Du Diem de Facebook au Lugh de Casino, pourquoi ?

Prenant acte de l’importance croissante des cryptomonnaies dans le commerce, et plus particulièrement du nombre de stablecoins, deux grands leaders, l’un au plan mondial, l’autre au plan national en France, ont intégré les stablecoins dans leur stratégie globale de développement commercial et financier.

Pour tenter d’approcher leurs motivations, le « pourquoi » de leur décision, et leur fonctionnement, nous examinerons leurs deux concepts de stablecoins, le Diem (ex Libra) de Facebook et le Lugh de Casino.

Le Diem (ex Libra) de Facebook

La synthèse ci-dessous a été réalisée à partir de différentes sources croisées et notamment 

Le Diem (ex-libra) cryptomonnaie de Facebook. 

“La mission de Diem (ex Libra) est de développer une devise et une infrastructure financière mondiales simples, au service de milliards de personnes”, Ainsi, le diem étant un stable coin, si le prix du bitcoin est à 10 000 dollars et que vous échangez 1 bitcoin contre du diem, vous aurez donc 10 000 unités de diem. Si le cours du bitcoin descend à 5 000 dollars, vous aurez toujours 10 000 dollars en diem. En plus d’être stable, la cryptomonnaie de Facebook sera échangée de façon instantanée puisqu’elle n’aura pas besoin de passer par le réseau bancaire. En plus d’un diem adossé à un panier de devises, il y aura plusieurs diems : un diem USD, un diem EUR, un diem GBP et un diemSGD.

Stabilité du diem

On observera que la valeur du diem est stabilisée par un portefeuille constitué des principales devises et unités de réserve dans le monde, notamment le dollar, l’euro et la livre sterling. Or, de par son existence même, et sa stabilité, le diem vise à les concurrencer sur leurs propres marchés… Le diem aurait-il ainsi, grâce à ce panier, une stabilité qu’aucune des devises qui le constituent ne pourrait avoir pris individuellement ? (Voir étape 5 les Banques).

Les différents diems pourront donc être échangés entre les internautes comme il est aujourd’hui possible de faire des transferts d’argent de pair à pair via des applications comme Lydia, Pumpkin ou PayPal.

Ces échanges de diems se feront via Calibra créée par Facebook.

Au total, plus de 2,7 milliards de personnes utilisent chaque mois au moins une plateforme de l’écosystème du groupe (Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp). Le diem servira aussi à régler des achats chez les commerçants partenaires. Pour l’heure, on peut notamment citer Uber, Spotify, Lyft et Iliad.

Les partenaires financiers de diem

Depuis la création de libra et ensuite de diem, certains partenaires ont quitté l’association Libra, d’autres sont restés et certains nouveaux ont adhéré, ce qui témoigne d’un manque de stabilité de son « actionnariat »

Chaque membre dispose d’une voix, y compris Facebook, et a dû verser un minimum de 10 millions de dollars pour adhérer à Diem Association. Ils se partagent une partie des dividendes générés par la réserve de devises constituée à partir des sommes versées par les acheteurs/utilisateurs de Diem.

Pour rejoindre le consortium, il faut également mettre à disposition des ressources de calcul, de la bande passante, un ingénieur chargé de maintenir l’ensemble et mettre en place des mesures de sécurité au niveau entreprise.

De plus, pour accroître la crédibilité de diem, les membres de la gouvernance doivent représenter des entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars.

La blockchain “de permission”, de Diem

La cryptomonnaie diem repose sur une blockchain “de permission”, ce qui signifie que l’accès au protocole doit être validé, contrairement au bitcoin, qui est une blockchain publique, ouverte à tous. Facebook souhaite que sa blockchain soit sans permission à terme, mais aujourd’hui « il n’existe actuellement pas de solution éprouvée capable d’offrir l’ampleur, la stabilité́ et la sécurité́ nécessaires pour prendre en charge des milliards de personnes et de transactions à travers le monde dans le cadre d’un réseau sans permission » selon la présentation de juin 2019. Celle d’avril 2020, précise : « Nous pensons qu’il est possible de reproduire les principales propriétés économiques d’un système sans autorisation grâce à un marché ouvert, transparent et concurrentiel tout en intégrant une due diligence raisonnable des membres et des validateurs qui est inhérente à un système avec autorisation. »

La technologie de la blockchain Diem

  • Cette blockchain est ultra-rapide, sécurisée et économe en énergie
  • L’infrastructure Diem est optimisée pour permettre jusqu’à 1000 transactions par secondes (contre 15 pour Ethrerum et 7 pour le Bitcoin).
  • Les concepteurs de cette blockchain se sont basés sur plusieurs principes qui permettent de réduire le besoin de ressources de l’ensemble
  • Comme avec les autres blockchains, chaque transaction est irrémédiablement inscrite dans la blockchain, et les systèmes en place les rendent infalsifiables.

