Cette réflexion a pour vocation de conceptualiser la spiritualité dans l’espace de la consommation, à en définir les caractéristiques et comprendre ses influences afin de voir si des liens avec la consommation pouvaient être établis.
Le cadre conceptuel : le lien spiritualité et consommation
Le constat de la généralisation du mode marchand de la satisfaction des besoins n’est pas nouveau mais tout indique qu’une nouvelle étape a été franchie. Aujourd’hui, il semble que même la spiritualité fonctionne en libre‑service, avec une recherche d’expression des émotions et des sentiments et des quêtes animées par le souci du mieux‑être personnel, conformément à la logique expérientielle (Champion, 1993 et 1995) (Lipovetsky, 2006).
C’est donc un marché en croissance caractérisé par une demande diverse dans ses expressions (soins, produits culturels, alimentation…) et exigeante sur la qualité relationnelle, désireuse aussi d’expériences spirituelles nouvelles et parfois exotiques (voyages vers l’Orient, regain d’intérêt pour les cultures primitives et souhait de retour à la nature). Le marché de la spirituali‑religiosité a toutes les caractéristiques d’un marché jeune (au moins en Occident) et sur ce marché en expansion les nouveaux entrepreneurs vont donc mettre en œuvre les diverses stratégies de conquête suggérées par le marketing (Donnadieu, 2001).
L’une des caractéristiques de cette quête spirituelle contemporaine, c’est son rapatriement dans l’ici et maintenant. Ce n’est pas la vie éternelle ou le salut de son âme que l’individu hypermoderne veut acquérir ou assurer, c’est un mieux‑être dans l’immédiat et une quête d’efficacité en étroite correspondance avec les impératifs de la construction de soi dans une société hyperconcurrentielle (Hervieu‑Léger, 2001).
Cette quête prend aussi la forme d’une transcendance de soi qui se réalise au nom de soi‑même avec une source de sens est aussi le soi. Mais la frontière entre cette quête de soi‑même et la quête de Dieu semble étroite et la transcendance de soi peut flirter aussi avec la quête non pas d’un Dieu transcendant mais d’un Dieu que l’on porte en soi (Champion, 1995 et 2000).
A cela nous pouvons citer Gilles Lipovestky « Rien n’est plus étrange en ce temps planétaire que ce que l’on désigne par un « retour du sacré » : succès des sagesses et des religions orientales (zen, taoïsme, bouddhisme), des ésotérismes et des traditions européennes (pythagorisme, théosophie, alchimie), étude intensive du Talmud et de la Torah (…). Incontestablement il s’agit là d’un phénomène très postmoderne en rupture déclarée avec les Lumières, le culte de la raison et du progrès » (Lipovetsky, 1983, pp. 112).
Il faut sans doute considérer que cette résurgence des spiritualités et des ésotérismes permet entre autres, aux individus, d’augmenter l’éventail des choix et des possibles de la sphère privée en permettant un cocktail individualiste de sens, cette attente ayant immanquablement des conséquences sur les attentes sur les comportements de consommation.
Le cadre de la postmodernité nous donne à comprendre qu’au‑delà du mouvement de sécularisation se développe le noyau d’une option mystique largement répandue dont les débuts coïncident avec le troisième millénaire et dont les principaux traits sont la dimension nomade, le climat émotionnel, la sensibilité environnementale et le sentiment d’incertitude. Ce nouvel environnement laissant des espaces de développement pour la réflexion spirituelle.
Lipovetsky (2004) toujours constate que la spiritualité fonctionne comme une extension de l’hypermarché et du libre‑service, libre‑service servant de support pratique à une quête de mieux‑être personnel. Cette quête de « mieux‑être personnel expérientiel » se retrouve dans ce que Maffesoli (1996) pointe dans cette qualification du New Age qu’il considère comme « une volonté de réalisation du soi comme élément du cosmos et non comme la réalisation de soi » au sens de la philosophie classique.
