Déchets, commerce et loi antigaspillage

Déchets et commerces sont culturellement en France des « choses sales » que l’on rechigne à considérer. Il suffit d’observer l’actualité récente avec la loi antigaspillage et le « Black Friday ».

Le commerce est le reflet du consommateur et non l’inverse

Nous sommes noyés sous les déchets et… le carbone. Les déchets étant issus, pour la plus grande partie, de la consommation, j’émets l’hypothèse que des députés – avec à leur tête Delphine Batho – capables, avec célérité, d’imaginer interdire le « Black Friday » (le 26 novembre 2019 en proposant un amendement à la loi anti gaspillage, au nom de la lutte contre la surconsommation et d’un bilan environnemental désastreux) pourraient interdire Noël, Pâques, la saint-Valentin… afin que nous consommions moins ! Les commerçants pourraient ainsi être menacés d’amende ou de prison. Fichtre !

La loi antigaspillage pour une économie circulaire (projet de loi de juillet 2019) est en cours d’examen et les coupables sont désignés : le commerce ! Accessoirement, le « Black Friday » a deux causes de succès typiquement françaises :

  • en premier : la crainte des suites de la grève du 5 décembre 2019, après les blocages par les « Gilets jaunes » fin 2018 ;
  • en second, une promotion très forte et ultracourte un mois avant Noël compensant l’échec des soldes dont la durée – 8 semaines – leur fait perdre sens.

Il y a cependant un progrès important qui est accompli par les députés : le diable désigné – Amazon et autres sites Internet – fait partie des commerçants alors qu’il était ignoré dans le projet de loi. Les sites de commerce – qui vendent en grande partie à partir du téléphone mobile – ne sont donc pas que des entrepôts. Le commerçant n’est donc plus que la petite boutique de centre-ville ou de quartier, c’est aussi la grande surface de périphérie et le commerçant sans magasin donc un site Internet. C’est un réel progrès de compréhension du commerce : bravo aux députés. Pour mémoire, dans le premier appel à projets du Grand Paris (lancé en 2008 par le ministère de la Culture), le mot « commerce » était quasi absent et l’expression « centre commercial » totalement absente.

Un autre projet de « progrès » est proposée par la ministre Elisabeth Borne : « il faut consommer moins et mieux ». En réalité, ce progrès est concrétisé par les consommateurs depuis une vingtaine d’années. Prenons un exemple simple : le textile-habillement. Ce marché a perdu 15% de sa valeur en 10 ans et, justement, cela correspond à la baisse de chiffre d’affaires des hypers et supermarchés entre 2008 et 2015. Parallèlement, la vente des produits de seconde main, est en hausse et 40% des français y auraient goûté en 2019. Le site Internet n°1 de ce créneau est l’estonien Vinted (valorisé à un milliard d’euros en novembre 2019) et la France est son premier marché. « Acheter moins pour acheter mieux », en occasion ou en mode durable, est déjà entré dans les esprits. Le pouvoir d’achat contraint en est en partie la cause. Au premier trimestre 2019, les ventes de produits de grande consommation ont baissé de 1% en volume, notamment en hyper et supermarchés, alors qu’en 2008, la baisse n’était que de 0,8% de baisse… sur l’année.

Par ailleurs, le consommateur lit le Nutri-score des produits alimentaires et demande des appareils ménagers (voir les mesures prises par SEB ou Darty) ou des voitures réparables et utilisables plus longtemps. Ce qui ne l’empêche pas d’être consommateur de SUV, un non-sens environnemental total.

Et le consommateur ?

Donc oui, mesdames et messieurs les députés, madame la Ministre, les français consomment moins et mieux depuis au moins 2008 et monte en gamme dans ses achats en privilégiant bio, local et innovations. Du fait de leur pouvoir d’achat contraint, ils deviennent raisonnables.

Il est donc inutile de mettre des amendes aux commerçants ou de les mettre en prison !

Le déchet n’est pas qu’un rebus, c’est aussi une ressource

Nous n’évoquerons ici que les déchets liés au commerce et non ceux de l’industrie pour l’industrie, ni ceux du bâtiment.

Remercions la Chine de nous aider à réfléchir aux déchets depuis 2018. Entre 1992 et 2017, la Chine, qui n’est entrée dans l’OMC qu’en novembre 2001, et Hongkong ont importés 72,4% des déchets plastiques américains destinés au recyclage. L’usine du monde était aussi la poubelle du monde. Ce qu’elle ne veut plus être depuis 2018. La Malaisie reprend en partie le marché. Alors, les villes américaines croulent sous les déchets plastiques et d’autres natures : métal, verre, papier. Si les américains nous font sourire, les français n’ont pas de quoi être fiers. La Chine fut le premier consommateur mondial de carton qu’elle recyclait en nouveaux emballages. Clap de fin en 2019. La France collecte 79% de ses déchets de papier et carton (7 millions de tonnes), mieux que l’Union Européenne à 72%. Mais elle manque d’usines papetières (que va devenir la Chapelle Darblay ?) et l’excédent est de 1,7 millions de tonnes, exporté en Italie ou en Suisse.

