Les entreprises commerciales ont-elles une « fonction consumériste » ?

Article qui pose l’intéressante question de savoir si les entreprises vendeuses sont ou doivent être parties prenantes dans la démarche de consumérisme. La réponse a varié dans le temps.

Qu’est-ce que le consumérisme ?

Il faut souligner d’emblée que des définitions très diverses sont données du consumérisme, mais il faut observer que toutes ces définitions se réfèrent, sans exception aucune, à la défense des droits des consommateurs. Alors, quels sont ces droits ? Ils peuvent, pour l’essentiel, être définis comme suit : droit à l’information, droit à la sécurité, droit à la santé, droit à la justice, droit à l’équité, droit à l’égalité, droit à être non seulement entendus mais surtout écoutés dans l’énoncé de leurs revendications. Et il s’agit, notamment, de garantir le respect de ces droits dans le cadre des actes d’achat de biens ou de services posés par ces consommateurs dans les magasins des entreprises de distribution, mais également dans le cadre des relations que ces consommateurs ont avec les administrations et les prestataires de services divers, que ces services soient assurés par des instances publiques ou privées.

Dans le cadre de cette réflexion, il est intéressant de se rappeler que, dès 1915, le consumérisme avait été défini à l’Université d’Oxford comme étant un plaidoyer en faveur du respect des droits et des intérêts des consommateurs. Et si l’on remonte au XIXe siècle, lorsque furent créées les premières Coopératives de consommation, on retrouve bien évidemment dans ce concept cette même idée de faire en sorte que les intérêts des consommateurs soient mieux pris en considération. Cependant, c’est au cours des premières années du XXe siècle, qu’une étape importante fut franchie dans la genèse de cette philosophie particulière, lorsque plusieurs instances virent le jour aux Etats-Unis et dans divers pays européens, qui affichaient résolument pour vocation d’intervenir en toutes circonstances afin de protéger les consommateurs. Les premières dispositions légales en la matière vont suivre et les associations de consommateurs se multiplier, qui revendiquent une mission d’information, de conseil et de défense de leurs membres.

Il ne fait aucun doute que le développement spectaculaire de l’économie après la seconde guerre mondiale et l’avènement de la distribution moderne, ont contribué de façon déterminante à susciter chez les consommateurs et dans ces associations nouvelles faisant profession de défendre leurs intérêts, une volonté croissante de créer une sorte de contre-pouvoir face à l’industrie et au commerce. Et leur démarche s’est articulée notamment et assez rapidement autour des actions suivantes : études comparatives des prix, analyses qualitatives des produits, examen des modalités d’information des consommateurs, recherches comparatives dans le domaine des crédits à la consommation, remise en cause de la nature et de la fonction des emballages, et bien d’autres initiatives ayant un caractère d’investigation au niveau des politiques et des stratégies commerciales des entreprises de production et de distribution, n’excluant pas, le cas échéant, la recommandation de certaines actions de boycott de marques ou de produits mis en cause, et même dans certains cas extrêmes, d’actions devant les tribunaux.

Bien évidemment, s’inscrivant dans le contexte de marchés désormais hautement compétitifs qui incitent les entreprises à intensifier et diversifier leurs actions de séduction des consommateurs, cette conception du consumérisme s’est développée dans une direction pouvant avoir un caractère conflictuel et, de ce fait, susceptible de n’être pas bénéfique pour les trois grands partenaires que doivent être les producteurs, les distributeurs et les consommateurs.

A la recherche d’une éthique commerciale nouvelle


Devant une telle situation, et parce qu’il faut raison garder, les entreprises de distribution ont développé des campagnes de communication nouvelles visant non seulement à informer mieux, mais aussi à rassurer, leurs clients consommateurs. Sans remettre en cause la nécessaire prise en compte des aspirations et des intérêts fondamentaux de leur clientèle, et la légitimité qui est celle de leurs clients d’organiser la défense de leurs intérêts, ces entreprises se sont appliquées, toujours davantage, à comprendre et à satisfaire ces attentes et ces besoins de consommateurs toujours plus exigeants. Et, ce faisant, dans le cadre de leur recherche d’une meilleure stratégie commerciale orientée vers ces consommateurs, dont elles aspirent à faire leurs clients fidèles, elles sont devenues progressivement, et parfois inconsciemment, partie prenante dans la démarche consumériste.

