Les défaillances d’entreprises ne cessent d’augmenter en France. D’après les statistiques de la Banque de France, en octobre 2024, le nombre de défaillances cumulé sur les douze derniers mois a augmenté de 21,8 % (données définitives). Cette hausse est en partie liée à un effet de rattrapage, après l’épisode Covid (2020-2021). Concernant le secteur du commerce et de réparation automobile, le nombre de défaillances (en données légales disponibles définitives) cumulé sur 12 mois à fin octobre 2024, s’élève à 13 787[1].
A Bordeaux, les commerçants ont fermé les uns après les autres en 2024. D’aucuns parlent d’hécatombe. Le taux de vacance a explosé dans le centre-ville. A la rentrée de septembre, le tribunal de commerce de Bordeaux a enregistré un pic historique de liquidations judiciaires de + 35 % par rapport à l’année précédente. De même, le tribunal de commerce de Nantes fait face à une flambée de défaillances d’entreprises. Son président révèle que « fin septembre 2024, 586 procédures avaient été ouvertes depuis le début de l’année, contre 523 l’an dernier et 411 avant 2019, avant la Covid 19 ».
Comme son nom l’indique, une entreprise commerciale exerce une activité de nature commerciale. Cette dernière se caractérise par l’exercice à titre de profession habituelle d’actes de commerce (article L.110-1 du Code de commerce).
L’explosion des défaillances d’entreprises dans le secteur du commerce est un phénomène complexe qui peut être expliqué par de multiples raisons et dont les conséquences sont préoccupantes.
Terminologie : du droit de la faillite au droit des défaillances d’entreprises
Le concept « droit des défaillances d’entreprises » s’est substitué à celui de « droit de la faillite ». Ce dernier, conçu pour sanctionner la défaillance d’un commerçant, est devenu un droit des entreprises en difficulté. Cette évolution terminologique révèle un profond bouleversement du droit en la matière. Désormais, cette branche du droit regroupe un ensemble de règles destinées à prévenir et à traiter les défaillances d’entreprises.
Dans un article intitulé « Droit des entreprises en difficulté », Corinne Saint-Alary Houin et al. expliquent le pourquoi d’une telle évolution. Les raisons sont multiples, mais elles en retiennent les deux principales : celles d’ordres économique et psychologiques. Tout d’abord, elles rappellent que « ce sont des pans entiers de l’économie qui sont touchés par les défaillances d’entreprises ». Elles rajoutent : « La faillite, a-t-on pu dire, n’est plus ce qu’elle était : la raison commerciale cède le pas à la raison d’Etat, le paiement du créancier à la sauvegarde de l’entreprise et de l’emploi. L’ancien droit des faillites est devenu une branche essentielle du droit économique ». Les différentes lois , ordonnances et arrêts de jurisprudence postérieurs à 2005 en témoignent. Ces changements d’ordre économique se sont accompagnés d’une évolution psychologique. Face à la complexité des affaires et à la concurrence nationale et internationale, les mentalités ont évolué et aujourd’hui « le dépôt de bilan n’est pas considéré comme une infamie ».
Enfin, l’expression « défaillance » d’entreprise englobe de nombreuses procédures : 1) la procédure de sauvegarde (article L620-1 du Code de commerce) ouverte sur la demande du chef d’entreprise en difficulté dès avant qu’il ne soit en état de cessation des paiements. « Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif » ; 2) la procédure de redressement judiciaire (article L631-1 du Code de commerce) ouverte à tout chef d’entreprise qui, « dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible est en cessation des paiements ». Comme dans la procédure de sauvegarde, le redressement judicaire « est destiné à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif » ; 3) la procédure de liquidation judiciaire (article L640-1 du Code commerce) ouverte à tout chef d’entreprise « en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible. La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l’activité de l’entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens ».
Quels sont les facteurs à l’origine de l’explosion des défaillances d’entreprises dans le secteur du commerce ?
2.1. Des facteurs d’ordre économique
a) L’inflation et la hausse des coûts: l’augmentation du coût des matières premières et la flambée des prix de l’énergie consécutive à la guerre en Ukraine pèsent lourdement sur les marges des commerçants. A cela s’ajoute les montants élevés des loyers qui, étant payés habituellement chaque trimestre, grèvent la trésorerie des commerçants.
b) Des taux d’intérêt élevés: pour lutter contre l’inflation, les banques centrales mènent une politique monétaire restrictive. Une telle politique passe par une hausse des taux d’intérêt directeurs, qui conduisent les banques commerciales à limiter l’octroi de crédits et à rendre ainsi plus coûteux l’accès au crédit pour les entreprises en difficulté.
c) La réduction du pouvoir d’achat: dans un contexte inflationniste, les ménages subissant une baisse de leur pouvoir d’achat, restreignent leurs dépenses discrétionnaires. Ceci a un impact direct sur les commerçants. Dans le secteur de l’habillement par exemple, les clients se tournent vers des vêtements à des prix ultra bas (« ultra low cost ») sans se soucier de la qualité. En conséquence, les enseignes de moyenne gamme font les frais de l’évolution des modes d’achat.
