploitation des données pour mieux connaître et comprendre les individus cachent aussi des illusions et des effets pervers qu’il vaut mieux avoir en tête.

Le ciblage, hyper ciblage, reciblage… nécessitent de décomposer les populations selon des procédures plus ou moins complexes. Cela évoque le propos d’un certain Jacques Mandelbrojt, peintre et physicien théoricien : “quand on décompose un problème en éléments simples, on s’aperçoit vite que chaque composante est plus complexe que ne l’était le problème de départ”. Si le ciblage n’est pas un problème, c’est sans doute une difficulté à résoudre. Mais au-delà du leurre de simplification de la décomposition qu’évoque l’auteur de la citation, il semble bien que les techniques actuelles de ciblage fin, micro ou quelle que soit la sémantique utilisée, et plus encore celles de reciblage, comportent une forme de supercherie d’ailleurs pas toujours volontaire ou consciente. Expliquons : sur fond de preuve (pas toujours …), de proclamation (souvent) ou de croyance (trop souvent), ces ciblages semblent plus efficaces puisque les taux de conversion seraient élevés ou plus élevés que lorsqu’on n’y a pas recourt. Mais n’est-ce pas tout simplement mécaniquement évident ? Du genre : “100% des gagnants ont tenté leur chance” comme le disait avec grande vérité et beaucoup d’humour une publicité de la Française des Jeux ?

A force de cibler des individus de plus en plus près (physiquement ou psychologiquement) de l’acte d’achat, ne touche-t-on pas finalement dans bien des cas, ceux qui auraient acheté, de toute façon ? Et si l’on s’y prend bien, on devrait parvenir à des taux de conversion de 100% … Micro-cible de l’acheteur intervenant au micro-moment* de l’achat dans le micro-lieu* de la page de commande !

Sans parler du micro-moment* du post achat ! Mais c’est une autre histoire de ratage des micro-ads* que nous avons tous, je pense, expérimenté.

En réalité, on serait face à une confusion classique d’interprétation de la corrélation. Oui, il y aurait bien corrélation entre ciblage et vente, mais peut-être n’y-a-t-il aucune relation de cause à effet entre les deux, ou pire encore … inversion de la cause et de l’effet. Ainsi, la cause serait la vente et l’effet le ciblage ! Autrement dit c’est parce qu’il y a vente ou qu’il va y avoir vente, qu’il y a ce ciblage. Et ceci concerne aussi bien la publicité que les offres éditoriales (Netflix, Amazon…).

Mais alors, le risque est grand, voire gigantesque : c’est celui de ne presque plus jamais irriguer les cibles plus lointaines du produit ou du service, de ne pas les familiariser avec la marque et ses valeurs, alors même qu’un “objet familier” est a priori chargé d’attitudes plus positives, comme nous l’apprennent les sciences cognitives.

On perd alors tout le socle de la construction de marque, cette valeur immatérielle pourtant bien connue. Et lorsque la cible « éloignée » devient cœur de cible (par exemple en devenant parent) le travail de conviction part de zéro ou presque. A force de parler de déperdition de cible, des 50% du budget de la publicité qui ne serviraient à rien (cette citation aura fait beaucoup de mal !), on ne construit plus rien.

* Voir l’article paru sur le Blog MEDIAMEDIORUM de François Mariet : http://mediamediorum.blogspot.fr/2016/04/micromoments-microgenres-microlocations.html

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