L’exemple du papier et carton n’est pas unique. De fait, les capacités d’accueil des décharges se réduisent chaque année et les propriétaires en augmentent le prix : +30% en 2019 et +40% annoncé pour 2020. Après tri et broyage, ce que l’on appelle les déchets ultimes n’ont plus d’espaces de déversoirs et atteignent 900.00 tonnes. Ils pourraient être transformés en combustibles alternatifs plutôt que d’être exportés en grande partie en Italie, Allemagne et en Scandinavie. Paradoxalement, il faudrait augmenter le prix du KWh pour faire émerger la filière.

Le consommateur et le commerce pour inspirer l’antigaspillage

Le consommateur et le commerce ont ceci de particulier qu’ils fonctionnent de conserve. Le commerce fonctionne si le consommateur l’adopte, c’est un dialogue. Et le commerçant compte pour vérifier s’il peut vivre de son métier. La vente sur Internet permet d’acheter sur mobile quand le veut le consommateur, plutôt le dimanche dès le milieu d’après-midi s’il pleut. Et comme le mobile, point d’achat prioritaire, est dans chaque poche aujourd’hui, il est disponible à tout instant. Il reste au commerçant de vérifier si le coût d’entreposage et de livraison lui laisse une marge, même nulle. Le point de vente est la rencontre physique du produit avec le consommateur, soit cette rencontre économise le temps, soit au contraire elle le capte. Et tout cela fonctionne, pour un hard-discounter ou pour un grand magasin.

Le déchet est un sujet de dialogue à cinq acteurs : l’industriel, le commerçant, le consommateur, le collecteur et le transformateur. Un sixième y est ajouté : la collectivité. Pour le consommateur, il faut un dialogue simple et cohérent à commencer par le tri : le même tri dans toutes les poubelles jaunes, vertes et noires dans toute la France. Ce qui n’est pas le cas. Les canettes d’aluminium, triées dans de nombreux pays ne le sont pas en France ! Par ailleurs, les déchèteries sont le plus souvent éloignées des lieux de consommation et de destruction. Et en amont, il faut un langage simple et cohérent aussi. Puisque tous les produits ou presque ont un emballage, donc un code-barres ou un QR Code, ils sont, en grande partie, identifiables.

Il y a donc des facilités d’identification des déchets qui ne sont pas mises en œuvre à ce jour. De même que le projet de loi semble ignorer le transport de vide (de l’ordre de 40% des volumes) dans les camions. La démarche « pollueur payeur » et les taxes associées semblent être la logique du système. Or, le système D français conduit à contourner ces taxes… On peut d’ailleurs s’interroger pourquoi Procter & Gamble teste une usine de recyclage de couches depuis deux ans en Italie à Trévise, pays de 474.000 naissances annuelles (en 2016) contre 758.000 en France (en 2018). Impact des taxes ? Complexité administrative ? Dialogue avec les autorités ?

Le geste écoresponsable doit être simple, naturel et positif

Il serait fort utile de se référer au prix Nobel d’économie 2017, Richard Thaler, passé maître dans la compréhension de la décision individuelle de l’individu plutôt que sur l’effet global, et dans l’aversion à la dépossession. Ce que l’on appelle aussi le « nudge ». Par exemple, la longue discussion sur la consigne de la bouteille plastique (qui est une source de revenus pour les communes) à 15 centimes a occupé longuement le débat alors que la mise en destruction de la bouteille pour gagner un bon d’achat ou un titre de transport (geste parfaitement écoresponsable !) ont été des succès en répartissant les appareils destructeurs sur les lieux naturels des consommateurs et non des lieux éloignés de leurs lieux de destruction des produits. Le geste écoresponsable doit être simple, naturel et positif. Et il ne faut pas considérer les parkings de la distribution comme des déchetteries (sauf si certains acteurs de celle-ci en font une réalité économique et environnementale) ni les commerçants comme des receveurs de déchets, compte tenu de la taille de leur point de vente. Et il ne faut pas oublier que les sites Internet représentent selon les marchés de 5% à 50% des ventes.

Imaginer que certains déchets peuvent être utiles à des formes de monnaies locales dans leurs collectes jusqu’à leurs recyclabilités peut renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté locale.

Le « nudge », c’est faire de chaque acteur un allié et non un taxé potentiel. Si le consommateur… « déconsomme » c’est par budget contraint, certes, mais c’est aussi par prise de conscience de la qualité et de la durée de vie des produits et du souci de bien agir pour la planète. Passer à l’économie circulaire c’est changer la mentalité de tous les acteurs – l’industriel, le commerçant, le consommateur, le collecteur et le transformateur – dans un mouvement vertueux pour chacun… sans menacer l’un d’eux, par exemple, le commerçant, d’amende et de prison !

Dernier livre : « Méthode et pratiques de la prospectives par les signaux faibles », Editions Kawa, 2018.

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