En quoi le commerce en 2022 entre dans l’Histoire ?

Que ce soit en 2020, 21, 22 ou 23, le commerce, comme toute l’économie, entre dans un temps nouveau et plein d’interrogations. La Covid a accéléré les signaux faibles des vingt dernières années. La prospective s’annonce difficile. Suivent trois axes de réflexion pour ces prochaines années sur le commerce, sur Internet, et enfin sur le nouveau consommateur.

L’article « Le commerce, cet inconnu des « élites » françaises » contextualise le commerce et détaille ce qui concerne ce chapitre.

Depuis près d’une vingtaine d’années, le commerce français est en apnée dont il sort doucement

Depuis une vingtaine d’années, le commerce français vit sous protection artificielle. La loi Royer (1974) et ses évolutions n’ont pas protégé le « petit commerce » mais le grand commerce de la distribution contrairement à son intention initiale. Les autorisations d’ouvertures ont empêché l’ouverture de concurrents et développé, de fait, le monopole de diverses zones d’attractivités.

Les grandes surfaces alimentaires (> 12.000 m²) ont perdu des dizaines de milliers de mètres carrés depuis une dizaine d’années car le hard-discount* (depuis 1990) est un commerce de temps gagné, et le e-commerce (depuis 2010) est un élargisseur de choix et un économiseur de temps.

Le commerce textile a bénéficié dans un premier temps de l’entrée de la Chine dans l’OMC (11 décembre 2001) en multipliant les choix et en baissant les prix, mais il s’est rapidement confronté à la fast fashion* (concevoir et fabriquer vite, comme Zara) et aujourd’hui à l’ultra fast fashion* (comme Shein, site chinois de vente spécialisé en mode éphémère à bas prix).

Les lois d’urbanisme commerciale et les PGE (Prêts Garantis par l’Etat) créés pendant la pandémie Covid ont mis de nombreux commerces sous protection : le commerce alimentaire, le commerce textile et d’autres. En 2020, on a parlé d’entreprises zombies. Aujourd’hui, comme dit Warren Buffett, « la mer se retire et on voit si quelqu’un n’a pas de… »

L’aveuglement médiatisé d’Internet face à la réalité du terrain

N’est pas Amazon qui veut. En fait, Jeff Bezos, a aveuglé bien du monde. Ce n’est qu’en 2004 qu’il commence à engranger des profits. Jusque-là, il survivait d’appels aux marchés financiers. Mais il a impressionné et a réussi. Uber a échoué. Stéphane Bancel et le patron de Moderna (société de biotechnologie américaine commercialisant un vaccin contre la Covid-19) a réussi après dix ans sans chiffre d’affaires ! Jeff Bezos a réussi car il a créé la place de marché des sites, le cloud AWS, la publicité sur site (le retail media* devrait peser 120 milliards de dollars en 2023 – dont près de 50% pour Amazon seul – sur un marché de 600 Md$ de publicité sur Internet). Jeff Bezos a fait rêver même si depuis ces dernières années, Amazon a stoppé sa croissance en France. Par délicatesse, nous ne nommerons pas les nombreux pure players* ou sites de commerces physiques qui ont échoué.

Si, de 2010 à 2015, de plus en plus de commerçants pas très convaincus ont créé des sites complémentaires des enseignes physiques, de nombreux pure players ont ouvert des points de vente. Le succès était mou et le site représentait 10 à 15% de l’activité des enseignes. Le premier confinement de la Covidau printemps 2020 a accéléré brutalement les choses. Nombreuses enseignes ont affirmé avoir franchi en 3 mois ce qu’elles prévoyaient de réaliser en trois ans. Le phygital* (commerce physique et numérique) était devenue une nécessité. Aujourd’hui, nombreuses sont les enseignes réalisant le tiers de leurs activités par Internet.

2020 a été une année excellente pour le e-commerce, 2021 a suivi. Ces années ont donné des ailes aux click and collect*, à toute forme de restauration livrée (dix ans de gagné par la Covid) dont les dark kitchen*, au personnal shopper* comme l’américain Instacart (entreprise américaine spécialisée dans la livraison de produits alimentaires par des livreurs indépendants), aux dark stores* livrés par Gorillas, Getir ou Cajoo (entreprises allemande, turque et françaises crées en 2020, 2015 et 2021) au hollandais Picnic dans le Nord de la France. S’ajoutent à ces nouveaux distributeurs, des réseaux sociaux comme Twitter ou TikTok proposant des mini boutiques et des fonctionnalités d’e-commerce. En France, les levées de fonds en e-commerce ont battu des records successifs : 450 M€ pour Back Market (intermédiaire en ligne entre particuliers et professionnels du reconditionnement d’appareils électriques et électroniques), 500 M$ pour Contentsquare (commercialisant des solutions d’analyse de l’expérience client en ligne fondées sur l’intelligence artificielle).

