Le commerce traditionnel n’est pas mort

Le commerce traditionnel, les commerces de proximité, la vitalité des centres-villes, la concurrence de la grande distribution et des boutiques, vieux débats politiques mais revisités par les nouvelles technologies. Intéressant : c’est notre vie quotidienne.

Le commerce traditionnel n’est pas mort ! Il se transforme

Des commerces qui ferment, des communes qui se dépeuplent et s’appauvrissent, les centres-villes et centres-bourgs connaissent depuis plusieurs années une dévitalisation. Une enquête réalisée tous les ans depuis 2016 par l’institut CSA révèle que, face aux offensives constantes des géants de la distribution, la vitalité des centres-villes constitue un sujet d’inquiétude partagé.

La situation est d’autant plus préoccupante que la désertification commerciale des centres-villes est doublement néfaste : les petits commerces de centre-ville sont nécessaires aux catégories de population ne disposant pas de moyens de locomotion et ils ont un impact très fort sur le potentiel résidentiel et touristique des centres anciens.

Après avoir examiné les causes de cette désertification commerciale, nous évoquerons les moyens à mettre en œuvre pour que « le commerce de demain ne soit pas un pure player (acteur qui exerce son activité commerciale uniquement sur internet et qui n’a pas de présence physique matérialisée par des points de vente) du commerce électronique mais un savant mélange du numérique et d’humain. »

1. Etat des lieux du commerce traditionnel en France

La dévitalisation des centres-villes et centres-bourgs est le résultat de plusieurs phénomènes et tout d’abord l’hyper-domination des géants du numérique comme Amazon. Avec ces géants de la distribution, la concurrence du commerce électronique face au commerce physique a rendu de nombreux secteurs vulnérables comme celui du jouet par exemple. Par ailleurs, la vitalité urbaine des centres-bourgs est aujourd’hui fragilisée par la création de nouveaux pôles commerciaux à leur périphérie ainsi que par le transfert de commerces existants en cœur de ville vers la périphérie. Contrairement à la France, certains pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont déjà réagi contre cette dévitalisation. Ainsi, en Allemagne, les grandes surfaces ne sont autorisées à s’installer que dans des zones spécifiquement définies par le plan d’urbanisme local, après une étude d’impact. Ces études doivent prendre en compte les risques pour les commerces traditionnels que produirait l’installation d’une grande surface. L’objectif de la démarche est le maintien des commerces au sein du tissu urbain. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont lancé divers dispositifs permettant de concilier maîtrise du développement commercial et maintien ou retour des commerces au cœur des villes. L’approche de ces deux pays est fondée sur la négociation et la concertation avec les promoteurs commerciaux.

Le commerce traditionnel se heurte non seulement à des problèmes de coûts fixes d’infrastructure élevés, à des abus de position dominante, à des barrières réglementaires, mais également à des problèmes d’équité fiscale. En effet, comme l’a souligné le Conseil du commerce de France (CDCF) lors de la dixième édition des Etats généraux du commerce qui s’est tenue le 12 mars 2018 à Bercy, la première préoccupation reste la fiscalité qui est actuellement différente entre les commerces physiques, taxés sur leur foncier et les commerces en ligne ». Les GAFA ont balayé les règles de l’économie traditionnelle et livrent une concurrence déloyale. Grâce à une fiscalité particulièrement avantageuse principalement liée à la dématérialisation de leurs activités, ces géants du numérique profitent, comme toutes les multinationales, des failles des systèmes fiscaux pour pratiquer une optimisation fiscale qui réduit drastiquement leur taux d’imposition. Un exemple d’optimisation fiscale est celui de la technique du Double irlandais et Sandwich néerlandais qui consiste en substance à réduire l’impôt en acheminant les bénéfices vers un paradis fiscal, par l’intermédiaire de filiales irlandaises et hollandaises.

Enfin, le commerce traditionnel fait face à l’accroissement du commerce électronique qui représente 8 à 10% du commerce global. Or, 50% des commerçants ne sont pas présents sur internet. William Koeberlé du CDCF a estimé « qu’un commerçant qui n’est pas présent en ligne, perd 60% d’un trafic potentiel ». Comment, dès lors, inciter les commerçants à se tourner vers le numérique ?

2. Comment accompagner les commerçants vers la transition numérique ?

Le boom du commerce électronique a ébranlé les réseaux de magasins traditionnels. Ces derniers doivent saisir l’opportunité qui leur est offerte par le numérique pour se réinventer, innover et enchanter de nouveau le client qui vient aux points de vente. En d’autres termes, les artisans et commerçants doivent se préparer aux nouvelles mutations car si la transition numérique fragilise même les grandes surfaces, elles touchent au premier chef les petits commerces des centres-villes et des centres-bourgs. Mais comment aider les commerçants à tirer profit de la révolution numérique ?

