Titre séduisant en soi mais d’autant plus intéressant qu’il met en relief les évolutions du retail Suisse par rapport à la vison panoramique de l’an dernier.
Le commerce de détail Suisse
Le commerce de détail Suisse a vécu une année 2018 de forte transformation et se reconfigure rapidement.
Alors que la croissance du PIB se normalise par rapport aux autres pays européens avec une prévision 2019 comprise entre 1,6% et 2%, le marché Suisse a connu en 2018 une transformation forte de son commerce de détail non alimentaire. Les dépenses alimentaires et la croissance de l’E-commerce permettent aux acteurs locaux de tirer leur épingle du jeu, mais la concurrence s’intensifie.
L’alimentaire sauve les acteurs Suisses
En 2018, à en juger par les résultats annoncés de Migros et Coop, les ventes dans le commerce de détail alimentaire ont connu un retournement par rapport aux années précédentes : les ventes des produits aux labels locaux, bios, ou qualitatifs ont soutenu la croissance des supermarchés. A l’image des ventes Max Havelaar, atteignant leur record mondial par habitant en Suisse, les consommateurs Suisses maintiennent un niveau de dépense important dans l’alimentaire. Et cela profite avant tout aux deux géants Coop et Migros, même si le secteur du bio voit apparaître quelques nouveaux entrants en Suisse Romande comme Bio c’Bon ou Ôbio.
Le non-alimentaire poursuit sa reconfiguration à marche forcée
Dans le non-alimentaire, 2018 aura incontestablement été marqué par la « débâcle OVS ». A peine un an et demi après sa reprise des 140 magasins Charles Vögele, l’enseigne italienne de mode a purement et simplement mis la clé sous la porte, brutalement. Ses surfaces devenues rapidement disponibles ont créé une forte perturbation dans l’immobilier commercial du pays. Certes, certaines enseignes comme Fnac ont ainsi pu saisir l’opportunité de développer leur réseau (ouvertures à Allaman et Montreux), mais ce départ inattendu aura surtout réduit
l’attractivité de nombreux centres commerciaux qui ont du vivre avec ces cellules vides de nombreux mois.
D’autres secteurs ont aussi vu des acteurs historiques réduire fortement leurs positions. Ainsi, le réseau des 57 librairies Ex Libris (groupe Migros) a annoncé sa quasi-fermeture, maintenant 14 points de vente au total.
Coté grands magasins, Globus se recentre sur ses emplacements historiques comme à Genève ou l’enseigne quitte le centre Balexert pour se concentrer sur son magasin du centre ville.
Dans l’ameublement, qui souffre depuis plusieurs années, après la réorganisation de Micasa / Interio (groupe Migros) de 2016, le groupe Coop annonce le repositionnement de son enseigne TopTip qui est devenue « Livique », traduisant ainsi sa volonté d’une montée en gamme.
Enfin, sous la pression des concurrents du E-Commerce, certaines enseignes emblématiques de la Suisse disparaissent, comme Military Megastore (équipements militaires et outdoor) qui a finalement fermé ses 14 magasins pour devenir un pure player de la vente en ligne.
Plus d’opportunités que jamais
Mais ces perturbations pour certains, sont autant d’opportunités pour d’autres. Ainsi Decathlon qui avait étudié une première fois le marché Helvétique dans les années 2000, a consolidé sa première ouverture Suisse de 2017, avec la reprise en 2018 des 23 magasins Athleticum du groupe Maus Frères. L’enseigne a ainsi pu accélérer son développement et s’appuiera prochainement sur un centre logistique dédié permettant de garantir la disponibilité rapide des produits dans tous les magasins du pays.
Nul doute que cette expérience incitera d’autres enseignes étrangères à étudier une entrée dans le pays au cours des prochaines années : le pouvoir d’achat des suisses, 3 fois supérieur à la moyenne Européenne et qui va encore se renforcer en 2019, reste un atout très attractif.
Un marché du E-Commerce toujours plus bataillé
Les tenors du E-Commerce n’ont pas attendu 2018 pour s’intéresser à ce pactole. Zalando y réalise déjà 800 millions de CHF et Amazon, qui n’a pas encore de site dédié pour la Suisse, y réaliserait déjà plus de 600 millions de CHF.
Certes, les poids lourds Suisses du secteur sont bien profilés : Digitech Galaxus (groupe Migros) réalise déjà près d’un milliards de CHF (+15% en 2018), élargit son offre avec l’intégration de produits d’aménagement, d’habillement ou cosmétiques, et a lancé son site Galaxus sur le marché Allemand en 2018.
Mais Coop a aussi mis un terme en 2018 à son projet de place de marché Suisse (Siroop, en partenariat avec Swisscom) pour concentrer ses efforts sur ses sites d’électronique grand public (Microspot, Nettoshop, Fust et Interdiscount).
Nouveaux développements
Dans ce contexte perturbé, les acteurs majeurs du commerce de détail focalisent leurs moyens sur les activités clés et rationnalisent logiquement leur portefeuille d’enseignes. Mais la concurrence accrue stimule aussi leur esprit d’innovation.
Migros a notamment été remarqué pour le lancement de son application de « social shopping » Amigos, qui propose une alternative intéressante pour la livraison de courses à domicile en permettant à des particuliers de faire les courses pour d’autres dans les supermarchés Migros.
Valora, leader des kiosques dans le pays, a annoncé l’ouverture prochaine d’un magasin entièrement automatique, sans caisse ni vendeurs qui ouvrira dans la gare de Wetzikon ce printemps 2019.
Ces initiatives nouvelles seront sans aucun doute indispensables dans les prochaines années, car le développement du commerce de détail, jusque là basé sur le développement de nouvelles surfaces au cours de la précédente décennie, ne pourra plus compter sur ce levier. Certes, les nouveaux pôles commerciaux dans les gares comme la future gare des Eaux Vives donneront quelques nouveaux relais de croissance. Mais le flop total du dernier centre commercial lancé en Suisse (Mall of Switzerland, ouvert en Novembre 2017), déjà en pleine crise après quelques mois d’ouverture montre que la logique a maintenant changé.
Pour se maintenir et se développer, le commerce de détail Suisse va devoir innover, tout en faisant face à une nouvelle concurrence, aussi bien en magasin qu’en ligne, et à laquelle le marché n’a pas été habitué. Challenge exigeant en perspective, mais qui donnera certainement de belles surprises.
Nicolas Inglard est correspondant à l’étranger pour l’Académie des sciences commerciales en Suisse. Il est directeur d’imadeo à Genève – cabinet de conseil et d’études pour le commerce.