IA et Commercial : un nouveau leadership s’impose

L’intelligence artificielle (IA), qu’elle soit analytique ou générative, s’attache à l’optimisation de nombreuses fonctions dans les organisations. Mais lesquelles ? Si l’on pense spontanément à la production, la logistique, l’informatique, à la finance, les fonctions commerciales ou expérience client quant à elles ne sont pas naturellement associées à l’IA, étant intrinsèquement centrées sur l’humain. Et pour preuve : selon l’étude « CIO Vision »[1], le commercial enregistre le taux d’adoption le plus faible au sein des entreprises, seulement 24% des DSI – directeurs de systèmes d’information – mondiaux considèrent l’IA intégrée à la fonction commerciale, complètement ou via des cas d’usage a contrario de l’informatique (67%), de la finance (54%) ou de la production (45%).

IA et commercial sont-ils compatibles ?

Cette situation n’est pas surprenante compte-tenu de la nature très « humaine » des relations commerciales, de négociation et partenariats, héritée du commerce marchand, et de son incompatibilité intrinsèque a priori avec une intelligence non-humaine.

D’ailleurs lorsque l’on questionne ChatGPT sur l’incompatibilité a priori entre le commercial humain et l’utilisation de l’IA, il reconnaît après prompt que « les compétences humaines, telles que la communication, la créativité, la résolution de problèmes et la prise de décision éthique, restent indispensables pour établir des relations, conclure des accords et gérer des situations complexes. L’IA peut compléter ces interactions en fournissant des informations utiles, mais elle ne peut pas reproduire complètement l’empathie et la compréhension qu’un être humain peut offrir ».

Pour autant les prévisions d’adoption de l’IA pour 2025 (selon la même étude) dénotent que l’écart le plus important d’adoption d’ici 2025 concerne précisément les fonctions commerciales qui passeraient à un taux d’adoption de 61% (presque trois fois plus important qu’en 2022).

Comment faire adopter lIA dans la chaîne commerciale ?

L’enjeu est-il donc de développer des applications IA au sein du commercial au plus vite et par tous les moyens pour augmenter la productivité ?

La réponse n’est pas simple. Si l’approche IA est perçue « mercenaire » et dénuée de sens pour les commerciaux, elle aura peu de chances d’adoption et donc de bénéfices financiers. Les applications IA devront aussi considérer l’humain au cœur de la fonction commerciale, de manière réaliste et respectueuse, dans le « quoi » et le « comment ».

Les commerciaux ont souvent, comme d’autres, des peurs et des a priori sur l’IA, par ignorance ou par manque de transparence et de valorisation personnelle. L’IA pour l’IA plaquée sur le commerce et les commerciaux, c’est contre-productif : faible ROI et désengagement alors-même que le commerce est en quête d’expérience client renforcée. Le rapport Wavestone 2023[2] montre que la création de valeur est freinée dans les transformations numériques et IA surtout du fait de la déficience humaine et culturelle, de la trop faible littéracie numérique. Il faut éduquer les commerciaux à utiliser intelligemment l’IA, à participer au processus d’amélioration de l’IA, laisser place à leur créativité relationnelle et réhabiliter un commercial « augmenté », d’autant plus humain et qui utilise une IA lui permettant de faire de meilleures recommandations, plus personnalisées, intégrant toutes les données historiques de vente, de nouveaux produits pertinents, et généralement plus gagnantes pour créer de la valeur.

Cette approche humaine de l’IA dans le contexte commercial s’impose donc. Mais elle diffère selon la typologie d’IA.

Typologie IA x Commercial : 4 manières d’aborder l’IA dans une démarche commerciale

Nous proposons ici une typologie des usages de l’IA selon que :

  • L’IA est intégrée aux produits ou services que l’on vend (le quoi)
  • L’IA est intégrée à l’outil de vente (le comment)

Type IA-commercial 1 : les fonctions commerciales passent de la vente de produits et services traditionnels à des produits et services embrassant l’IA.

