C’est en parcourant tout centre-ville, grande cité ou petite bourgade, que l’on peut voir les oubliés de la transformation numérique dans le commerce. Ces commerces ont différentes activités, ils sont bien ouverts, avec du passage, une clientèle, du chiffre d’affaires. Pourtant, passé cette présence physique, aucune indication d’une présence virtuelle et on ne les trouve pas ou peu sur la toile excepté sur des sites d’annuaires téléphoniques. Dans certains cas, une fiche « Google My Business » est renseignée avec au mieux l’adresse, téléphone, voire jours d’ouvertures, horaires et photos.
Mais point de site dédié actif, de — réelle — présence sur les réseaux sociaux, d’application mobile, gestion des avis, actualités en cours ou accueil multilingues. On ne parle pas non plus de communication sur la toile pour faire connaître son existence, annoncer des produits, des prix, des prestations, des services ou offres commerciales, gestion du service après-vente où prise de contact avec la clientèle.
Alors pourquoi cette inexistence numérique ? Quelles en sont les raisons ? Un commerce avec une activité difficile à suivre ? Une clientèle non présente sur le numérique ? Un manque supposé de besoin ou d’intérêt des clients ? Un choix budgétaire ? Et après tout, pourquoi pas, une transformation numérique arrêtée, ratée, mal comprise ?
Transformation numérique choisie ou subie, la réponse se retrouve souvent dans le cumul de raisons variées.
Essayons de voir ensemble les différentes possibilités.
Des raisons spécifiques à l’activité exercée ?
Disons-le de suite, mis à part les aspects financiers, aucune activité n’est impossible à activer puis à suivre sur la toile. Que ce soit la présentation du métier, des produits vendus, des services ou prestations, animation d’un fil d’actualité, suivi clients ou S.A.V., rien n’est impossible à réaliser. Ce n’est donc pas pour cette raison que l’on trouvera des commerces « oubliés » dans la transformation numérique.
Ce qui peut être difficile ce n’est pas tant l’activité elle-même mais les transformations préalables et nécessaires à un suivi et à leur la mise à disposition, des informations souhaitées pour des personnes extérieures à l’entreprise (internautes, clients, fournisseurs). Description complète et présentation des produits, photographies utiles et vendeuses de ceux-ci, suivi de la disponibilité en temps réel ou décalé, gestion de la relation client et réponses apportées ne sont ici bien évidement que quelques exemples basiques aujourd’hui sur une application numérique.
Autant que l’investissement initial à faire, les autres priorités quotidiennes au fonctionnement d’un commerce, la réflexion nécessaire à avoir, des choix d’organisations à repenser où le temps pris pour ces tâches, voire une cession programmée, un départ à la retraite peuvent expliquer l’inexistence de sites internet même seulement avec un simple contenu dynamique et renouvelé.
Une transformation numérique en commerce, comme pour toute entreprise, vise pour l’entreprise à être plus efficace et rapide, mieux organisée et se démarquer d’une concurrence connue ou inconnue (celle du digital). Recruter de nouveaux clients, vendre mieux et plus, connaître les clients existants pour avoir où améliorer le fameux 1/4h d’avance sur ses concurrents est ensuite l’autre finalité parallèle en commerce. Ainsi dans le cas de commerce de proximité, ce n’est pas la concurrence inconnue, celle du numérique éloignée du magasin qui focalise spontanément l’attention du commerçant mais ses concurrents physiques et proches de chez lui. L’intérêt du numérique, s’il n’est pas évident pour lui dans le cas où la population est peu numérisée dans les usages, devient primordial lorsque son bassin d’habitants proche l’est. Ne pas avoir sensibilisé progressivement les commerces sur le changement de paradigme pour gagner – et ne pas perdre- de clients est une premières causes de l’existence des oubliés de la transformation numérique.
Des raisons extérieures au commerce ? Une clientèle non présente sur le numérique ?
Là encore, sans tomber dans des clichés générationnels faciles et trompeur, ce n’est plus une raison valable. D’un côté, l’équipement internet et smartphone est très bien diffusé maintenant sur l’ensemble des tranches d’âges et les abonnements à l’internet et sur mobile sont parmi les moins chers d’Europe. L’utilisation du numérique est quotidienne est devenu le support de communication le plus direct et rapide pour s’adresser à sa clientèle. De l’autre, l’Etat a pris la estimer le changement à enclencher et prodiguer des aides et conseils sur l’accompagnement à mettre en place. Ce qui peut faire débat, ce n’est donc pas la clientèle mais la compréhension pour le commerçant lui-même de son intérêt à effectuer la transformation numérique de son commerce.
