Dans un contexte de ruptures multiples, la vitesse devient cruciale. Il s’agit de rester agile et d’innover pour s’adapter rapidement face à ce nouveau contexte. En d’autres termes, il faut être à même de pouvoir évoluer rapidement dans un environnement en pleine mutation. Dans cet environnement, l’agilité devient la plupart du temps une priorité.
Pour Cécile Dejoux, Professeure des Universités au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), « l’agilité est synonyme de souplesse, vivacité, légèreté. En fait, l’agilité […] est un état d’esprit. C’est un mode opératoire, c’est ce qui permet de réussir la mise en œuvre de la transformation numérique ». Selon cette professeure, l’agilité concerne à la fois l’entreprise, les méthodes et les compétences des managers.
Une entreprise Agile vise à s’adapter rapidement aux changements du marché, à répondre efficacement aux besoins des clients et à favoriser l’innovation continue. Toutefois, cette agilité organisationnelle, qui permet entre autres de mobiliser rapidement une réponse aux attentes variées des clients (Kasarda et Rondinelle, 1998), n’est pas sans défis.
Ainsi, après avoir analysé le concept d’agilité en entreprise et ses enjeux, nous examinerons les défis auxquels une entreprise Agile peut être confrontée.
I. L’Agilité en entreprise
« L’Agilité est la capacité d’une organisation à enchanter ses Clients et ses Employés, tout en s’adaptant – à temps – aux changements de son environnement »
Jean-Claude Grosjean
Eric Brangier et Jean-Claude Grosjean, auteurs de l’ouvrage « Psychologie du Travail et des Organisations (2024) », rappellent que le concept d’agilité apparaît pour la première fois dans les années 1990. Ils précisent que cette notion, « initialement pensée pour le secteur industriel (Agile manufacturing) va s’étendre à l’entreprise (Enterprise agility) puis aux théories de l’Organisation (Organizational agility) pour toucher aussi la culture d’entreprise (Cuture agile) en mettant l’accent sur la création de valeur pour le client final et sur le bien-être des employés ». Dans un autre ouvrage intitulé « Culture agile : Manifeste pour une transformation porteuse de sens et cohérente de l’entreprise », Jean-Claude Grosjean écrit : « Agilité et transformation permanente sont au cœur des préoccupations des entreprises depuis la « Startup », en anglais, jusqu’au Grand groupe ».
A la lumière de ces explications, nous constatons que l’Agilité couvre de nombreux domaines d’application. Elle n’est pas spécifiquement liée au domaine de l’informatique mais plutôt à la volonté de transformer les organisations en général. C’est avec la publication du Manifeste Agile en 2001 que le terme a été popularisé dans le domaine des technologies de l’information.
Le but affiché des méthodes Agile comme Scrum (voir glossaire) est de maximiser la valeur ajoutée : le développement s’effectuant par itérations successives, il est possible, à la fin de chaque itération, de changer les priorités en faisant en sorte que les éléments apportant le plus de valeur soient réalisés en premier.
1.1. Les quatre valeurs fondamentales du Manifeste Agile
Le Manifeste Agile met en avant quatre valeurs clés : 1) les individus et les interactions plutôt que les processus et les outils. Jim Highsmith, l’un des auteurs du Manifeste Agile, a souligné l’importance de privilégier les personnes plutôt que les processus. Les équipes Agiles accordent plus d’importance au travail d’équipe et à la collaboration qu’au travail en solo ; 2) produit fonctionnel plutôt qu’une documentation exhaustive. Agile se concentre sur la création de produits qui répondent aux attentes même avec une documentation minimale mais essentielle ; 3) la collaboration avec le client plutôt que la négociation de contrat. Les clients sont un élément essentiel de la méthode Agile. La coopération du client est plus cruciale que les détails d’une négociation contractuelle ; 4) réagir au changement plutôt que de suivre un plan strict. La flexibilité de l’approche Agile augmente l’adaptabilité aux nouveaux besoins.
1.2. Qu’est-ce qu’une entreprise Agile ?
Pour Olivier Badot, Professeur à l’ESCP Europe et à l’Université de Caen, membre de l’Académie des Sciences commerciales, « Les hommes et les femmes de l’entreprise agile sont — par leur connaissance intime des clients et de l’environnement, par leurs savoir-faire en permanence affûtés, par leur imagination et par les initiatives qu’ils sont autorisés à prendre pour satisfaire de façon originale le client — la principale source de différenciation et de performance commerciale de l’entreprise » (Théorie de « l’Entreprise Agile », 1998).
