L’avenir du commerce et de la distribution

Pendant des années les stratégies des principaux groupes de distribution ont visé à s’adapter à une situation paradoxale, caractérisée par des facteurs de mondialisation concourant à l’homogénéisation des modes de consommation et par des facteurs d’individualisation entraînant l’émergence de revendications identitaires et la recherche d’autonomie. En conséquence, les stratégies mises en place devaient permettre d’assurer une distribution de masse à l’échelle mondiale et d’instaurer une relation individualisée par une proposition commerciale adaptée à chaque consommateur.

Le développement des échanges, l’urbanisation croissante et l’essor des technologies de la communication, se sont traduits, pour le distributeur, par une massification des volumes, un élargissement du choix et le déplacement au niveau mondial de la concurrence, cela dans un contexte de faible inflation. Dans le même temps, le consommateur recherchait davantage de sécurité, d’authenticité, et d’originalité. Ce qui a poussé le distributeur à développer des bases de données clients toujours plus importantes afin d’ajuster son offre au plus près des besoins des clients.

Or, force est de constater qu’aujourd’hui la donne a changé. Si l’individualisation de la relation-client s’est accentuée, la mondialisation est à l’arrêt et l’inflation est de retour.

1 – La fin de la globalisation : limites des stratégies d’internationalisation et poursuite de la concentration du secteur

Le processus de globalisation, qui s’est accéléré dans les années 1990, a débouché sur l’exportation des chaînes de production de biens physiques des pays développés vers le reste du monde. Le commerce mondial a atteint un pic de 61% du PIB en 2008. Depuis cette période, en particulier depuis la crise financière des « subprimes », et surtout depuis la crise sanitaire, la part du commerce dans le PIB n’a cessé de baisser et on ne parle plus de « globalisation » mais de « slowbalisation », c’est-à-dire du « ralentissement du processus de mondialisation », consécutif à l’augmentation des coûts de transport, des tarifs douaniers, au développement de nouvelles contraintes environnementales, aux processus de relocalisation des entreprises, enfin au durcissement des tensions géopolitiques, avec notamment la guerre en Ukraine. D’ailleurs, pour Larry Fink, le PDG de Blackrock, leader international de la gestion d’actifs, la guerre en Ukraine, qui contraint de réorienter les chaînes d’approvisionnement, signe la fin de la mondialisation. On assiste à une intégration plus forte des régions du monde (continent/sous-continent/pays). Dans ces conditions, comment un distributeur pourrait-il envisager de mener avec succès une stratégie d’internationalisation ?

Il est loin le temps où CARREFOUR ouvrait « deux nouveaux pays par an » ! Dans les années 1990 en effet, la stratégie de ce groupe, comme de ses principaux concurrents, consistait à se développer en France comme à l’étranger à travers principalement un format de magasin : l’hypermarché. Il s’agissait de cibler en priorité les pays dont la classe moyenne avait atteint une taille suffisante et dont le jeu concurrentiel était peu actif. La puissance du modèle commercial permettait de prendre rapidement la part de marché nécessaire pour garantir la compétitivité de l’entreprise, qui entraînait la croissance de ses ventes et de ses parts de marché. Le cercle vertueux était en place.

Aujourd’hui, tel n’est plus le cas. L’hypermarché n’est plus aussi dominant. Partout le jeu concurrentiel s’est durci, avec notamment le développement de chaînes de magasins locales et bien sûr l’arrivée de nouveaux magasins discounter et du e-commerce. C’est ainsi que CARREFOUR par exemple, depuis le début des années 2000, a dû quitter le Chili, le Mexique, la Colombie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Grèce, la Thaïlande, la Malaisie, le Japon, la Chine et probablement bientôt Taïwan. Ne subsistent ici ou là que quelques activités de franchise.

Aussi, on imagine mal aujourd’hui un dirigeant d’entreprise de distribution proposer à son conseil d’administration d’engager une stratégie d’internationalisation. La priorité doit être donnée au renforcement de ses positions sur chaque marché, c’est-à-dire, pour simplifier, dans chaque pays. Les opérations contribuant à la concentration du secteur devraient ainsi se poursuivre et s’accélérer, comme l’illustre la mégafusion en cours aux USA entre KROGER et ALBERTSONS ou encore, en France, la tentative de rapprochement entre AUCHAN et CARREFOUR il y a quelques mois. Incidemment, nul doute que les difficultés financières de CASINO, l’impasse commerciale d’AUCHAN avec ses grands hypers, ou le handicap de taille de CORA, donneront lieu dans un futur proche à des mouvements de rapprochement ou de recomposition qui se traduiront « in fine » par un secteur du commerce plus concentré dans notre pays.