Et c’est là, un point quasiment jamais abordé lors d’une transformation numérique, c’est le coût récurrent d’une transformation. Car le numérique n’a jamais été inclus initialement dans le fonctionnement du magasin ou du commerce et il n’existait pas pour beaucoup d’entre eux au démarrage de l’activité. Autant il peut être compris et vu comme un investissement nécessaire, autant il n’a jamais été perçu comme une charge d’exploitation nécessaire constante d’année en année. Ainsi, passé la première année, le budget n’est pas prévu pour faire évoluer les applications et supports, renouveler des contenus numériques, adapter l’organisation. Des commerçants ont souvent cette réflexion : « Je ne suis pas un grand groupe et dois gérer au mieux mes ressources. Pourquoi, encore remettre de l’argent sur un domaine qui n’a souvent pas encore montré sa rentabilité directe et immédiate dans le chiffre d’affaires de mon magasin ? N’ai-je pas d’autres investissements extrêmement concrets et plus important à privilégier ? ».
Bon nombre de commerces n’ont pas forcément intégré que les efforts financiers, d’organisation, de formation et de temps n’étaient pas que sur la première année mais permanent, répété et provisionné, comme une charge indispensable de fonctionnement.
On arrive là au deuxième point pouvant expliquer ces magasins sans — réelle — présence numérique ; c’est que j’appelle « l’effet boule à neige ». Vous savez, cette petite boule à neige avec un paysage que l’on secoue, pour ensuite regarder la neige tomber. C’est joli certes, et au bout de 10 mn on revient à la situation de départ. Et bien, c’est exactement la même chose ici. Passée la première année avec des changements, l’adage « chassez le naturel, il revient au galop » prend alors toute sa place. Le commerce reprend peu à peu son fonctionnement d’avant avec certes quelques avancées pour le client mais qui s’émoussent avec le temps (produits de Noël toujours publiés à Pâques, horaires plus valables, ouvertures jours fériés non renseignées, …).
Un manque supposé de besoin ou d’intérêt des clients ? Un choix budgétaire ?
Si l’on a pu constater une vraie bataille pour convaincre dans les années 2000 au sein des groupements d’indépendants d’investir le terrain de l’internet, le questionnement n’a plus cours aujourd’hui dans ces associations et coopératives. Par contre il s’est déplacé sur d’autres sujets comme la répartition entre le national et le local, de l’utilisation des budgets, équipes dédiées et applications.
La difficulté permanente pour un commerçant, jeune ou expérimenté, est dans la perception des besoins de ses clients, en résumé « avoir le sens du commerce ». Dans le cas du numérique, selon l’activité du commerce, il est difficile de voir si un client aura un réel intérêt à retrouver son petit commerce et avec quelles informations.
Les fédérations de chaque activité ont bien enclenché des cellules et missions sur le sujet mais sans réussir à convaincre leurs adhérents à inclure en permanence le numérique comme la deuxième vitrine du magasin, ouverte 24/24, 7/7, sans réglementation et taxe sur l’éclairage.
Les manqués d’une transformation numérique ?
C’est le troisième point : une transformation ne réussit pas systématiquement. C’est un sujet qu’aucun acteur concerné ne met en avant car il y a très peu d’audits sérieux sur une transformation menée. Le commerce concerné, aussi petit soit-il, n’a ensuite plus de temps à consacrer à ce retour d’expérience et le prestataire en charge ne provisionne pas un budget sur cette première phase de transformation, forcément plus à risque pour lui. Les principaux points faibles que j’ai rencontrés viennent, dans :
- Des lacunes dans la phase préalable de préparation : comme pour des travaux préparatoires à la construction d’un immeuble, c’est la phase la plus importante d’une transformation. L’analyse du pourquoi et but de la transformation, identification claire des valeurs et forces de l’entreprise, du dirigeant, éventuellement formation des collaborateurs (on est dans un commerce de petite taille) et modification de l’organisation, des routines.
- Un manque de réaction dans la phase de suivi opérationnel des premiers mois : adaptation des routines quotidiennes aux réalités du terrain, suivi des dirigeants, mauvais séquençage de mise en place.
Enfin et c’est une conséquence des points précédant, une transformation numérique arrêtée. Un arrêt dans les phases préparatoires pour raisons multiples (disponibilités commerçants, budget, aléas d’activité,…).
Alors qui sont ces « oubliés du numérique » ?
Des noms ? Ce sont majoritairement des commerçants indépendants sur des activités précises. Sans aucunement les pointer du doigt, on trouvera pêle-mêle, des cordonniers, serruriers, fleuristes, antiquaires, friperie, dépôt-vente, buralistes, papetiers, retoucheries couturiers, …
Les groupements d’indépendants sont ceux généralement qui profitent le plus d’un plan de transformation numérique, le pragmatisme commerçant de l’indépendant rejoint les règles et support de fonctionnement.
Pour conclure, je remarque que les petits commerces comptent plus parmi les oubliés de la transformation numérique. De leur côté, les grands groupes et ETI ont mis plusieurs années à intégrer le fait d’un besoin soutenu dans la transformation numérique.
À la question de savoir quand s’arrête une transformation numérique, on peut dire aujourd’hui qu’il n’y en a pas de fin. Tous les nouveaux sujets liés à l’Intelligence Artificielle montrent bien que la Transformation Numérique n’est jamais finalisée.