Une entreprise Agile est une organisation capable de s’adapter rapidement aux changements du marché, des technologies, des besoins des clients et des défis internes, tout en continuant à fournir de la valeur de manière efficace et efficiente. Elle s’oppose à une entreprise aux méthodes traditionnelles rigides en valorisant une approche centrée sur le client, une culture adaptative, une prise de décision décentralisée, des équipes composées de personnes aux compétences diverses, des processus allégés et itératifs, une communication transparente et une forte teneur technologique.
Ces différentes caractéristiques attachées à une entreprise Agile permettent à cette dernière une accélération de la mise sur le marché, une satisfaction accrue des clients, une meilleure collaboration entre les équipes, une innovation intensifiée et une meilleure gestion des risques.
Entreprise Agile versus entreprise traditionnelle
| Caractéristiques | Entreprise Agile | Entreprise traditionnelle |
| Gestion du changement | Gestion continue et intégrée | Peu fréquente et souvent contestée |
| Structure organisationnelle | Equipes horizontales et interconnectées | Hiérarchique, en silo |
| Cycle de livraison | Court, itératif | Longue, séquentielle |
| Réponse à la demande du marché | Rapide, proactive | Lente, réactive |
1.3. Comment définir un manager Agile ?
Pour le Professeur Jérôme Barrand, auteur de l’ouvrage le « Manager Agile – Agir autrement pour la survie des entreprises » (2025), « l’agilité est un mode de management actif et proactif, utile aux organisations devant mettre au point leur stratégie du changement et rester compétitives ».
Vincent Ducrey et Emmanuel Vivier, dans leur ouvrage « Le guide de la transformation digitale (2019), en donnent la définition suivante : « C’est un décideur qui va s’adapter, mais plus vite que les autres. Véritable leader, il doit inspirer, incarner et accompagner ses collaborateurs pour inventer chaque jour l’entreprise de demain. Il est prêt à sortir du cadre, à se remettre en cause comme à défier les habitudes ». Les auteurs caractérisent le manager Agile selon cinq particularités : 1) l’innovation débrouillarde et partagée. Pour illustrer la « débrouillardise », les auteurs font référence à Navi Radjou qui, dans son ouvrage intitulé « Innovation Jugaad » (2013) coécrit avec Simone Ahuja et revisité en 2023 par l’ouvrage « L’innovation frugale » , souligne « qu’avoir l’esprit Jugaad signifie faire preuve de débrouillardise et d’adaptabilité face aux contraintes rencontrées ; 2) l’expérimentation bienveillante qui consiste à « créer un climat de confiance, de transparence et de permettre le droit à l’erreur » ; 3) la vélocité qui est la quantité de travail réelle qu’une équipe peut effectuer au cours d’un seul sprint (voir glossaire) ; 4) la collaboration et le collectif et non l’individualisme et le carriérisme ; 5) le feedback, optimisation et itération.
L’adoption d’une démarche Agile ne se fait pas sans embûches. Une entreprise qui veut devenir ou rester Agile, doit surmonter certains obstacles.
II. Les principaux défis auxquels une entreprise Agile doit faire face
Les projets agiles s’accompagnent d’une série de défis et de problèmes différents de ceux rencontrés par les projets adoptant une méthodologie traditionnelle.
2.1. Les défis organisationnels
– La résistance au changement : dans le contexte des projets Agiles en entreprise, la résistance est plus forte car l’adaptabilité et le changement continu défient les routines établies et les zones de confort. Des équipes habituées à des processus hiérarchiques peuvent être réticentes à l’adoption d’une culture Agile. Pour surmonter ces réticences, il est essentiel d’impliquer les équipes dès le début du processus. Cela passe par une communication transparente sur les avantages des méthodes Agile à tous les niveaux de l’organisation et par un plan d’action de conduite du changement.
– Un nouveau modèle managérial : la mise en place de l’agilité en entreprise entraîne une profonde transformation des rôles. L’Agilité modifie le rôle du manager traditionnel hiérarchique et directif. On assiste au passage vers un manager Agile qui inverse la pyramide traditionnelle pour se mettre au service de son équipe et jouer le rôle de facilitateur. Cette transformation peut générer des tensions.
2.2. Les défis humains et culturels
– La culture d’entreprise : « L’entreprise Agile c’est la rencontre de la culture Agile avec une culture d’entreprise spécifique » (Jean-Claude Grosjean). Au niveau de l’entreprise, l’approche Agile se résume surtout à repenser la culture d’entreprise, c’est-à-dire « l’ensemble des façons de penser et d’agir … et par conséquent, l’ensemble des façons d’organiser, de gérer et de produire » (Olivier Devillard et Dominique Rey, « Culture d’entreprise : un actif stratégique »).
– La formation des équipes : un autre défi est l’insuffisante compréhension des méthodes Agile et le manque d’expérience. La formation et l’éducation sont essentielles pour surmonter ce défi. Mais cela demande du temps et des ressources.