Le cadre de l’hypermodernité prolonge et complète celui de la postmodernité en mettant notamment en avant la « soif d’expériences » qui caractérise le consommateur dithypermoderne ; or, cette recherche d’expériences est aussi utilisée comme un chemin d’accès à la spiritualité, peut‑être moins pour son essence que pour des conséquences imaginées comme un supplément de bien‑être et/ou de sérénité.
Aubert (2004) indique que cette « hypermodernisation » de l’individu se construirait autour de cinq thèmes : le rapport au temps, le rapport au corps, le rapport aux autres, le rapport à soi‑même et le rapport à la transcendance.
En synthèse les trois principaux axes de notre cadre d’analyse se retrouvent dans la figure 1 :
Figure 1 : les axes du cadre d’analyse de la spiritualité dans la consommation
Résultats de l’étude exploratoire : la spiritualisation des lieux
Afin d’explorer le périmètre de l’identité spirituelle du point de vente appliqué au cas des magasins bios et des magasins monastiques nous avons conduit une étude qualitative exploratoire sur un échantillon de 30 consommateurs.
Les entretiens ont duré entre 20 et 60 minutes ; la majorité de ces entretiens a été réalisée en face à face. Les interviewés étaient tous clients réguliers d’un magasin Biocoop ou de magasins monastiques. Dans un souci de validité interne et de fiabilité, les interviews ont toutes été enregistrées et retranscrites intégralement afin de favoriser l’analyse. De plus, elles ont fait l’objet d’une prise de notes systématique afin de mettre en lumière les éléments forts du discours des répondants et de favoriser une meilleure appropriation ultérieure des données. Enfin, nous avons rédigé des comptes‑rendus d’entretien, ceux‑ci précisant d’une manière synthétique les éléments de contexte (lieu, heure, interlocuteur, etc.) ainsi que les éléments issus de la prise de notes, comme le préconisent Miles et Huberman (2003). Les données ont fait l’objet d’analyses par le biais de la technique de l’analyse de contenu.
Les deux types de « magasins » retenus l’ont été au regard notamment des éléments du cadre théorique mettant en avant les contenus des nouveaux mouvements religieux où nous trouvons notamment une volonté de réencrage avec la nature associée à une recherche de bien être (enseigne Biocoop) avec une aspiration également à la spiritualité et à l’authenticité (les magasins monastiques).
La spiritualité est perçue par les individus de manière assez polysémique même si derrière la diversité des verbatims apparaissent un certain nombre de dimensions : ainsi la spiritualité peut être associée à des notions aussi diverses que : l’harmonie, la conscience de l’existence de l’âme ou de l’esprit, la connexion avec une altérité, l’introspection, le détachement du matériel, la recherche de sens, la recherche de transcendance.
Nous allons illustrer ces dimensions au travers d’exemples de verbatims cités par les interviewés :
I) Se relier à soi
« La spiritualité c’est un retour sur soi, c’est essayer de mieux comprendre son comportement et ses réactions face aux événements extérieurs. La spiritualité c’est aussi répondre à une question comme : comment je gère ma vie de tous les jours. C’est fondamentalement une démarche personnelle et individuelle. » (Véronique, 50 ans)
« Pour moi une expérience spirituelle c’est la dernière fois que je suis allée en vélo par le canal vers Ouistreham. On pourrait passer vite et ne rien voir ou au contraire aller plus lentement. Le quotidien nous fait fonctionner comme des machines et ne nous offre pas d’espace pour la réflexion spirituelle. Pour cela il faut s’arrêter en oubliant la dimension du temps pour se connecter avec soi et se poser des questions ; va‑t‑on dans le bon sens de sa vie, c’est aussi des moments où l’on ressent de la joie de vivre, de la sérénité, de la paix, cela nous construit aussi à travers des expériences vécues, on aspire toujours à devenir meilleur. » (Iwona, 34 ans)
II) Se relier aux autres