2 – Le retour de l’inflation et l’extension du champ du discount

La globalisation des échanges, l’intensité de la concurrence, et les gains de productivité, ont contribué pendant des années à limiter l’inflation à de très faibles niveaux. On pouvait même penser qu’elle avait disparu pour toujours. Or, sans être à un pic historique, il faut remonter à plusieurs décennies pour retrouver des niveaux aussi élevés qu’aujourd’hui. La flambée des cours des matières premières et des coûts de l’énergie, consécutive à la pandémie mondiale et à la guerre en Ukraine, s’est propagée maintenant à l’ensemble des prix. Et depuis quelques mois elle s’étend même dangereusement aux salaires. La boucle « prix-salaires » étant formée, il est plus que vraisemblable que le phénomène inflationniste ne se résorbe pas rapidement. D’autant plus que les politiques de remontée des taux des banques centrales, mises en place pour combattre l’inflation, sont trop timides pour casser la tendance, les taux réels restant encore beaucoup trop négatifs.

Cette situation inflationniste, nouvelle et durable donc, va peser négativement sur le pouvoir d’achat des consommateurs et mettre encore davantage le prix au centre de la décision d’achat. Avantage donc aux discounters, aux promotions, aux marques de distributeur et bien sûr aux premiers prix. A l’opposé, les ventes de produits bio, plus chers, déclinent, et les spécialistes de ce secteur, tels que « BIO BON GOURMAND », « LES NOUVEAUX ROBINSONS », ou « NATURALIA », font face à des sérieuses difficultés.

3 – L’individualisation de la relation-client et le développement du commerce en ligne

C’est un fait, la crise sanitaire a modifié profondément notre mode de vie en poussant au repli sur soi. Pascal Bruckner décrit bien ce phénomène dans son dernier livre, Le sacre des pantoufles : « La scène universelle de l’homme contemporain, c’est le sofa où le canapé, face à un écran, seul rempart contre l’horreur du monde, qui arrive filtrée par les images et renforce notre appétit domiciliaire. Tel est le décor dans lequel, de Los Angeles à Pékin, l’humanité entière, s’ébroue, de nos jours. »

Cette tendance au repli contribue, à l’évidence, à l’accélération du e-commerce et à la densification des liens entre le commerçant et son client. Selon Alexandre Bompard, le PDG de CARREFOUR, le distributeur de demain doit être une « digital-retail company », c.à.d. « une entreprise où le numérique – à distance et sur le point de vente – et le magasin physique doivent se compléter ». Cela se traduit par le développement du commerce en ligne mais aussi par de nouvelles formes de revenus dont :

  • le « live-shopping ». Cette technique, approximativement traduite en « achat en direct » consiste à faire diffuser, par un expert ou un influenceur sur les réseaux sociaux ou sur un site, une vidéo de démonstration d’un produit. Un lien permet alors de procéder à un achat immédiat ;
  • et le « personal-shopping », proposant les services d’un « assistant d’achat », dans un point de vente ou en ligne, chargé de conseiller sur le choix de produits adaptés aux goûts et au budget d’un client.

L’ensemble de ces techniques concoure à la personnification de l’offre et à un meilleur accompagnement du client. Ainsi, « l’omnicanalité » s’impose en gommant les frontières entre les magasins physiques et le commerce en ligne.

En introduction du Conseil des Ministres de rentrée, à la fin du mois d’août, Emmanuel Macron évoquait d’un ton grave : « La fin de l’abondance, la fin des évidences, la fin de l’insouciance ». Nous serions en train de vivre « une grande bascule » qui se traduirait par une modification profonde de nos modes de vie. Un tableau, certes dramatisé pour des raisons politiques, mais qui repose sur une réalité : la crise sanitaire, le changement climatique, les risques géopolitiques, transforment notre monde sous nos yeux et conduiront à des remises en cause et des adaptations radicales. Le monde du commerce et de la distribution y fait face et ses principaux leaders ont déjà anticipé cette évolution depuis quelques années. Il est intéressant notamment de constater que les deux géants du secteur, WALMART et AMAZON, ont chacun engagé des mouvements opposés (du magasin vers le e-commerce pour WALMART et du e-commerce vers le magasin pour AMAZON) pour converger vers un modèle, celui du commerce connecté, c’est-à-dire omnicanal, caractérisé par l’interdépendance et la complémentarité entre les magasins physiques et le e-commerce, qui permet aux distributeurs de vendre leurs propres produits mais aussi à des vendeurs tiers de commercialiser leurs articles sur leurs places de marché. Le développement d’un tel modèle est une tendance lourde qui, quelle que soit l’instabilité de la conjoncture, devrait contribuer à dessiner les contours du monde du commerce de demain.

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