Parce que le consumérisme entend garantir un choix raisonné et judicieux des consommateurs lors de leurs actes d’achat, il devient ainsi évident pour tous que la clarté de l’offre, et en particulier la nature précise du rapport qualité-prix de tous les articles proposés, doit être considérée comme un impératif absolu. Et parce que, dans le cadre de cette philosophie nouvelle, l’éthique commerciale doit prévaloir, il importera désormais que les consommateurs puissent identifier de façon formelle la valeur intrinsèque des produits et des services qui leur sont proposés. On ne pourra ignorer, notamment, le rapport qualitatif qui doit exister entre le produit et son emballage, ainsi que la contribution effective de l’un et de l’autre à la fixation du prix de vente de l’article. Enfin, parce que le pouvoir de la publicité n’est plus à démontrer, de même que la force persuasive des actions promotionnelles, il importera que toute démarche de cette nature s’inscrive dans le cadre d’une politique d’entreprise résolument fondée sur une éthique commerciale respectueuse des consommateurs et de leurs légitimes revendications.

Dès lors, sans remettre en cause les aspects positifs des initiatives qui ont été et qui sont prises par les organisations de défense des consommateurs afin de lutter contre certains abus et certaines pratiques commerciales apparues dans les sociétés de consommation, il importe donc de voir dans le consumérisme d’aujourd’hui une philosophie de bonne conduite à laquelle adhèrent les producteurs, les distributeurs, les consommateurs, ainsi que les diverses instances qui ont pour vocation de défendre les intérêts spécifiques des uns et des autres. C’est pourquoi il incombe notamment aux entreprises de mettre en place de véritables services aux consommateurs ayant pour finalité essentielle la satisfaction de ces derniers. Car elles ne peuvent oublier, qu’à côté de leur vocation économique, elles ont aussi une vocation sociale, et c’est celle-ci qui justifie pleinement qu’elles développent une authentique fonction consumériste.

Les entreprises et leur fonction consumériste


Si, comme le précise le Dictionnaire Commercial élaboré par l’Académie des sciences commerciales de France, le consumérisme est, de fait, la protection des intérêts des consommateurs par des actions collectives, il importe de souligner que celui-ci se situe sur les trois plans suivants : un « plan privé », dans le chef notamment d’organisations de consommateurs à vocation de représentation et de défense des intérêts de ces consommateurs auprès des pouvoirs publics, des secteurs professionnels et des instances juridiques ; un plan « public », dans le chef de diverses institutions publiques à vocation d’information et de protection des consommateurs ; et un plan « juridique », enfin, concrétisé par l’émergence d’un véritable droit de la consommation répondant aux besoins nouveaux de l’information, de la protection et de la participation effective des consommateurs dans la vie économique.

Dans ce contexte, il s’agit, dès lors, de répondre avec une totale objectivité aux questions suivantes : Quelle doit être la position des entreprises, et en particulier des entreprises du commerce, dans ce nouvel environnement économico-social ? Quel rôle doivent-elles jouer dans cette prise de conscience généralisée des intérêts spécifiques des consommateurs, dans la recherche de leur sauvegarde et de leur satisfaction ? Et, finalement, peuvent-elles réellement et objectivement prétendre faire partie de la démarche consumériste?

Sans aucun doute, les réponses à ces questions doivent résolument avoir un caractère positif et il importe que toutes les parties en cause en soient persuadées. Il faut dire, d’ailleurs et d’emblée, qu’il ne s’agit pas et qu’il ne peut s’agir en aucun cas, d’une quelconque «récupération» du mouvement consumériste. La vocation première et fondamentale de la distribution a toujours été de mettre à la disposition des consommateurs les produits et les services dont ils ont besoin dans les conditions les meilleures de lieu, de temps, de clarté de l’offre, et naturellement de rapport qualité-prix. Et il doit être, pour tous, d’une totale évidence que cette doctrine est l’expression même de la démarche consumériste.

Cela étant, il faut aussi souligner que le rôle d’intermédiaire qui est celui des distributeurs, entre producteurs et consommateurs, enrichit encore cette vocation qui est la leur de contribuer à de meilleures conditions de vie de la population et à une meilleure prise en compte des intérêts fondamentaux des consommateurs ; et ceci est bien, à l’évidence, la raison d’être du consumérisme. En première ligne pour percevoir les aspirations au niveau de la consommation, pour détecter les évolutions des comportements d’achat, pour informer en aval sur les aspects qualitatifs et sur les opportunités de prix ; les entreprises de distribution contribuent également à la promotion des intérêts des consommateurs par la répercussion vers l’amont, vers les entreprises de production, des attentes de leur clientèle commune.

En réalité, les entreprises de distribution vont en permanence à la rencontre des aspirations des consommateurs, non seulement au niveau de la nature, de la qualité et du prix des produits et des services qu’elles leur proposent, mais aussi par une adaptation constante de leurs structures et de leurs méthodes, de leurs magasins et de leurs prestations. Et c’est bien cette recherche fondamentale et permanente d’une meilleure satisfaction des consommateurs, qui rend légitime la fonction consumériste du commerce.

Léon F. WEGNEZ
(correspondant de l’Académie pour la Belgique)
décembre 2018

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