2.2. Des changements structurels
a) La montée en puissance du commerce électronique : les consommateurs recourent de plus en plus aux achats en ligne, diminuant ainsi la fréquentation des magasins physiques.
b) La transformation des modes de consommation : aujourd’hui les clients optent pour une consommation plus éthique et plus écologique eu égard au dérèglement climatique. Par ailleurs, ne voulant pas attendre, les clients se tournent vers des achats rapides grâce à l’apparition de livraison ultra-rapide. Il va de soi que tous les commerçants ne peuvent pas répondre à ces nouvelles attentes.
c) La concentration du marché liée à la mondialisation et à l’ultralibéralisme met en difficulté les petits commerces qui ne peuvent rivaliser avec des multinationales.
2.3. Les effets de la pandémie
a) Un choc durable : la crise de la Covid-19 a accéléré les difficultés rencontrées par les commerçants depuis des années. Beaucoup n’ont pas pu se redresser malgré une certaine reprise économique.
b) Un important recours au numérique : comme le souligne France Stratégie dans un article intitulé « Crise Covid et essor des outils numériques », « face à la pandémie, les outils numériques ont été spontanément et massivement mobilisés ». Ils ont modifié les habitudes d’achat, surtout en période de confinement. Les petits commerces jugés comme « non essentiels » durant la pandémie tels que l’habillement, les librairies, etc. ont été durement touchés. Leur fermeture prolongée a entraîné d’importantes pertes d’exploitation.
2.4. La règlementation et la fiscalité
a) Des charges fiscales élevées avec un recul des ventes sont à l’origine d’une situation préoccupante pour nombre de commerçants. Par ailleurs, ces derniers se heurtent à des problèmes d’équité fiscale. En effet, grâce à une fiscalité particulièrement avantageuse principalement liée à la dématérialisation de leurs activités, les GAFA profitent, comme toutes les multinationales, des failles des systèmes fiscaux pour pratiquer une optimisation fiscale qui réduit drastiquement leur taux d’imposition. Un exemple d’optimisation fiscale est celui de la technique du Double irlandais et Sandwich.
b) Des politiques publiques pas toujours bien adaptées. Comme le souligne un rapport de la Cour des Comptes de septembre 2023, le suivi des coûts et des effets des actions et des financements consacrés par les pouvoirs publics au commerce de proximité doit être amélioré.
Les conséquences de l’augmentation exponentielle des défaillances d’entreprises commerciales
Les entreprises commerciales sont les principaux acteurs de l’univers des affaires. Elles jouent un rôle essentiel dans le tissu économique. Dès lors, les conséquences d’une explosion des défaillances dans le secteur du commerce sont préjudiciables pour une économie.
a) Des pertes d’emploi et une hausse du chômage : d’après les derniers chiffres publiés par l’Observatoire de l’emploi, 19 000 commerçants ont perdu leur emploi en 2023.
b) Les cœurs de ville en danger : Les commerces de centre-ville ne peuvent lutter à armes égales contre les franchises « bas coûts », les grandes surfaces installées en périphérie et les géants de la vente en ligne tels Amazon, Alibaba. Encore plus, lorsqu’une pandémie les oblige à fermer leurs boutiques pendant un temps déterminé. Pour Emmanuelle Wargon, ancienne ministre déléguée au Logement, « à chaque fois que l’on implante un nouveau centre commercial en périphérie, on tue le commerce de centre-ville et on incite les gens à aller toujours plus loin pour aller faire les courses ».Nous assistons à une désertification des centres-villes qui n’a fait qu’empirer avec la crise sanitaire et la fermeture forcée de nombreux magasins. Une dévitalisation des centres-villes et des centres-bourgs est d’autant plus regrettable que les commerces de centre-ville sont à la croisée de plusieurs problématiques actuelles et y apportent des réponses : ils contribuent au renforcement du lien social, offrent une opportunité de développement économique et de création d’emplois, répondent aux difficultés liées au vieillissement de la population et au développement durable.
En conclusion, l’explosion des défaillances d’entreprises dans le commerce reflète une crise multifactorielle nécessitant une réponse coordonnée entre les pouvoirs publics, les acteurs économiques et les associations de commerçants
[1] Source : Banque de France – Fichier Bancaire des Entreprises/FIBEN
Excellent panorama, très complet, de la situation. Félicitations !
Gérard