Par exemple dans les instituts d’études marketing et sondages, les commerciaux passent du modèle de vente d’interviews au modèle de conseil qui repose sur l’intégration de données (d’interviews et autres données) par le machine learning et l’IA. Ils ne peuvent plus vendre de la même manière. Ils doivent désormais comprendre ces modèles d’intégration, accepter d’être accompagnés de data scientists et envisager la relation client de manière plus ouverte et stratégique sur le besoin client et l’identification des données à analyser, plutôt que sur une réponse mécanique à une demande client d’exécuter des questions d’interviews. L’IA générative également bouscule leur mode de vente lié à un nombre d’interviews alors qu’elle permet désormais l’inférence. Le modèle de vente change…

Un nouveau leadership commercial s’impose, axé sur l’éducation et l’adaptation de la vente intégrant l’IA, sur l’ouverture à une relation client plus stratégique. L’intelligence émotionnelle et conceptuelle sont sublimées si on accompagne bien le processus.

Type IA-commercial 2 : les commerciaux et fonctions commerciales vendent des produits traditionnels mais avec des outils utilisant l’IA.

De nombreux outils commerciaux IA se déploient, que ce soit au niveau de l’IA générative appliquée à la maximisation des leads, aux suivis optimisés de rendez-vous commerciaux à partir des analytiques des contenus échangés ou de l’IA permettant de documenter en temps réel toutes les informations publiées nécessaires à la connaissance de ses clients, ou encore les technologies de reconnaissance de clients fidèles pour mieux les servir dans les points de vente équipés. Mais ce qui compte c’est l’usage. Un exemple emblématique est celui d’applications d’IA telle D-Star développée pour le réseau de commerciaux de Pernod Ricard. Les commerciaux vendent les alcools du groupe aux bars ou commerces et doivent s’approprier le système qui permet de maximiser leurs visites magasins, et surtout qui permet aux commerciaux de faire des recommandations d’achat de marques, catégories, nouveaux produits garantissant au directeur du magasin de maximiser ses propres ventes. L’IA les a modélisées et a simulé en temps réel les différentes recommandations d’achat et volumes.

Sur le papier, une avancée spectaculaire, gagnant-gagnant. Sur le terrain, cela se travaille et c’est une grande partie de ce que Pernod Ricard s’attache à déployer : un commercial qui a toujours agi comme un cœur battant relationnel avec les directeurs de supermarchés ou de bars y verra un intérêt à l’usage si sa psychologie intègre l’IA comme un outil malin et pas comme un remplaçant, s’il y trouve un bénéfice par un nombre de visites par jour augmenté, par un panier moyen maximisé, par des incentives améliorées, mais aussi par une nouvelle place accordée à leur relationnel.

Le leadership commercial de demain évolue avec l’IA, positivement et authentiquement si on l’accompagne en ce sens.

Type IA-commercial 3 : lorsque les commerciaux vendent des produits intégrant de l’IA et avec des outils IA.

Signify, l’ancien Philips Eclairage, en est un bel exemple. Les nouvelles offres d’éclairage connecté permettent de ne pas seulement éclairer, mais de détecter des anomalies, de créer des ambiances personnalisées, de permettre du confort oculaire… l’IA aide par exemple à maximiser la sécurité des employés d’une usine, ou les ventes dans un magasin de vêtements. Une vente bien différente de celle des ampoules historiques de Philips, uniquement fondée sur les caractéristiques et fonctionnalités, que les commerciaux doivent désormais intégrer.

