Quick commerce 2023 : du rêve à la réalité

En janvier 2022, dans « Quick commerce[1], le temps a ses limites », un article co-écrit avec Blaise Durand Réville, nous avions conclu : « Il y a aujourd’hui beaucoup de monde sur la ligne de départ, mais qu’en sera-t-il dans trois ou quatre ans ».

Il n’a même pas fallu attendre une année pour voir des changements profonds dans la structure du marché français et européen du quick commerce.

Le ralentissement de la conjoncture, après une bouffée d’euphorie post-covid, a entraîné son cortège de licenciements et de concentrations dans le secteur du quick commerce. Les investisseurs sont devenus moins optimistes et regardent de beaucoup plus près la rentabilité future espérée. Si on ajoute à cela la prise de conscience des nuisances engendrées par le quick commerce et surtout la préoccupation croissante des Français pour leur pouvoir d’achat, le tableau a radicalement changé.

Concentration et accords dans le quick commerce

Trois rachats importants ont marqué l’année 2022. On peut noter le rachat de Frichti par Gorillas, celui de Cajoo par Flink et finalement celui de Gorillas par Getir.

Gorillas-Frichti : l’Allemand Gorillas se renforce sur le marché européen par le rachat du Français Frichti, le spécialiste des plats préparés. Certains organismes d’étude ne considèrent pas ce dernier comme un quick commerçant. En effet, il livre, contrairement à la plupart des autres acteurs, uniquement des produits transformés.

Flink-Cajoo : la société française Cajoo dans laquelle Carrefour est actionnaire est rachetée par Flink. Ce rachat entraîne la disparition de la marque.

Gorillas après avoir séduit les investisseurs n’a plus trouvé de financeur pour lui permettre – à mi 2022 – de continuer son aventure. Gorillas s’est trouvé à cours de liquidités et n’a pas trouvé, contrairement à quelques mois auparavant, un accueil favorable auprès des investisseurs. Enfin, Gorillas a été quasi obligé d’accepter, après six mois de négociation, l’offre de Getir.

Frichti et Cajoo les derniers acteurs français notables du marché disparaissent de l’univers du quick commerce.

Début 2023, il n’y a plus que trois acteurs majeurs sur le marché français : Flink (Allemand), Getir (Turque) et Gopuff (Américain) qui a absorbé le Britannique Dija début 2022.

Parallèlement à ces concentrations, l’année 2022 a été marquée par des prises de participation et des accords entre les quick commerçants et les grands distributeurs. Ces derniers ont vu tout l’intérêt pour eux de déléguer leurs livraisons à des spécialistes de la livraison rapide.

Casino a pris une participation dans Gorillas. Monoprix confie ses livraisons à Gorillas et à Amazon, Carrefour devenu actionnaire de Getir bénéficie de son accord avec Cajoo.

Enfin, un autre type d’accord liant les quick commerçants aux entreprises de livraisons de plats de restaurants s’est également développé en 2022 : Uber Eats avec Carrefour, Système U et Monop, Deliveroo avec Gorillas, Just Eat avec Getir.

Obstacles juridiques et manifestations anti dark stores

Les questions juridiques et sociales soulevées par la création de cette nouvelle forme de commerce sont nombreuses et les manifestations contre le quick commerce passionnées.

Parmi celles-ci certaines ont été particulièrement débattues :

  • statut des livreurs (travailleur indépendant ou salarié en CDI)
  • conditions de travail du personnel et surtout des livreurs (choix du véhicule de livraison, équipement vestimentaire, pression pour le respect des délais et pour la rentabilité via le nombre de courses par heure…)
  • nuisances sonores, embouteillages et dévitalisation des centres-villes où sont localisés la plupart des dark stores.

Mais la principale question juridique posée est le statut des darks stores : commerces ou entrepôts ? Cette qualification est importante car elle conditionne largement la réglementation qui leur sera appliquée :

Les définir comme des entrepôts. Cette position est défendue par les municipalités car cela leur permettrait de les éloigner des centres-villes par l’application de leur plan local d’urbanisme.
Les autoriser à avoir le statut de commerce. C’est la demande des entreprises du secteur, car cela favoriserait leur implantation au cœur des agglomérations.

L’été 2022 a été agité et la mairie de Paris a, par exemple, menacé les darks stores d’astreintes financières. Les maires des principales villes de France ont envoyé une lettre à la première ministre pour demander au gouvernement de les considérer comme des entrepôts.

Finalement, les pouvoirs publics français ont tranché. C’est l’option dark stores – entrepôts, qui a été retenue. Le décret d’application, d’abord promis pour août 2022, puis pour fin janvier 2023 n’est toujours pas publié[1]. La lenteur de cette publication s’explique peut-être par la complexité du problème, fort bien soulignée dans l’éditorial d’Yves Puget dans LSA[2].

Aux États-Unis, en revanche, les dark stores sont considérés comme des commerces ce qui les oblige à être ouverts au public[3].

Licenciements, retraits et fail

En mai 2022, au moment où tout le monde pensait que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes du quick Commerce, Gorillas annonçait 300 licenciements et sa probable focalisation sur les cinq marchés les plus potentiellement porteurs : la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas et les États-Unis. Ces pays représentent 90% du chiffre d’affaires de l’entreprise.

