La crise sanitaire et ses conséquences (confinement, fermeture de commerces « non essentiels », télétravail…) ont bousculé l’immobilier commercial. Ce dernier est alors appelé à toujours plus d’agilité et de flexibilité (Emmanuel Le Roch, 2021) pour répondre à l’évolution des attentes des consommateurs résultant de la transformation numérique. Toutes ces données sont à l’origine d’une remise en cause du « modèle d’affaires (« business model ») et de la chaîne de valeur (« value chain »). Qu’en est-il d’un nouveau modèle du marché de l’immobilier commercial ?
Après avoir tracé un état des lieux de l’immobilier commercial, nous proposons d’évoquer ses perspectives.
1. Immobilier commercial : la financiarisation du marché
1.1. Le concept d’immobilier commercial
Concernant cette notion d’immobilier commercial, le Haut Conseil de Stabilité financière (HCSF),[1] dans une note intitulée : « Analyse du marché de l’immobilier commercial » propose la définition suivante : « Ensemble des biens immobiliers détenus par des acteurs professionnels qui n’en sont pas les occupants, et qui en retirent un revenu à titre habituel ».
L’immobilier commercial regroupe deux secteurs principaux :
- l’immobilier de commerce comme les centres commerciaux, les boutiques, l’hôtellerie, la restauration…
- l’immobilier d’entreprise tels que bureaux, usines, entrepôts.
S’agissant des enjeux et des défis, l’immobilier commercial est sensible aux phénomènes conjoncturels : « Cette classe d’actif est a priori assez sensible à la conjoncture économique : les conditions du marché immobilier (prix, dynamique des transactions, taux de vacance, évolutions des loyers, etc.) dépendent notamment du contexte macroéconomique (situation économique et financière des entreprises occupantes, demande de biens immobiliers des entreprises, etc.). Par ailleurs, elle est également influencée par des logiques financières affectant l’attractivité relative des placements immobiliers vis-à-vis d’autres classes d’actifs financiers », écrivent Laura Berthet (Direction générale du Trésor) et Antoine Lalliard (Banque de France) dans la note précitée.
L’immobilier commercial est un secteur fortement pourvoyeur d’emplois : « plus d’un demi-million d’emplois » en 2020, révèle LSA.
1.2. Financiarisation de l’immobilier commercial
La financiarisation de l’économie n’a pas épargné le secteur de l’immobilier commercial. Thierry Theurillat (enseignant-chercheur à l’université de Neuchâtel), Patrick Rérat (professeur de géographie à l’université de Lausanne) et Olivier Crevoisier (professeur d’économie territoriale à Neufchâtel), dans un article intitulé « Les marchés immobiliers : acteurs, institutions et territoires » publié dans « Géographie, Economie, Société » parlent de « capitalisme immobilier financiarisé ». Ils déclarent : « La financiarisation à grande échelle qui a touché les activités industrielles, financières et les matières premières depuis vingt-cinq-ans a atteint aussi l’immobilier ».
L’immobilier commercial est devenu un actif financier identique aux autres, qui permet aux investisseurs de diversifier leur portefeuille. Ce mouvement de financiarisation est apparu dans l’immobilier d’entreprise.
Comme l’écrit Ingrid Nappi-Choulet, professeur à l’ESSEC Business School, « le terme ‘financiarisation’ de l’immobilier évoque principalement la transposition au secteur immobilier du phénomène de la mondialisation des capitaux et des investisseurs ainsi que le développement de nouvelles approches financières dans la gestion des actifs. Le marché immobilier, par essence local et physique, devient, notamment pour les immeubles de bureaux et de commerces primes, un marché globalisé et mondial, pour lequel l’immeuble et son quartier sont analysés comme des actifs financiers ». De son côté, Antoine Guironnet, chercheur au LATTS (université Paris-Est Marne-la-Vallée) et à l’école nationale des ponts et chaussées, explique que le patrimoine immobilier tertiaire n’est plus seulement une valeur refuge mais il est devenu une source de revenus dont il faut maintenir voire maximiser la valeur en permanence. Cela est lié à l’intégration croissante des espaces urbains et des infrastructures avec les marchés financiers par l’intermédiaire des gestionnaires d’actifs, les fameux « asset managers ».
Un exemple de l’internationalisation et de la financiarisation de l’immobilier commercial est celui du groupe britannique Grosvenor, société immobilière entièrement détenue par le Duc de Westminster et de sa famille qui en 2013 s’était porteur acquéreur entre autres d’une grande partie des rez-de-chaussée commerciaux de la rue de la République à Lyon.