Novi le portemonnaie numérique de diem

Avec Novi, diem (ex libra) vise le marché des paiements en ligne en permettant des paiements, versements et virements quasiment sans frais.

De plus, Facebook vise aussi les 1,7 milliards d’êtres humains qui n’ont pas de compte en banque et seraient tentés par des alternatives.

A ce jour, le portemonnaie Novi est toujours en cours de développement.

Ce projet de Facebook peut expliquer, en partie, le fait que PayPal « ait quitté l’aventure ».

Fonctionnement et gestion du diem

Pour gérer le diem, Facebook a créé une association basée en Suisse et signé des partenariats avec des entreprises de niveau mondial. Ces partenaires détiennent un nœud de la blockchain, qui sous-tend la cryptomonnaie. En avril 2020, l’association a demandé une licence de système de paiement en Suisse à la FINMA, le régulateur helvète, l’équivalent de l’AMF en France.

Les interrogations actuelles[1] face au concept de diem

Le concept : depuis sa présentation en2019,le projet Libra a fait l’objet de plusieurs modifications tant pour le concept que pour son fonctionnement. Le changement de nom en diem en est la dernière illustration.

Les partenaires : le « tour de table » est très instable, au gré des départs et des arrivées de partenaires aux activités et aux intérêts divergents.

Les fonds d’achat des diems : l’emploi et/ou le placement des montants en monnaies fiduciaires (dollars ou euros) utilisés pour l’achat des diem ne semble pas précisé.

Le fonctionnement : comme le livre blanc diem l’indique lui-même, voir
ci-dessus « il n’existe actuellement pas de solution éprouvée capable d’offrir la stabilité́ et la sécurité́ nécessaires… » Dans ces conditions, le fonctionnement de diem, à l’échelle mondiale, nécessite encore des travaux qu’il est difficile d’apprécier.

Diem face au réseau bancaire : le Livre blanc de diem stipule « En plus d’être stable, la crypto de Facebook sera échangée de façon instantanée puisqu’elle n’aura pas besoin de passer par le réseau bancaire ».

A cette lecture, on appréciera mieux la réaction de Bruno Lemaire en 2019

“Que Facebook crée un instrument de transaction, pourquoi pas. En revanche, que ça devienne une monnaie souveraine, il ne peut pas en être question”[2]

Le 18/06/2019 sur Europe 1.

Mais depuis 2019, la situation a évolué, voir notre prochaine séquence no 5 « Les institutions financières et les banques face aux cryptomonnaies ».

Le Lugh de Casino

La synthèse ci-dessous a été réalisée à partir de différentes sources croisées et notamment 

https://www.coinhouse.com/fr/eur-l https://www.lugh.io/product-en anglais Source la newsletter « 21 Millions » éditée par Grégory Raymond,

Le Lughcréé en mars 2021 par le groupe Casino est l’un des premiers stablecoins en Europe. Il est nommé Lugh en référence au grand dieu celtique.

Lugh Lámhfada

« Lugh Lámhfada ou Lugaid ou Lugaidh ou Lonnansclech est le grand dieu celtique, très présent en Gaule, il est le dieu inventeur de tous les arts et protecteur des marchands et des voyageurs. Il couvre les 3 fonctions (sacerdotale, guerrière et productive), il est issu du mariage entre le monde de l’esprit (fils de Cian) et le monde de la matière (fils d’Ethnea). Fils de la lumière et des ténèbres. » D’après https://mythologica.fr/celte/lugh.htm Le choix du nom de Lugh, n’est pas dû à un quelconque souci d’originalité, mais il témoigne de la philosophie d’innovation commerciale du groupe Casino.

En effet, ce grand dieu celtique est à la fois :
l’inventeur de tous les arts comme le Lugh est une innovation
le protecteur des marchands comme le Lugh vise à développer le commerce
le protecteur des voyageurs comme le Lugh vise à faciliter leurs transferts d’argent à travers le monde

Lugh est aussi à la fois le nom de la société (détenue par le groupe Casino) à l’origine du projet et celui d’un stablecoin disponible seulement chez le courtier français Coinhouse,

Fonctionnement du Lugh

Le « Lugh » est adossé à une monnaie fiduciaire, l’euro, et la Société Générale détient le compte bancaire du volume d’encours soutenant le volume de « lughs » achetés par les investisseurs. Le réseau londonien PwC, avec ses cabinets d’audit, est chargé du contrôle du fonctionnement (basé sur le protocole de Tezos). Les investisseurs peuvent acquérir des lughs sur Coinhouse,

Coinhouse, spécialisé dans l’achat et le stockage de cryptomonnaies, est le premier acteur français, à être enregistré auprès de l’AMF.