« Pour moi l’expérience spirituelle c’est ressentir un lien avec ce qui m’entoure avec un sentiment de connexion quasi physique, sentiment d’un lâcher‑prise global intérieur, et une sensation de former un tout avec mon environnement. » (Nathalie, 45 ans)
« Quand on me parle de spiritualité je pense aussi au voyage. Voyager c’est s’ouvrir, rencontrer d’autres pays et personnes. J’aimerais voyager seule (référence à l’émission Pékin Express) pour rencontrer l’autre dans son chemin de vie et pour aussi m’interroger sur moi. » (Valérie, 42 ans)
III) Se relier à la nature
« La spiritualité c’est aussi tous les moments où je vais prendre conscience de l’infini, les moments où nous apprécions notre petitesse par rapport à l’univers. Je suis également dans la spiritualité quand je suis relié aux éléments naturels : quand je suis sous la pluie, en buvant de l’eau, quand je me baigne à l’extérieur, couper du bois en forêt, faire un feu… moment fort et nécessaire, c’est un élément de ressourcement. » (Nicolas, 43 ans)
IV) Se relier à une transcendance
« Pour moi une expérience spirituelle c’est prendre conscience de la dimension immatérielle de notre existence, c’est aussi la conscience de l’existence de l’âme ou de l’esprit pour soi mais aussi pour les autres. C’est également avoir conscience d’une énergie supérieure qui nous dépasse dans laquelle nous trouvons la paix et l’infini sans limite de temps et d’espace. J’expérimente cela par la méditation, par des rencontres, par la contemplation de la nature, d’un lieu ou des humains. » (Pascale, 41 ans)
V) Opposition au matériel, au non authentique et déconsommation
« J’ai l’esprit encombré comme mes placards le sont. J’ai envie de me séparer d’objets, de faire le vide, d’avoir moins de chose. » (Céline, 41 ans)
« La spiritualité correspond à un retour sur soi mais aussi à une recherche d’élévation de l’esprit et de l’âme. C’est aussi une recherche de dépassement des réalités matérielles qui nous amène à nous interroger aussi sur le matérialisme ambiant. » (Annie, 45 ans)
VI) Quête existentielle et recherche de sens
« Vivre une expérience spirituelle c’est se trouver dans des états de bien‑être, c’est avoir envie de prendre du recul et de sortir de la spirale infernale du quotidien, c’est se détacher des possessions, de la surmatérialité. C’est aussi retrouver du sens à la consommation et rechercher du détachement dans cette consommation. » (Éric, 44 ans)
Le sens général que l’on peut observer des catégories identifiées : la recherche de transcendance, se relier à soi, se relier à l’autre, se relier à la nature et au lieu traduisent à la fois le caractère multipolaire de la démarche spirituelle des consommateurs et en même temps il est caractéristique d’identifier au sein de cette démarche la dimension du mouvement, de la dynamique visant à opérer une action à l’intérieur ou à l’extérieur de soi. Il est maintenant intéressant d’appréhender comment, dans les points suivants, ces attentes et motivations vont pouvoir se traduire à la fois dans le champ de la consommation en général et dans celui du point de vente en particulier.
Les verbatims identifiés correspondent au concept de spiritualité et d’expérience spirituelle décrite par Lenoir (2003) et Meslin (2005) venant ainsi confirmer les travaux réalisés de ces chercheurs.
Dans cet objectif nous allons poursuivre notre analyse des interviews des consommateurs mais cette fois-ci rattachées aux expériences vécues dans 2 types de point de vente : l’enseigne de produits biologique Biocoop et les magasins monastiques.
Les paragraphes suivants restituent la seconde partie de l’entretien qualitatif conduit avec les interviewés. Le questionnement posé ici cherche à comprendre de quelle manière les consommateurs peuvent vivre une expérience spirituelle dans un cadre marchand. Ce qui est exploré ici avec les interviewés correspond aux phénomènes qu’ils vivent et expérimentent au travers de la spiritualité d’une expérience de consommation.