Un autre exemple de financiarisation de l’immobilier est celui de l’immobilier logistique et notamment celui des entrepôts, « souvent aussi nommés plateformes logistiques ou centres de distribution, qui se sont multipliés en périphérie des métropoles » (Dablanc et Fremont, 2015).
2. Evolution du marché de l’immobilier commercial face à la Covid et au télétravail
2.1. L’immobilier commercial sous l’effet de la Covid
La crise de la Covid amène à rebattre les cartes dans le secteur de l’immobilier commercial. En effet, le développement de nouveaux modes de consommation (retrait en magasin, retrait automobile…), l’accroissement du commerce électronique lié à la fermeture de commerces jugés comme « non-essentiels » ont bouleversé l’immobilier commercial.
S’agissant des conséquences de la Covid sur l’immobilier commercial, d’aucuns déclarent que « l’immobilier commercial est malade de la Covid ».
D’après des chiffres extraits d’un article de Daniel Bicard (LSA-Conso) d’avril 2021, on estime à :
- 2 230 le nombre de magasins qui ont fermé ou vont fermer ;
- 2 millions de m² le « stock disponible » de surfaces commerciales en France ;
- – 50 %, la chute des surfaces commerciales autorisées en CDAC (autorisation d’exploitation commerciale) et CNAC (Commission nationale d’aménagement commercial) en 2020 par rapport à 2019. Soit à peine 20% du niveau de 2010.
Comme le confirme un rapport de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris intitulé « Comment valoriser le fonds de commerce ? – De l’impact de la crise sanitaire aux évolutions structurelles du commerce », publié en septembre 2021, la crise de la Covid a fortement pesé sur les fonds de commerce. Dans certaines régions, leurs prix chutent avec des transactions qui deviennent difficiles. En effet, les différentes mesures adoptées pour lutter contre la Covid comme le confinement, la fermeture des « commerces non essentiels », couvre-feu… ont frappé de plein fouet certains commerçants qui ont vu chuter leur chiffre d’affaires. Cette diminution du chiffre d’affaires a entraîné une baisse des valeurs locatives sur le marché de l’immobilier commercial. Au total, la crise sanitaire a accentué le taux de vacance des locaux commerciaux.
La crise de la Covid-19 a confirmé la tendance selon laquelle l’hyper-domination des géants du numérique a rendu les commerces physiques vulnérables et a bouleversé le marché de l’immobilier commercial.
A côté des perdants, le commerce électronique a été le grand « gagnant » de la crise sanitaire. Les ventes physiques se sont déplacées vers le numérique. Ainsi, l’envolée du commerce électronique, résultant entre autres des mesures de confinement et de la fermeture de commerces « non essentiels » a révolutionné la logistique et fait exploser le marché des entrepôts. Comme l’explique Cécile Tricault, directrice générale Europe du Sud chez Prologis, « le commerce en ligne demande plus d’espace logistique car l’espace de vente est transféré dans l’entrepôt. Et la différence est très importante, de l’ordre de trois fois plus ».
2.2. La transformation du marché de l’immobilier liée au télétravail
La crise sanitaire a entraîné une expansion sans précédent du télétravail. D’après les chiffres de la DARES, en janvier 2021, 27 % des salariés le pratiquaient, contre 4 % en 2019 avec de fortes disparités selon le secteur, le niveau de qualification et la région géographique.
Ce recours massif au télétravail a eu un impact sur le marché de l’immobilier commercial.
Quatre économistes de la Banque de France, Antonin Bergeaud, Jean-Benoît Eyméoud, Thomas Garcia et Dorian Henricot, dans une étude intitulée « Working from home and corporate real estate », examinent la manière dont les acteurs du marché immobilier d’entreprise s’adaptent « au décollage anticipé du télétravail ». Ils examinent les effets du télétravail sur l’immobilier d’entreprise. Dans cette étude, les auteurs rappellent tout d’abord l’importance de l’immobilier d’entreprise : 1) il s’agit d’une classe d’actifs importante pour les entreprises remplissant de multiples fonctions ; 2) il constitue d’une classe d’actifs déterminante sur les marchés financiers ; 3) l’immobilier commercial et l’immobilier résidentiel sont en concurrence pour l’acquisition de terrains, ce qui entraîne de fortes interdépendances entre les deux marchés. Ils démontrent que « l’effet du télétravail devrait changer de nombreuses choses et notamment l’immobilier commercial ». A cette fin, ils construisent un indicateur pour identifier la manière dont le marché des bureaux réagit à une augmentation potentielle du télétravail. Ils concluent que : 1) les entreprises ayant un taux de télétravail élevé ont déjà libéré certains espaces de bureaux ; 2) le ralentissement de la construction est plus fort pour l’immobilier de bureau que pour l’immobilier de commerce dans les départements qui ont une forte propension au télétravail ; 3) l’augmentation de la vacance est plus importante dans les départements où le télétravail est facilité.