En 2021, l’inflation est revenue, le prix de l’énergie a monté, le 24 février 2022 la Russie fait la guerre à l’Ukraine, ce qui a accéléré l’inflation et fait exploser les prix de l’énergie, aboutissant à une baisse de pouvoir d’achat. Le superflus, le non indispensable, se réduit : le bio est trop cher, la livraison est un luxe pour le consommateur et une charge majeure pour le commerçant, les MDD sont de retour en force.

De nombreux espoirs de 2020 et 21 sont déçus, notamment ceux développés par l’arrivée de certains aspects d’Internet. Les dépôts de bilan et les rachats se multiplient. La liquidation de Toupargel devenu Place de Marché en 2020 en est un exemple : des milliers de nouveaux clients pendant la Covid, des ruptures de stock, des livreurs malades, les clients fidèles déçus, des mauvaises livraisons, et les milliers de nouveaux clients disparus aussi vite qu’apparus. Et Toupargel, toujours centré sur le téléphone, n’a pas vu venir l’essor du drive* et de la livraison à domicile, bras armé d’Internet.

Autre faillite symbolique, dans l’univers des cryptomonnaies : celle de FTX en novembre 2021 pouvant atteindre 35 à 50 Md$; une bagatelle qui n’a concerné aucun consommateur sauf des acheteurs de Porsche !

Internet fait rêver. Il y a des réussites spectaculaires et des échecs discrets.

Le nouveau consommateur

Enfin, le consommateur change. Nous avions déjà mentionné l’économie circulaire : « Le commerce circulaire, une part déterminante du commerce de demain » qui alors n’était pas liée à la Covid.

En revanche, aujourd’hui il y a deux accélérations.

La première est liée à la crise économique et sociale en cours. Le consommateur a conscience qu’il peut y avoir des ruptures de produits liées à la crise sociale (dont le carburant), au climat (symboliquement concernant la moutarde) ou à la mondialisation (les semi-conducteurs ou des médicaments comme le paracétamol et l’amoxicilline). Phénomène impensable encore fin 2019, le consommateur réalise ces manques. Il doit stocker ou trouver des astuces de remplacement.

La deuxième accélération est liée à la perte de pouvoir d’achat depuis fin 2021 et aussi à diverses lois qui obligent les industriels à plus de réparabilité des produits neufs. Le consommateur prend conscience, petit à petit, de la véritable durée de vie d’un produit. Quand bien même ces lois de réparabilité sont en grande partie dues à une volonté de baisser la consommation de produits, dans un but environnemental, le consommateur d’aujourd’hui le ressent comme un bienfait pour son pouvoir d’achat. Darty et Fnac ont un centre important de réparation de produits. Des marques comme Bompard, spécialisée dans les cachemires haut de gamme, proposent aussi la réparation d’un produit. Au-delà des commerces de seconde main (Leboncoin et Vinted pour les plus connus) certains consommateurs se font une fierté créatrice de réparer ou personnaliser, eux-mêmes ou dans des ateliers, toutes sortes de produits : meubles ou objets de décoration, en particulier.

C’est l’ère de l’esprit malin et de la frugalité : consommer mieux et moins.

2022 s’est globalement terminé sur un commerce de l’insouciance, ce fut l’explosion créatrice. 2023 marque le changement brutal : le pouvoir d’achat baisse, le superflus ou le non indispensable s’étiolent et le consommateur est plus sensible au bouleversement climatique. Après des années d’apnée et quelques fermetures d’enseignes et de mètres carrés, le commerce prend une nouvelle forme, physique comme numérique, se sépare d’un passé devenu passif et colle mieux au consommateur lui-même bien changeant. Le commerce est une matière vivante qui exige aujourd’hui beaucoup de souplesse.

* L’innovation en commerce provenant généralement de USA, nous sommes contraints d’utiliser des termes en langue anglaise. On trouvera les traductions en français de la plupart de ces termes dans le Dictionnaire Commercial de notre Académie sur https://dictionnaire-commercial.com/

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