L’expérience consommateur dans les magasins Biocoop
Les principales associations apparues dans le cadre de cette enseigne correspondent à une recherche de bien être, de santé, d’équilibre et de développement de soi dans un contexte où l’atmosphère générale du point de vente favorise autant l’ambiance générale du magasin que la relation avec les professionnels de la boutique ou celle entre les clients. Cette atmosphère favorise également une ambiance calme et apaisée propice à l’intériorité et à l’ouverture à l’autre.
« Dans les années 80, en Californie, on avait une approche du spirituel qui était plutôt New Age et proche de l’esprit de Carlos Castanedas. On recherchait plutôt à « quitter » la terre pour se relier au cosmos. Aujourd’hui la spiritualité en Californie s’exprime surtout au travers d’une prise de conscience de la terre, de la nature, du respect de l’environnement. On cherche à mieux habiter là où l’on est, on ne recherche plus la transe mais à se diriger vers de l’humanisme et du zen afin de profiter maintenant ensemble de la terre plutôt que de lui échapper. » (Erika, 45 ans)
« Globalement, consommer des produits bio m’aide à progresser sur un chemin vers plus de spiritualité. » (Jean-François, 54 ans)
« Je pense que ce type de magasins ne sont pas des hauts lieux de la consommation à tort et à travers, il n’y a pas de futile, les étalages sont souvent sommaires, tout ce qui est vendu est utile et on a le sentiment que c’est la nature qui approvisionne les rayons et pas l’industrie» (Céline, 41 ans)
« Je suis cliente d’un magasin qui s’appelle Le Tournesol à Valognes dans la Manche, qui est un magasin bio local avec un rayon huiles de massage et huiles essentielles. C’est un indépendant qui offre le thé à ses clients, on y rentre avec le sourire et on ressort rayonnant. Je suis ici dans un magasin qui dégage de la spiritualité » (Nathalie, 40 ans).
La consommation d’un produit biologique exprime la conscience du caractère majeur des enjeux écologiques avec l’humain comme élément central. C’est cette conscience de l’universel et de la nécessité de protéger tout à la fois la nature et l’homme qui place cette dimension dans le champ du spirituel.
Toutefois les verbatims sélectionnés ici traduisent les aspirations des consommateurs interviewés sur un triple plan : le sens au regard de la compréhension de soi, le sens au regard de l’accomplissement de soi et le sens dans une perspective collective et universelle.
L’expérience consommateur dans les magasins monastiques
Le cas de la consommation dans les magasins monastiques souligne que ce type de lieu invite, selon les répondants, tout comme dans des lieux de pleine nature, à s’interroger plus qu’ailleurs sur les mystères de la création, sur la vie et sur la mort des individus, sur notre rapport à la transcendance et de manière générale sur le sens de la vie.
« Pour moi, quand je viens dans un magasin monastique, la spiritualité s’exprime au travers de la recherche de livres qui suscitent de la réflexion, des livres qui vont permettre du développement personnel mais aussi au travers de l’achat de produits bio. » (Pierre, 46 ans)
« Venir dans ce type de magasin me procure un sentiment de bien‑être et me pousse à m’intéresser à la spiritualité ; ce que j’éprouve ici, c’est à la fois une dimension de solennité et aussi, ce que je pourrais appeler une forme de profondeur d’âme. » (Fabien, 38 ans)
« À chaque fois que je viens dans ce magasin, cela me remet les pendules à l’heure par rapport aux choses importantes de la vie. C’est calme, apaisant et je me sens plus sereine en repartant. » (Anne, 60 ans)
« Pour qualifier ce type de magasin, j’aurais tout à la fois envie de parler de bien‑être qui développe aussi un sentiment mystique, surnaturel. Pour moi c’est avant tout un lieu magique. » (Hélène, 35 ans)
Concernant l’authenticité, le caractère perçu comme authentique des magasins monastiques tient à la fois au contexte historique mais aussi à la nature des « vendeurs » (les moines ou moniales) qui ne sont pas assimilés à des professionnels de la distribution.
