L’exemple de l’évolution du commerce en suisse est une métonymie de celle du commerce mondial. Étude très intéressante, mais étude à suivre pour illustrer ce qui se passe dans le monde entier.
Les défis du commerce de détail dépendent des caractéristiques de l’environnement au sein duquel il évolue et des acteurs qui l’animent. En Suisse le commerce de détail doit prendre en compte :
- La taille restreinte du territoire et de la population accompagnée d’une faible croissance démographique ;
- Le multilinguisme et une forte proportion de population étrangère ;
- La richesse du pays, la force du pouvoir d’achat mais aussi un pourcentage non négligeable de ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté ; L’importance des zones montagneuses et de la ruralité ;
- La faiblesse relative de la taille des villes ;
- Les prix élevés pratiqués dans l’alimentaire (îlot de cherté) s’expliquant par un protectionnisme agricole ;
- La « swissitude » de la population qui se traduit par une volonté affirmée de protéger les produits et le style de vie helvète.
Les acteurs du commerce de détail suisse sont caractérisés par :
- L’écrasante domination dans l’alimentaire du duopole Migros-Coop, la quasi absence, jusqu’à une période récente, d’enseignes d’origine étrangères ;
- Une assez forte pénétration des enseignes étrangères dans le non alimentaire (FNAC, Zara, Ikea…).
Parmi les défis que devra affronter le commerce détail suisse certains sont communs au commerce des pays matures (montée du e-commerce et de l’omnicanalité, logistique et technologies, mutation du commerce de proximité…) et d’autres plus spécifiques à la Suisse au premier rang duquel il faut mentionner le tourisme d’achat. En Suisse, à moyen terme et à long terme dix grandes tendances devraient s’affirmer :
1) Montée inéluctable du e-commerce
Le tiers des achats sera effectué par ce canal dans vingt ans. Ceci s’explique par des habitudes bien ancrées chez les jeunes et mieux intégrées par les personnes âgées, qui auront su surmonter l’effroi technologique de l’informatique et d’internet. Les seniors en vieillissant auront besoin d’utiliser un mode d’achat qu’ils maîtrisent et ne nécessitant pas la corvée du déplacement et le poids des courses. Par ailleurs l’évolution technologique rendra encore plus facile la commande et le paiement électronique. Le e-commerce continuera à progresser en priorité dans l’électronique, la musique et les loisirs mais aussi dans des domaines où on l’attend moins comme la chaussure ou le luxe.
2) Sophistication croissante de la logistique et du marketing du distributeur
Dès aujourd’hui, Amazon est capable de prévoir les achats futurs de ses clients en fonction des achats passés, la livraison par drone émerge, la promotion s’affine par l’exploitation du big data, le paiement sans contact fait son chemin malgré des craintes liées à la sécurité.
3) Une société suisse moins traditionnelle
La croissance du nombre de femmes actives, la communication, un pays plus urbain, plus multiculturel, plus ouvert sur l’extérieur affaiblissent un mode de vie traditionnel malgré certaines résistances.
4) Une société qui souhaite garder sa swissitude
Confrontée à un pourcentage élevé d’étrangers et à une immigration forte et non contrôlée risquant de transformer la société suisse en la rendant encore plus pluriculturelle, une grande partie de la population souhaite limiter les entrées dans le pays.
5) Un commerce de proximité bi-polaire (rural/urbain)
Les villages et les petites villes ont toujours besoin d’un commerce de proximité, lieu et lien social et témoignage de l’attachement à une Suisse traditionnelle (même si les prix y sont plus chers et même si le nombre de points de vente diminue). En milieu urbain le besoin de proximité-commodité s’accentue et se traduit par des modifications de l’assortiment proposé, par des ouvertures plus tardives et des lieux d’achat rapide sur le trajet domicile-travail.
6) Difficulté structurelle du commerce d’attirer talents et personnel qualifié
Ce phénomène s’explique par l’effet conjugué d’un déficit d’image de la branche, d’un travail d’exécution répétitif et d’un niveau de rémunération jugé insuffisant.