– La gestion des conflits : sans une démarche structurée de gestion des conflits, les équipes agiles risquent de se heurter à des désaccords et à des fractures durables.
2.3. Les défis techniques et opérationnels
– Les outilsde gestion : la transparence et la communication entre les équipes passent par l’utilisation d’outils dédiés pour la gestion de projet, la répartition et le suivi des tâches, et la planification des processus.
– La mesure de la performance : les indicateurs de performance utilisés traditionnellement comme le retour sur investissement (ROI) ne sont pas adaptés aux projets agiles car ils sont surtout concentrés sur la mesure du résultat alors qu’en Agilité on met l’accent sur la valeur ajoutée et l’ouverture au changement. Il faut utiliser d’autres indicateurs tels que les indicateurs de performance (KPIs) Agiles comme la vélocité et la satisfaction client.
– La scalabilité (voir glossaire) est un levier essentiel pour les entreprises Agile. Elle permet d’adapter les ressources, les processus et les outils à une montée en charge sans compromettre la qualité ni la réactivité.
III. Impact de l’intelligence artificielle sur l’Agilité et la performance des entreprises
L’intelligence artificielle (IA) va transformer profondément les méthodes Agile en apportant des bénéfices significatifs (automatisation, optimisation, enrichissement des processus) tout en posant de nouveaux défis.
3.1. L’IA renforce les pratiques agiles
– L’automatisation des tâches consiste à utiliser des outils et des technologies afin de réaliser des tâches répétitives dans le but de libérer du temps et de l’énergie pour des tâches à plus forte valeur ajoutée. L’automatisation et l’Agilité vont de pair. Elles permettent aux équipes de se concentrer sur des tâches plus complexes et aux entreprises de rester compétitives, réactives et innovantes dans un environnement en constante évolution.
– L’analyse prédictive : grâce à l’apprentissage automatique (machine learning en anglais), les équipes Agile peuvent anticiper les goulots d’étranglement potentiels, estimer de manière plus précise les délais et prévoir les dépassements de budget.
– L’optimisation des ressources : les différents algorithmes d’apprentissage profond (deep learning en anglais) permettent une meilleure allocation des ressources, diminuant les coûts et les gaspillages.
En résumé, l’intégration de l’IA dans la gestion de projet selon les méthodes agiles permet une gestion plus intelligente, réactive et centrée sur l’utilisateur. Cela étant, il ne faut pas sous-estimer les limites et les défis de l’IA en contexte Agile.
3.2. Les défis de l’IA en contexte Agile
– Il faut éviter de s’appuyer sur l’IA sans supervision humaine. En effet, les outils IA ne pourront pas remplacer les interactions humaines.
– L’IA reposant sur des modèles entraînés par des données existantes, il faut les vérifier car des données biaisées ou erronées peuvent conduire à des suggestions de l’IA faussement objectives ou erronées.
– Une dépendance excessive aux outils de l’IA peut nuire à l’intuition et à la créativité des équipes.
3.3. Vers une agilité augmentée par l’IA
L’IA ne remplace pas l’Agilité, elle l’augmente. Comme l’écrit Sébastien Bourguignon, « l’IA ouvre une nouvelle page de l’Agilité. Prometteuse, exigeante, elle invite les leaders, comme les équipes à repenser leur manière de travailler et de décider. L’agilité augmentée ne doit pas être perçue comme une substitution à l’humain, mais comme une opportunité de redonner aux hommes et aux femmes qui construisent plus de temps et d’énergie pour ce qui compte vraiment : la vision, le sens et la valeur ». L’enjeu est de trouver le bon équilibre entre automatisation des tâches répétitives et l’intuition, en gardant l’humain au cœur du processus Agile.
Glossaire
Manifeste Agile : Manifeste rédigé en 2001 par un groupe de 17 développeurs de logiciels.
Sur quatre valeurs clés et douze principes fondamentaux qui mettent l’accent sur la collaboration, une approche centrée sur le client et une approche moins systématique de la documentation (Source : Software Finder).
Scalabilité ou montée en charge : Capacité d’une entreprise ou d’une organisation à croître sans compromettre la performance ou la qualité.
Scrum : Méthode agile basée sur un mode itératif et collaboratif qui place le client au cœur du projet du début à la fin afin de s’adapter à ses besoins évolutifs.
Avec cette méthode, chaque projet est découpé en cycles courts, appelés « sprints », durant lesquels une équipe produit des livrables partiels mais fonctionnels.
Sprint : Unité de temps définie, généralement de deux à quatre semaines, pendant laquelle l’équipe se concentre sur un ensemble de tâches et de fonctionnalités spécifiques (source : dictionnaire de l’Académie des Sciences commerciales).