Cette étude qualitative exploratoire a permis de comprendre les phénomènes racontés par les 30 consommateurs interviewés. Ils peuvent être regroupés en cinq catégories qui correspondent aux phénomènes associés à la spiritualité de l’expérience dans la consommation et que l’on retrouve dans la figure 2.
Figure 2 : Les catégories de la spiritualité de l’expérience et de ses conséquences chez les consommateurs
Il est alors possible de :
- de mieux appréhender le concept de spiritualité et d’expérience spirituelle dans son essence et ses conséquences ;
- de comprendre quelles sont les premières catégories de produits et de services auxquels nous pouvons nous référer quand on parle de place de la spiritualité dans la consommation ;
- d’appréhender au travers des verbatims des consommateurs en quoi le point de vente, au travers de son offre‑produit et services ou au travers de variables d’atmosphère peut contribuer à spiritualiser une expérience de consommation ;
Analyse des résultats et recommandations
La fréquentation d’une enseigne comme Biocoop et la consommation de produits biologiques semblent ainsi placer le consommateur dans une expérience vers lui‑même ayant comme finalité de répondre à une aspiration de transformation de soi comme l’indique la figure 2. Cette transformation passe par l’identification de 5 catégories de l’expérience de consommation et par trois types de conséquences.
Observons également que l’analyse des résultats de l’étude terrain laisse aussi apparaitre l’importance de l’influence de la spiritualité de l’expérience sur le bien‑être, le bien‑être reposant sur les deux variables : l’apaisement et le retour à l’essentiel.
L’apaisement est la variable la plus proche du bien‑être au sens du bien‑être physique et psychique alors que le retour à l’essentiel renvoie à une ouverture à l’extérieur de soi incluant une envie de se centrer sur les aspects fondamentaux de la vie d’un individu.
L’enseigne Biocoop est celle qui influe le plus sur l’apaisement au travers de son offre‑produit, de l’atmosphère générale du magasin et des comportements du personnel du point de vente. Ces trois éléments font que l’achat dans ce type de point de vente génère un apaisement qui repose à la fois sur l’expérience vécue lors de l’achat et aussi sur la perspective de consommer des produits qui vont favoriser un meilleur équilibre corporel qui agira sur le sentiment de bien‑être du consommateur.
Concernant le souhait des consommateurs d’un « retour à l’essentiel » nous constatons que cet axe correspond pleinement aux travaux sur la consommation verte et la décroissance qui mettent en avant cette envie « d’essentialisation » d’une partie des consommateurs recherchant aussi au travers de la consommation un supplément de sens.
Dans ce contexte, les résultats de l’enseigne Biocoop sont particulièrement intéressants. Ils signalent que cette aspiration d’une partie des consommateurs à une transformation de soi de l’intérieur (nous ne sommes pas sur le marché de l’esthétique avec là aussi une aspiration à la transformation de soi mais s’effectuant par un canal externe) a aussi besoin de s’exprimer dans le champ de la consommation et qu’une activité comme la distribution de produits alimentaires biologiques peut et doit aussi remplir cette fonction.
Les résultats qui concernent les magasins monastiques s’inscrivent dans la même direction que ceux identifiés pour l’enseigne Biocoop mais ils soulignent l’importance des lieux et l’atmosphère associée à ces lieux, s’inscrivant ainsi dans les travaux réalisés par Badot sur la nécessité d’une stratégie de sur-expérientialisation des lieux dans la perspective d’un commerce de plus en plus digital.
Dans les deux cas nous pouvons esquisser un modèle permettant d’intégrer les fonctions d’un lieu répondant aux aspirations des consommateurs de vivre une spiritualisation de l’expérience de consommation : le point de vente pourrait permettre au consommateur de se relier à lui‑même (« Intériorisation », « Réflexion existentielle », « Immanence ») ou de se relier à l’extérieur de soi (vers les autres ou vers une transcendance).