7) Peu de nouveaux acteurs à l’horizon
Le secteur de l’alimentaire est largement verrouillé par Migros, Coop et Denner et, dans une moindre mesure, par Landi ou Völg. Seul le secteur de l’habillement, très soumis à la mode, se caractérise par des mouvements notables entrées-sorties.
8) Affirmation du Swiss Made, du bio et du respect de l’environnement
La nécessité, par solidarité nationale, d’acheter Swiss Made sera devenu un acte réflexe pour les consommateurs aisés. Pour les classes sociales moins favorisées le Swiss made restera, par suite des contraintes financières, plus marginal. Le bio et le respect de l’environnement risquent de devenir la norme et non plus l’exception.
9) Passage d’un modèle d’achat pluri-canal à un modèle omnicanal
Cette évolution est facilitée, d’une part, par l’utilisation des possibilités offertes par les technologies de la logistique et de la communication afin de rendre l’expérience d’achat satisfaisante et, d’autre part, par la modification profonde des mentalités des
commerçants. Un nouveau mode de vie créé par l’interconnexion des objets et la robotique émerge. En moins de vingt ans nous sommes passés du monocanal avec liaison quasi unique consommateur-magasin au multi ou pluri canal avec possibilités d’emprunter plusieurs moyens sur la route de l’achat : magasin, internet, catalogue, mais sans interconnexion entre les différents canaux. Aujourd’hui l’omnicanal avec intégration totale par le distributeur de la logistique et de la vente se fait jour. Le consommateur peut utiliser, sans restriction, les différentes combinaisons qui mènent à l’achat : magasin, ordinateur, téléphone et catalogue. Demain l’omnicanal sera encore enrichi par la prise en compte, par le distributeur, de la dimension relationnelle et de l’expérience d’achat de ses clients.
10) Le tourisme d’achat préoccupation spécifique et croissante pour les détaillants suisses
La faible taille du territoire, la recherche d’un choix plus étendu et surtout le niveau élevé des prix, en particulier dans l’alimentaire, explique qu’une large part de la population s’approvisionne à l’étranger.
En 2014 on estimait que le tourisme d’achat représentait pour les commerçants suisses un manque à gagner de 10 milliards (10% des 100 milliards de francs réalisés par le commerce de détail suisse). En 2015, à la suite de la réévaluation du franc suisse par rapport à l’euro, le phénomène s’accentue. L’hémorragie est maintenant estimée à 15 milliards alors même que le marché du commerce de détail est quasi stagnant. Les distributeurs devront considérer que les milliards de francs d’achats faits par les Suisses à l’étranger sont définitivement perdus, à moins que le taux de change euro/franc actuel ne soit fondamentalement bouleversé. La société suisse participera in fine au village mondial. La technologie, l’information globale et personnelle diffusée par les réseaux sociaux sont plus efficaces que des armées pour envahir un pays qui, jusqu’à une période récente, a su largement garder ses spécificités. On ne peut pas contrecarrer l’aspiration d’une population à vivre comme les autres, de disposer de tous les produits et services mondiaux, de suivre les modes, mêmes éphémères, qui envahissent la planète. Cette tendance à la globalisation n’exclut d’ailleurs pas un respect et une certaine fascination pour la tradition. L’avenir est toujours incertain et certaines des prévisions de long terme peuvent se révéler inexactes. Une chose est pourtant toujours vraie, les individus recherchent des solutions pour satisfaire leurs besoins fondamentaux individuels : se nourrir, se loger, se vêtir, se distraire, être en bonne santé. Par ailleurs, l’homme étant aussi un animal social, ces besoins s’expriment aussi dans un cadre collectif (partager, communiquer, paraître, se comparer, séduire, etc.). Depuis toujours le commerce a su répondre à la fois aux besoins individuels et aux besoins sociaux. L’échange, par exemple, se fait maintenant à travers les repas pris entre amis et à travers les réseaux sociaux. L’achat de demain combine avec fluidité le magasin physique et le magasin virtuel. Nous sommes engagés sur la voie de l’omnicanal. Internet ne se substitue pas à la vente en magasin mais vient enrichir l’expérience d’achat.