Pour l’instant, il est le seul à échanger des lughs contre des euros, mais à l’avenir, d’autres prestataires de services d’actifs numériques (PSAN) réglementés par l’AMF pourront le proposer tout comme les plateformes étrangères “mais chacun devra démontrer un haut niveau de conformité”, est-il précisé dans un article de la newsletter 21 Millions

« En tant que stablecoin, le Lugh suivra un développement progressif. Il se destinera principalement aux investisseurs qui souhaitent détenir leur capital de réserve d’investissements en cryptomonnaies, sans sortir de l’écosystème blockchain sous peine d’être facturé (et imposé). »

« En cas de baisse sur les marchés des cryptomonnaies, les investisseurs peuvent échanger instantanément leurs actifs volatils contre des lughs, qui n’y sont pas soumis, pour protéger leur capital », expliquait Romain Saguy, directeur commercial de Coinhouse.

Le Lugh moyen de paiement

A l’avenir le Lugh sera un moyen de paiement et de fidélité avec l’appui de partenaires financiers et de cabinets d’audit reconnus en Europe et en France. (voir ci-dessus). Le Lugh dépassera ainsi le simple outil de trading. D’ici 12 à 24 mois Lugh deviendra un moyen de paiement et de fidélité dans les magasins, il remplacera les points de fidélité et on pourra les dépenser dans toutes les enseignes qui auront choisi de rejoindre le consortium.

Le Lugh, une monnaie virtuelle

Le but de Casino semble être de se préparer au commerce de demain.

« La vision de long terme, c’est de créer un moyen de paiement, basé sur la technologie décentralisée et sécurisée de la Blockchain afin de rendre dans un second temps les mécanismes de fidélité et autre solution de cashback interopérable entre les membres du consortium » selon Olivier Ramdane, directeur de Lugh.

Pour une appréciation approfondie de l’actif numérique Lugh (EUR_L), le premier actif numérique français adossé à l’Euro, et des garanties de sa stabilité on pourra lire la notice détaillée « Services financiers » publiée le 11 mars 2021 sur

https://www.coinhouse.com/wp-content/uploads/2021/03/LUGH-information-presse.pdf

En outre, cette notice comporte cinq rubriques, qui permettent d’approcher l’esprit d’ouverture et de rigueur de l’univers de Lugh. En effet, il allie comme le dieu celte, « le monde de l’esprit » le numérique, et celui de « la matière » la marchandise :

  • A propos de Lugh www.lugh.io
  • A propos de Coinhouse
  • A propos de PwC et Maghreb
  • A propos de Sceme
  • A propos de Tezos

Les défis du concept Lugh

1 / Le cadre réglementaire

Lugh devra s’assurer que son concept pourra toujours s’inscrire dans le cadre réglementaire français et européen. Or, les institutions financières et les banques, face à la menace des cryptomonnaies, et plus spécialement des stablecoins, peuvent modifier ce cadre, dans un sens plus restrictif et/ou concurrentiel. (Voir séquence 5)

2 / Obtenir un agrément d’émetteur de monnaie électronique

« Le prochain défi pour Lugh et son stablecoin sera d’obtenir un agrément d’émetteur de monnaie électronique, grâce auquel la startup pourra démarcher d’autres entreprises pour qu’elles intègrent et utilisent, elles aussi, l’EUR-L. » Source Clément Wardzala Rédacteur en chef de Cryptoast,

3 / L’utilisation des lughs dans des enseignes partenaires

Selon certains analystes [3]« À terme, Lugh espère attirer d’autres géants du commerce pour institutionnaliser le versement de points de fidélité sous forme de lughs. Ainsi, les clients pourront les dépenser dans l’ensemble des enseignes partenaires ». Source Grégory Raymond

Diem vs Lugh, deux stablecoins pour deux marchés et deux stratégies de développement

Il est significatif de constater que Facebook et Casino, deux entreprises de premier plan, chacune dans leur domaine, mais à des échelles d’activités très différentes, aient toutes les deux retenu les stablecoins pour leur développement international et/ou national.

Cela illustre toute l’ampleur des potentialités des stablecoins, sans frontières physiques ou virtuelles.

Cela montre aussi que Diem, comme Lugh, et comme d’autres stablecoins, sont confrontés au même défi : faire reconnaître ces cryptoactifs, comme une monnaie virtuelle au même titre que les monnaies fiduciaires physiques, bien qu’ils soient d’ordre privé et non institutionnel.


[1] En avril 2021

[2] https://www.phonandroid.com/libra-pour-bruno-le-maire-il-est-hors-de-question-que-la-cryptomonnaie-de-facebook-soit-souveraine.html

[3] Voir notamment https://cryptoast.fr/groupe-casino-premier-stablecoin-francais-euro/

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