Le seconde fonction doit permettre au consommateur de vivre une expérience concrète de la spiritualité (bien être, apaisement, harmonie) ou d’offrir une perspective plus abstraite (sagesse, quête de sens, transcendance).
Dans les deux cas l’élément central correspondra à une aspiration forte à la transformation de soi, qui représente la finalité de la spiritualité (Fromaget, 1998).
Dans ce contexte, les recommandations pour les deux types de point de vente s’articulent autour de deux notions clés que nous allons qualifier de « réflexion existentielle » et « intériorisation ».
Concernant l’enseigne Biocoop, l’un des risques (alors que le réseau Biocoop représente en 2017 plus de 450 points ventes et un milliard d’euros de chiffre d’affaires avec la perspective d’une quarantaine de nouvelles ouvertures cette année) c’est l’intégration trop forte des codes classiques du marketing des marchés de la grande consommation.
L’atmosphère générale du point de vente doit favoriser une ambiance calme et apaisée propice à l’intériorité et à l’ouverture à soi et à l’autre (clients ou professionnels du point de vente).
Il semble que ce type d’atmosphère doit au contraire stimuler l’intérêt pour le détachement de certaines formes de matérialité notamment au travers du caractère épuré des points de vente qui laissent le produit et plus encore la nature dans ce qu’elle incarne de sacré et de magique s’exprimer en priorité.
Par ailleurs la mise en évidence de l’intériorité comme dimension caractérisant la spiritualité de l’expérience de consommation souligne l’importance de proposer des informations pour le consommateur comme c’est le cas aujourd’hui avec l’organisation spatiale des magasins bio qui réserve le plus souvent un espace informatif avec des livres et des magazines à acheter mais aussi des magazines gratuits comme les revues Bio Contact ou Consomm Acteurs qui livrent aux clients des informations sur la planète, la santé, la spiritualité. Ce type d’espace informatif dans les magasins favorise l’intériorité dans une perspective que nous pourrions qualifier d’auto initiation de soi sur le plan physique et/ou spirituel, mais recréer du lien entre les consommateurs eux-mêmes et avec les équipes de contact serait par ailleurs un moyen d’amplifier cette démarche et d’être plus en cohérence avec l’esprit coopératif de Biocoop.
Concernant les magasins monastiques, nous associerons ensemble la réflexion existentielle et l’intériorisation car nous sommes face à des points de vente qui possèdent à la fois un nombre de références plus restreint que Biocoop et dont le positionnement est intrinsèquement orienté vers la réflexion existentielle et l’intériorisation.
Contrairement aux gammes de produits de ces magasins qui ne jouent pas toutes totalement leur rôle pour favoriser la spiritualité d’une expérience de consommation, les dimensions associées à l’atmosphère du point de vente expriment le plus souvent un lieu « sous influence », un sentiment d’authenticité, une véritable expérience de sens et d’élévation.
En conclusion cette recherche avait pour vocation de conceptualiser la spiritualité dans l’espace de la consommation en général et dans celui du point de vente en particulier, à en définir les caractéristiques et comprendre ses influences.
« Spiritualité et consommation » relève a priori de l’oxymore, même si nous savons que les produits jouent un rôle bien supérieur à celui de la stricte utilité ou de leur valeur marchande (Marx, 1867 ; Holt, 1997) dans un contexte de recherche de sens de la part des consommateurs et même d’une tentative de réinvention de celui-ci (Thompson et Arsel, 2004).
Nous avons ainsi spécifiquement observé dans le cadre de cette recherche que le lieu revêt un caractère sacré au sens de la séparation d’avec le monde profane, mais qu’il n’est pas uniquement un espace sacré où les individus resteraient à l’extérieur sans posséder la clé ; les consommateurs s’inscrivent dans une démarche dynamique et veulent vivre une expérience spirituelle au travers d’un lieu qui devient ainsi un espace d’accès à la transformation de soi (magasin bio, monastère, musée, site naturel…).
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