En juin 2022, dans leur seconde édition du baromètre de l’implantation des bureaux après la crise sanitaire, l’Association des Directeurs immobiliers et Ernst and Young révèlent que « la crise sanitaire n’a pas tué le bureau mais elle l’a profondément bouleversé ».
3. Quelles sont les perspectives pour l’immobilier commercial ?
3.1. Vers un nouveau modèle de l’immobilier commercial
Dans une étude publiée en mai 2022 intitulée « Les stratégies de repositionnement dans l’immobilier commercial », le XERFI démontre que l’immobilier commercial doit accélérer son repositionnement. En d’autres termes, les nouveaux modes de consommation et les innovations technologiques et organisationnelles nécessitent de réinventer un nouveau modèle de l’immobilier commercial.
La numérisation accélérée a mis en avant l’inadéquation croissante entre les aspirations des commerçants et des consommateurs et le modèle économique de l’immobilier commercial. Quid du renouveau du marché de l’immobilier commercial ?
Concernant le commerce traditionnel, « sa transformation est actée ! » déclare Jonathan Sitruk. L’immobilier de commerce doit faire sa révolution comme l’a fait par exemple l’immobilier de bureaux qui a opté pour un modèle flexible avec des espaces de cotravail (« coworking »). « L’immobilier d’entreprise flexible désigne toutes les locations de bureaux et d’espaces de travail qui ne dépendent pas d’un bail commercial 3-6-9 ou précaire » (source : Hub Grade).
A l’heure d’Internet, le commerce de détail ne meurt pas, il se réinvente. Ainsi, de nouveaux concepts de magasins ont fait leur apparition. Certains acteurs de ce secteur ont parié sur la création d’un magasin phygital combinant numérique et présence physique. Autre exemple : celui de boutique éphémère (« pop-up store »). Il s’agit d’une boutique qui a une courte durée de vie, qui est mobile, événementielle et conceptuelle. Ce nouveau type de commerce, importé des États-Unis, offre de l’agilité aux commerçants.
Cette évolution de l’immobilier vers plus de flexibilité, d’agilité et de modularité, se traduit également par l’adoption de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. Ces deux dernières innovations technologiques se sont invitées dans le commerce de détail.
Enfin, dans le but de répondre à une demande pour une logistique de plus en plus agile et performante destinée à satisfaire une forte hausse du commerce électronique, le marché de l’immobilier logistique concentre ses efforts sur l’optimisation de la livraison du dernier kilomètre. « La logistique du dernier kilomètre est un point crucial, qui fait l’objet de toutes les attentions des acteurs de la distribution. Il y a un recentrage des acteurs publics et privés sur les centres-villes » révèle Sandrine Heitz-Spahn, chercheuse en comportement du consommateur. De même, les « magasins fantômes » (« dark stores »), nouveaux modèles d’entrepôt, s’inscrit dans une véritable stratégie logistique dont l’objectif est de faire face à l’essor du commerce électronique. « Ce sont des centres de stockage de dimension modeste qu’une entreprise multiplie dans le tissu urbain afin d’assurer aux clients une livraison dans de très brefs délais de l’ordre de 15 à 30mn » (voir dictionnaire de l’Académie des Sciences commerciales).
Nous conclurons ce chapitre relatif au nouveau modèle de l’immobilier commercial en nous référant à un rapport de Savills, conseil en immobilier d’entreprise, sur les tendances de l’immobilier commercial en Europe pour 2022. Ce rapport évoque entre autres l’intégration de l’immobilier commercial et logistique dans le cadre de stratégies omnicanales.
3.2. Pourquoi investir dans l’immobilier commercial ?
Pour Thierry Gaiffe, Directeur général de Fiducial Gérance, déclare « qu’il faut continuer à investir dans l’immobilier de commerce ». Il pense que « l’investissement en commerce est décrié à tort car le commerce existera toujours ». D’aucuns parlent de « l’eldorado de l’immobilier de commerce ». Certes, les mesures de confinement ont suscité des craintes sur l’avenir des commerces de centre-ville, mais aujourd’hui, ils sont de nouveau des actifs particulièrement recherchés. Nous en voulons pour preuve que les gérants de SCPI investissent massivement dans les commerces de proximité. Malgré le retour d’une inflation forte, les SCPI de commerce restent protégées eu égard à des indexations de loyers.
[1] Haut conseil de stabilité financière (HCSF) : Autorité macroprudentielle française chargée, conformément à l’article L.631-2-1 du Code monétaire et financier, « d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique ».