Quand l’usage du français en publicité se perd au profit de l’anglais et du globish : entre précieuses ridicules, et destruction de la diversité culturelle et linguistique

Paru en mars 2023, au moment de la journée de la francophonie du 20 mars, l’avis du CEP (Conseil de l’Ethique Publicitaire) de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) « Diversité linguistique et culturelle et publicité »[1] entre en résonance avec les préoccupations de l’Académie des Sciences Commerciales. Au moment de l’ouverture de la Cité internationale de la langue française au Château de Villers-Cotterêts, il nous a paru intéressant de préciser ci-après les grandes lignes de cet avis.

En France, l’usage croissant de l’anglais tel qu’il est pratiqué dans les publicités soulève des questions quant à l’accessibilité des messages qu’elles véhiculent et à la préservation du français. Il s’agit de déterminer ce qui se joue dans le non usage du français et donc dans l’utilisation souvent injustifiée d’un anglais dénaturé et quels types de recommandations pourraient permettre au monde publicitaire d’éviter de tomber dans les travers analysés ici.

L’usage du français encadré par des règlementations, régulations, sensibilisations

Rappelons que des cadres réglementaires et des recommandations existent relatifs à l’utilisation des langues étrangères en général et pour la publicité en particulier, parmi lesquels la loi Toubon, la déclaration de l’Unesco de 2005, le rapport de l’Académie française de 2022, les directives de l’ARPP, sans oublier le dictionnaire de l’Académie des Sciences Commerciales, qui promeut l’usage de termes en français et propose pour tous les termes du commerce et du marketing des traductions en quatre langues : anglais, allemand, espagnol, italien[2] et on remarquera aussi l’article de son Président, Jean-Paul Aimetti qui s’interroge sur le rayonnement du français et en particulier du français des affaires[3]. Les perceptions de la population, révélées par une étude du Credoc[4], sont largement négatives puisque deux tiers des Français se déclarent gênés dans leur compréhension des messages par l’utilisation de l’anglais dans les publicités et que sept Français sur dix estiment que la langue française se détériore dans les médias et les réseaux sociaux.

Non usage du français au profit de l’anglais en publicité : les précieuses ridicules

Au sein du marché publicitaire, quelques voix peu audibles évoquent le ridicule souvent assorti de prétention de certains slogans, pour lesquels le non-usage du français est injustifiable, particulièrement lorsqu’ils s’adressent aux Français et plus encore lorsqu’elles émanent d’entreprises françaises. Par exemple[5] :

  • La Poste Ma French bank – Compte We start pour les 12-17 ans – La french plaquette tarifaire – Les french conseillers (2022)
  • YSL pour Opium Libre. Freedom doesn’t wait (2019)
  • Chaumet Crown your style (2022)
  • Jules Men in progress (2022)
  • The Kooples Unauthorized tshirt (2022)
  • Dassault Systèmes The 3DEXPERIENCE Company (2023)

Pourquoi succomber à la fascination de l’anglais au détriment de l’usage du français. 

La présence de l’anglais dans les slogans et les campagnes publicitaires des entreprises, étrangères ou françaises, s’explique en partie par l’histoire de la mondialisation des annonceurs ou des groupes de communication qui les conseillent, et la volonté des entreprises de réduire leurs coûts en uniformisant leurs campagnes publicitaires à l’échelle mondiale. Cependant, depuis les années 2000, une nouvelle forme de mondialisation, la mondialisation « identitaire » décrite par Dominique Wolton, semble aller à l’encontre des stratégies de marque et de positionnement uniques, faisant émerger des remises en cause des contrats globaux par les annonceurs mêmes qui les avaient souhaités, conscients qu’ils sont du déficit de créativité qu’ils ont pourtant contribué à installer dans les réseaux globaux d’agences.

Malgré une tendance croissante à l’usage des réalités culturelles locales et linguistiques dans les campagnes publicitaires internationales, une fascination persistante pour l’anglais et les anglicismes demeure. Ces derniers sont souvent perçus comme modernes et innovants, et sont poussés par les marques elles-mêmes, qui exercent une pression sur leurs agences pour incorporer des tournures anglaises dans leurs messages. La prétendue modernité associée ne fait l’objet d’aucune réflexion et d’aucun questionnement. La conviction en la matière est si forte qu’elle fonctionne comme une croyance absolue. Paradoxalement, il est par ailleurs frappant de remarquer qu’un des genres musicaux les plus populaires parmi les jeunes en France est le rap en français, qui réinvente et enrichit la langue française[6]. Cela remet en question l’idée selon laquelle l’utilisation de l’anglais serait nécessaire pour paraître moderne et « faire jeune ». Sans oublier que l’utilisation excessive d’anglicismes et de jargon peut être perçue comme ridicule et méprisante, en mettant à distance des groupes importants de personnes qui ne comprennent pas ce qui est dit. Elle peut de plus détruire la langue du pays si elle n’est pas préservée.

Même au plus haut niveau !

Dans la mesure où le recours à ces anglicismes n’enrichit la langue, on ne peut pas soutenir qu’il favoriserait la diversité. Favoriser la diversité linguistique est essentiel pour favoriser l’acceptation de l’altérité. La préservation des langues et des cultures est un moyen de libérer les individus et de promouvoir la paix. Cependant l’utilisation de l’anglais dans ce qu’elle a d’hégémonique menace cette diversité linguistique. Le problème n’est pas l’anglais en soi, mais la préservation de toutes les autres langues.

L’usage croissant de néologismes et d’anglicismes par les « élites de la nation », y compris le Président et les membres du gouvernement, est également préoccupant[7]. L’Académie française a souligné cette préoccupation dans un rapport, et note le manque de sensibilisation des institutions à ce sujet. L’usage de l’anglais globish est également remis en question, car il conduit à parler pour ne rien dire et à tenter de se distinguer sans exprimer aucun concept… tout en faisant semblant de le faire. Cela conduit à une uniformisation du langage, à un appauvrissement des langues, à une réduction de la pensée en privant les mots et les expressions de toutes les nuances que véhicule la langue maternelle. En mettant par ailleurs en avant une prétendue simplification que permettrait l’anglais, on confine au simplisme.

Quinze recommandations et idées en faveur de l’usage du français en publicité

Pour promouvoir l’utilisation de la langue française dans le domaine de la publicité et lutter contre l’usage excessif des anglicismes, plusieurs recommandations sont proposées par le CEP : sensibiliser tous les acteurs de la publicité à la richesse de la langue française, impliquer tous les niveaux de la société, et mobiliser les consommateurs. Pour illustrer ces recommandations, quinze idées originales sont alors détaillées, allant de la création d’un concours entre agences de publicité sur le thème de la chasse aux anglicismes, à l’organisation d’une journée sans globish, en passant par la sensibilisation des étudiants des écoles de commerce et universités, sans oublier les thématiques d’intégration de la diversité culturelle et de respect du français dans les politiques RSE des entreprises[8].

En conclusion, la diversité linguistique et culturelle est un enjeu majeur dans le monde de la publicité. Il est nécessaire d’ouvrir le dialogue sur cette question avec d’autres instances d’autorégulation de la publicité en Europe et à l’international, de mettre en place des outils de mesure et de déployer des recommandations à l’échelle mondiale. Comme le rappelle Dominique Wolton, les peuples peuvent vouloir s’ouvrir au monde moderne sans sacrifier leurs racines culturelles.


[1] https://www.cep-pub.org/avis/diversite-linguistique-culturelle-et-publicite/

[2] Dictionnaire disponible sur https://academie-des-sciences-commerciales.org/le-dictionnaire-commercial/

[3] https://academie-des-sciences-commerciales.org/quel-avenir-pour-le-francais-des-affaires/

[4] https://www.credoc.fr/publications/le-multilinguisme-en-france-aujourdhui-opinion-usages-pratiques-2021

[5] Davantage d’exemples sont cités dans l’avis référencé ci-dessus

[6] https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/10/23/le-rap-est-un-braquage-de-la-langue-c-est-de-la-poesie-qui-s-ecoute-comment-les-rappeurs-reveillent-le-francais_6146973_4497916.html

[7] On peut mentionner Start up nation ou Health Data Hub (= Plateforme des données de santé –expression anglaise interdite à partir du 20 avril 2023)

[8] Pour le détail des quinze propositions du CEP, voir l’avis présent sur le site :

https://www.cep-pub.org/avis/diversite-linguistique-culturelle-et-publicite/

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