Les solutions préconisées sont les suivantes :

  • Une fiscalité incitative pour les commerçants qui se lancent sur internet.
  • Un encouragement de l’innovation.
  • Un développement de la formation professionnelle incluant notamment la maîtrise des outils et techniques du numérique. Un déploiement de la stratégie « omnicanal » (voir glossaire) qui cherche à tirer profit des fonctionnalités et des potentialités de tous les canaux.
  • Atténuer l’effet repérage en magasin ou « showrooming » (voir glossaire) qui est un véritable fléau pour les commerçants. Le risque majeur est la fuite de leurs clients vers d’autres enseignes ou un site de commerce en ligne. Pour lutter contre ce fléau d’aucuns préconisent certaines mesures consistant par exemple à recruter des vendeurs experts, théâtraliser le magasin, faire d’internet un allié, rendre l’achat plus facile et plus rapide, favoriser la relation humaine, développer le service et l’événementiel, développer sa géolocalisation sur internet.
  • Faire de la réalité augmentée (voir glossaire) un élan pour le commerce traditionnel. La convergence entre les atouts du commerce traditionnel, la force du commerce électronique et la puissance des nouveaux outils du numérique va révolutionner les usages. Pour le client, la réalité augmentée va permettre de mettre un produit en avant, de réaliser des tests grandeur nature et d’augmenter l’expérience en magasin. En résumé, la réalité augmentée améliore l’expérience client. Certains magasins comme Ikea ont expérimenté la réalité augmentée. Ainsi, grâce à une application téléchargeable sur une tablette, il est possible de visionner de manière virtuelle un futur canapé dans son salon.

3. Quelle sera la place du magasin physique pour le consommateur de demain ?

Alors que certains posent la question de la survie du magasin physique face au commerce électronique, d’autres parient sur l’émergence d’un magasin « phygital ». A l’heure d’internet, le magasin ne meurt pas, il se réinvente.

  • Internet ne va pas supplanter le commerce traditionnel. Non seulement internet n’a tué ni le petit ni le grand commerce, mais les outils Web sont de surcroît devenus de considérables leviers d’efficacité opérationnelle pour les boutiques « en dur ». Comme toute innovation, Internet reste une source d’opportunités considérable tout en poussant « l’ancien monde » à s’adapter ou à disparaître. Mais des outils web aux applications Big Data, en passant par la communication locale et des prestataires logistiques sur-mesure, le « retail » est loin d’être désarmé face aux géants du e-commerce. 
  • Les chiffres le confirment : le commerce traditionnel n’est pas mort. A l’heure du tout internet, l’attrait des clients pour les magasins physiques ne faiblit pas. En Europe, 90% des achats sont effectués en boutique. En France 93% des achats de détail se font dans des points de vente physique et 23% des clients préfèrent y faire leurs achats (contre 19% en ligne) (Source FEVAD 2016). Il est impératif d’utiliser la complémentarité du e-commerce pour sauver le commerce traditionnel. D’où l’apparition du concept « phygital » : phénomène par lequel les points de vente physique intègrent les techniques et ressources numériques pour assurer le développement de leur activité. « Phygital » est le terme inventé par l’agence de marketing australienne Momentum en 2013 pour désigner la contraction du « physique » et du « digital ». Nous entrons dans une nouvelle ère du magasin.
  • Pour lutter contre la désertification commerciale et revitaliser les centres-villes, un groupe de travail du Sénat a travaillé pendant neuf mois pour aboutir à la proposition de loi portant Pacte national pour la revitalisation des centres villes et centres-bourgs. Dans la nuit du 14 juin 2018, le Sénat français a adopté ce projet de loi. Ce texte « vise à en finir avec la culture de la périphérie et à réguler le commerce électronique ». Il prévoit notamment : la réduction de la fiscalité en centre-ville pesant sur le commerce et l’artisanat, la modernisation du commerce de détail qui passe par la professionnalisation, la formation, la mise à profit de l’évolution vers le commerce électronique et l’adoption d’un nouveau système de régulation des implantations de grandes surfaces.

4. Conclusion

Non, le commerce physique n’est pas mort ! Certes, les points de vente classiques, notamment ceux qui sont spécialisés dans le non-alimentaire souffrent depuis des années pour les raisons évoquées précédemment mais nombre de magasins traditionnels ont compris que l’émergence du numérique et des mégadonnées (« big data ») pouvaient leur offrir de véritables opportunités de développement. Pour Catherine Delga, ex-Secrétaire d’état chargée du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Economie sociale et solidaire, « la richesse de nos rues vient précisément des commerçants qui les animent et qui en font un cœur battant ».

Glossaire

  • Commerce électronique : Ensemble d’activités commerciales effectuées via l’utilisation combinée des technologies de l’information et de la communication (TIC) incluant la promotion, l’achat, la vente en ligne et le suivi de livraison de produits et services.
  • Conseil du commerce de France (CDCF) : Association regroupant une trentaine de fédérations professionnelles, qui représente le commerce dans toute sa diversité et qui est l’expression de toutes les formes de distribution : commerces de proximité, centres commerciaux, e-commerce…
  • Mégadonnées (« big data ») : « Phénomène qui fait référence à des technologies, outils, processus et procédures accessibles, permettant à une organisation de créer, manipuler et gérer de très larges quantités de données, afin de faciliter la prise de décision rapide ». (Source : IDC)
  • Omnicanal : Stratégie consistant à mobiliser plusieurs canaux pour le contact entre l’entreprise et le client.
  • Réalité augmentée : Technique qui rend possible la superposition d’une image virtuelle 3D ou 2D sur une image de la réalité et ce en temps réel, afin d’améliorer la perception de l’opérateur vis à vis de cet environnement réel.
  • Repérage en magasin (« Showrooming ») : Pratique consistant, pour un consommateur, à préparer son achat en magasin physique avant de l’effectuer sur un site en ligne.

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