COVID-19 : comment combiner consommation et distanciation ? Il n’y aura pas « d’après-COVID-19 » mais un « avec COVID-19 » et avec une foule de questions ouvertes dont il nous restera à inventer les meilleures réponses.
-5,8% de « croissance » du PIB au premier trimestre 2020 par rapport au quatrième de 2019, et ce sera sans doute pire au deuxième. Voilà donc la baisse la plus forte, depuis que cette série trimestrielle est calculée : 1949. Pourquoi ? Evidemment du fait du confinement qui a fait chuter la production, donc la distribution de revenus, et la consommation.
Entre fin 2019 et début 2020, si l’on prend les chiffres de l’Insee, évidemment provisoires, il va ainsi « manquer » 34 milliards de PIB sur 580, dont 19 viendront de la consommation des ménages : de 302 à 283 milliards. Si l’on ajoute les 4 milliards perdus dans l’investissement des ménages (de 31 à 27 milliards), la perte de PIB est ainsi de 23 milliards venant des ménages, à côté de la baisse de 9 milliards d’euros venant de la chute des investissements des entreprises. La baisse du PIB de début d’année vient des ménages pour les deux tiers.
Que retenir de ces chiffres sur la consommation ?
D’abord que l’importance de la chute d’activité, en France comme partout, ne vient pas de l’investissement, toujours plus volatile que la consommation des ménages, mais de la contraction rarissime de la consommation, pour ne pas dire : de sa crispation. Quand les ménages ne sortent plus, c’est évidemment la part la plus sensible de leur demande qui s’arrête tout de suite, une bonne part de leur consommation de services. Ils ne vont plus au bureau ou à l’usine, au restaurant d’entreprise ou au restaurant tout court, chez le coiffeur, au cinéma, même s’ils consomment plus de films à la demande et peuvent se faire livrer depuis chez Carrefour ou des grille-pains par Amazon ! C’est ensuite, au sein de la consommation, que s’opère un tri entre biens, au bénéfice de la consommation alimentaire, souvent à faible valeur ajoutée (conserves, pâtes…).
Pour comprendre les calculs que fait chaque entreprise pour elle-même, la bourse se lance alors dans un double travail : celui de mesurer le choc de rentabilité des entreprises, celui de figurer le futur de la consommation et de ses canaux, pour savoir comment il sera surmonté. Danone a ainsi perdu 12% sur un an, mais Carrefour 20%, Fnac-Darty 63% et Renault 70%. Est-ce à dire que les ménages vont hiérarchiser et sélectionner plus leurs produits, acheter plus près de chez eux avec une gamme de produits plus réduite, se faisant livrer les biens durables, petits ou grands et voyager moins ? De fait, les ménages consomment moins aujourd’hui parce qu’ils ont moins de revenus (du fait du chômage technique et plus encore s’ils sont indépendants), parce qu’ils sont inquiets d’aller faire des courses (les lieux de vente ne sont évidemment pas étudiés pour gérer la distanciation) et plus encore pour le futur. La forte montée de l’épargne que l’on constate (plus du tiers du revenu) est pour partie automatique, du fait de cette moindre consommation et pour une autre part liée à l’incertitude sur le futur. Que va devenir le chômage ? Que va-t-il se passer dans les TPE et PME. On voit déjà que les offres d’emploi plongent, plus vite encore que ne montent les demandes. Que sera la demande avec un taux de chômage qui va vers 20%, des salaires qui ne montent plus, des primes en baisse, des entreprises qui n’embauchent plus avant d’offrir des emplois à temps partiel, chez soi, ou de mener des plans de licenciements ?
Il n’y aura pas « d’après-COVID-19 »
La disruption que l’on mettait en avant, avec la possibilité de choisir et de comparer chez soi, en prenant en compte le prix, des indicateurs de qualité mais aussi de provenance va-t-elle changer aussi les circuits de distribution ? La distanciation de la consommation va faire changer les comportements ? Va-ton « nationaliser » la consommation, avec une priorité au made in France ou en zone euro ? Va-t-on la faire « verdir », en prenant des produits de saison et « bio » ? Au croisement de ces évolutions sociétales, va-t-on consommer plus en moyennes surfaces de proximité, moins en hypermarchés de banlieues ? Que vont devenir les galeries marchandes et les grands centres commerciaux, les villages de soldes (outlet) ?
Comment cette sur-épargne qui pèse sur la consommation va-t-elle se dissiper ? Quand ? Va-t-elle continuer à peser sur les prix et à mener à la déflation, alors que tant s’inquiètent d’un regain d’inflation ? Les banques vont-elles pouvoir continuer à soutenir les entreprises et les ménages en difficultés ? Les marchés attendent 15 milliards de provisions des banques : combien vaudront les « anciens commerces », du tourisme et des agences de voyages, des hôtels… auxquels ils ont fait crédit, pourront-ils rembourser ? En même temps, qui va gagner des livraisons à domicile ?
Il n’y aura pas « d’après-COVID-19 » mais un « avec COVID-19 », le temps que se trouve une solution et que se dissolvent les inquiétudes actuelles. En même temps peut se recomposer le tissu de la distribution et de la production : plus proches, simples, nationales avec une nouvelle composante de service pour expliquer, présenter et livrer.
Les liens production-distribution, après 50 ans de ramifications et de globalisation, viennent de connaître un choc immense, en deux mois, qui ouvre grande ouverte la porte aux innovateurs.
Professeur émérite de sciences économiques à l’Université Paris Panthéon Assas, Jean-Paul Betbeze est ancien chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA et membre du Cercle des économistes.