Mais lorsque c’est une plateforme de vente directe aux installateurs électriques qui joue un rôle dans la vente, assistée d’IA qui proposent des architectures d’éclairage multi-facteurs multi-bénéfices personnalisées, les commerciaux pourraient penser qu’ils n’auront bientôt plus de métier à cause de l’IA…

C’est précisément là que l’acculturation commerciale doit évoluer. Le commercial « augmenté » sera non seulement formé à l’IA mais aussi engagé dans une co-création d’un nouveau leadership commercial : questionné sur ses peurs, sur les promesses de l’IA, sur sa fierté à travailler de manière plus professionnelle et proactive, il expérimentera à l’usage qu’il passera finalement plus de temps dans le relationnel avec les installateurs, et surtout un temps mieux renseigné et informé, et qu’il augmentera significativement le nombre de ses prospects et clients installateurs par jour, la perception de sa valeur ajoutée expérientielle.

Type IA-commercial 4 : lorsque les commerciaux ne vendent ni des produits intégrant de l’IA ni avec des outils IA.

Tout semble identique à une situation commerciale traditionnelle, celle que vous expérimentez dans votre commerce de proximité. On y vend des produits qui n’ont rien à voir avec de l’IA et selon une approche 100% relationnelle. Vous allez par exemple acheter des pneus chez un revendeur ? Vous lui demandez conseil pour remplacer vos pneus actuels et le commercial vous vend ce qu’il a en stock et qui semble correspondre au mieux au remplacement demandé. Très bien. Mais les commerciaux d’aujourd’hui dans les commerces ne peuvent plus ignorer la multi-canalité et le fait qu’en parallèle de la vente physique, une IA générative permet à ses clients de converser avec un chatbot qui analyse la photo de vos pneus, et modélise tous vos paramètres de conduite, toutes les interactions commerciales passées pour proposer les pneus au meilleur rapport qualité/ usage/ prix. C’est ce que Michelin a lancé au Royaume Uni en décembre 2023, mais à la « manière Michelin », c’est-à-dire selon un processus qui intègre les valeurs humaines au cœur du changement technologique. Un large programme destiné à réhabiliter un commercial « augmenté » et authentique à l’ère de l’IA.

Les 4 clefs du nouveau leadership commercial à l’aune de l’IA

Conjuguer IA et commercial suppose, quelle que soit la typologie d’IA concernée, un nouveau leadership, un travail en profondeur sur la culture et la psychologie commerciale renouvelée, sur la raison d’être même de l’acte commercial.

Le commercial n’a d’autre choix que de se repenser, et a la grande opportunité de n’être pas seulement plus performant grâce à l’IA, mais plus humain, « mieux humain » car l’IA peut aider à sublimer les relations de commerce plus pertinentes et plus authentiques.

Les quatre clefs de ce nouveau leadership commercial en transition s’avèrent les suivantes, à partir de nombreux cas étudiés :

  • L’apprentissage continu sur l’évolution de la notion de relation client et des approches de vente avec les produits et/ou outils IA
  • Le fait d’adresser explicitement les peurs que l’IA induit, ainsi que les promesses qui séduisent les commerciaux dans une conduite du changement qui place l’humain au centre
  • Le processus de co-création valorisant avec les commerciaux, en utilisant leurs remontées terrain sur les outils IA pour les améliorer
  • La position de l’entreprise, au-delà de la fonction commerciale, éthique et anthropologique au sujet de l’IA. Plus l’entreprise dans son ensemble reconsidère sa raison d’être à l’aune de l’IA, plus le commercial adoptera l’IA avec un réel sens.

Finalement, le commercial, un métier qui existe de tous temps et qui est le fondement de notre valeur d’échanges, ne va ni disparaître du fait de l’IA, ni rester inchangé dans ce contexte d’expansion de l’IA dans les usages.

Il est important d’aller de l’avant sur IA et commercial, expérimenter des usages et nouveaux modèles, mais pas seulement à des fins de productivité mécanique, ce qui tuerait cet art relationnel qui caractérise nos sociétés, plutôt à des fins de sublimation de la relation commerciale par l’IA dont l’impact serait à la fois financier et d’ordre de la dignité humaine.


[1] Etude « CIO Vision » 2022, MIT Technology Review

[2] Rapport 2023 NewVantage Partners, une société du groupe Wavestone : Data and Analytics Annual Leadership Executive Survey

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