À peu près à la même période l’Américain Gopuff annonçait, sans plus de détail, plusieurs centaines de licenciements.

Lassés de perdre de l’argent en dépensant sans compter d’énormes sommes en communication et en promotion, les acteurs du quick commerce, probablement poussés par leurs investisseurs, se mettent à l’heure d’une gestion plus rigoureuse. 

La faillite annoncée de Kol fin 2021 s’est effectivement produite en janvier 2022.

Le Britannique Zapp, et Yango Deli, filiale du groupe russe Yandex, ont cessé leur activité en France.

Les tendances du quick commerce en 2023

Les principaux acteurs opérant sur le marché français sont aujourd’hui Getir, Flink et Gopuff. Le destin de Gorillas est maintenant lié à celui de Getir. Gorillas qui a publié ses comptes en 2021 a réalisé 9,2 millions € de chiffre d’affaires et 38 millions € de pertes (soit 4 fois son chiffre d’affaires[5].

Les enseignements à retenir et les tendances qu’on peut entrevoir pour l’avenir du marché sont :

  1. La loi du cycle de vie des marchés, elle-même inspirée du cycle de vie des produits, s’applique bien au quick commerce. Quelques pionniers (2013-2015), puis, en phase de décollage beaucoup d’entrants (2020-2022), suivie par un écrémage en phase de développement (2022…)
  2. La livraison à domicile est maintenant incontournable. Elle est entrée dans les habitudes des Français, surtout en milieu urbain, pour les jeunes comme pour les seniors. Le quick commerce répond bien à cette demande même si on constate un allongement du temps de livraison (passage de 10 minutes vers 1 h).
  3. Une gestion plus stricte des entreprises se traduisant par moins de dépenses publi-promotionnelles, pourtant nécessaires pour se faire connaîitre, un personnel sous pression, et un modèle d’affaires qui se cherche encore (rallongement du temps de livraison), développement en franchise comme le propose Getir.
  4. La nécessité de choisir les marchés géographiques les plus rentables. L’expérimentation essai-erreur est maintenant quasi terminée et les retraits devront être bien organisés.

    Rappelons que les mouvements possibles pour se désengager d’un marché sont soit :
    – le retrait sec, avec licenciement du personnel ;
    – la vente des actifs et du portefeuille de clients à un concurrent ;
    – la signature d’un accord d’exploitation de la marque ou de franchise avec une entreprise locale.
  5. Un consommateur obligé de veiller à son budget. Face à la baisse de son pouvoir d’achat le consommateur est devenu beaucoup plus regardant sur ses dépenses quotidiennes. Il est pris dans le dilemme commodité/prix. Les invitations pour des apéritifs impromptus, mais coûteux, sont moins fréquentes. Le quick commerce semble être devenu un moyen de dépannage. Selon une étude réalisée en 2022 par Foxintelligence à partir des meilleures ventes de Gorillas, Flink et Gopuff, les produits plébiscités sont de faible valeur unitaire et permettent un repas léger et peu onéreux : l’avocat, la banane, la mozzarella, les œufs et le coca-cola !
  6. Une nécessaire rationalisation de la gestion. La plupart des quick commerçants n’ont pas encore renoncé à leur politique de prix de vente qui, même s’ils sont promotionnels, ne couvrent pas leurs coûts. Ils mettent en avant des « prix similaires à ceux des hypermarchés alors que leurs frais de distribution sont bien supérieurs à ceux de ce type de commerce : environ 16,5% contre 12%. Enfin, rien n’est fait pour diminuer les ruptures de stocks, véritable gangrène de ce type de commerce, et source de mécontentement des clients.
  7. Tout peut encore changer, mais il semble que nous soyons rentrés dans une période de plus grande stabilité. La réalité économique prévaut dorénavent, car les investisseurs sont passés du rêve d’un marché ultra rentable à une réalité exigeant une rentabilité raisonnable. Du rêve à la réalité !

Un marché en perpétuel changement

Le quick commerce restera toujours un marché de niche même si le périmètre de sa définition s’élargit (on passe de 15-20 minutes à 1 heure et même à 24 h dans certains cas) et même si son assortiment s’ouvre au non alimentaire de dépannage.

Après Amsterdam et Rotterdam en 2022, c’est au tour de Barcelone de se fermer au quick commerce[6], ce qui confirme le rétrécissement du marché européen qui devient, sans aucun doute, un marché de niche. 

L’histoire du quick commerce est tellement pleine de rebondissements que nous serons probablement amenés à compléter l’an prochain l’analyse de ce nouveau type de commerce.


[1] Quick commerce : livraison très rapide de courses du quotidien, en moins de 20 minutes, à partir d’un mini entrepôt local, appelé dark store.

[2] Les impératifs de remise de notre article ne nous permettent pas d’attendre plus longtemps.

[3] LSA du 17 janvier 2023, NRF 2023 : à New York, le quick commerce accueille malgré lui ses clients en magasin.

[4] Yves Puget, De la régulation avant tout pour les dark stores, LSA, 12 septembre 2022. 

[5] Voir LSA, 2 novembre 2022, Jamal El Hassani, Quick commerce : le maigre bilan de Gorillas en France.

[6] LSA, 30 janvier 2023, Lélia de Matharel, Les dark stores n’ont plus droit de cité à Barcelone

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