La crise économique, qui a débuté au Liban en 2019, a engendré une chute libre de la monnaie locale par rapport aux devises étrangères et une forte récession économique. Le pouvoir d’achat et le comportement des consommateurs ont rapidement changé, avec un impact sur les distributeurs qui ont été contraints à s’adapter à un nouveau contexte défavorable.
La crise a principalement affecté les consommateurs de la classe moyenne, qui achetaient des produits alimentaires importés et des marques internationales disponibles dans les grandes surfaces. Ces consommateurs ont été contraints à s’orienter vers les produits locaux notamment les produits du terroir.
Les produits alimentaires du terroir ont été longtemps relégués aux personnes âgées des zones rurales, que certaines fabriquaient elles-mêmes selon un savoir-faire ancestral. La consommation de ces produits par les citadins était très faible et réservée aux consommateurs, qui entretenaient des relations étroites avec leurs parents, vivant dans des villages où leur fabrication artisanale était maintenue. Ces produits étaient menacés d’extinction, malgré leurs dimensions économique et sociale, car leur fabrication permettait à des familles rurales de disposer d’une autosuffisance financière et de participer avec parents et voisins à cette activité saisonnière.
Les produits libanais du terroir avaient également l’avantage d’une conservation sans recours à la chaine de froid et une préparation basée sur des ingrédients frais et une manipulation artisanale. Les produits du terroir ont constitué, pour une majorité de consommateurs, une alternative aux produits alimentaires importés. Les distributeurs ont modifié leur assortiment en ajoutant des rayons de produits du terroir au détriment des produits de marque internationale. Les artisans, qui ont développé une marque pour leurs produits et qui ont investi en promotion, ont pu accéder aux rayons des grandes surfaces. L’appui d’organismes européens et américains aux fabricants des produits du terroir a permis une amélioration rapide de la qualité ainsi qu’une formation à la commercialisation et l’exportation.
Le comportement d’achat des consommateurs a changé. Ceux-ci fractionnent dorénavant leurs achats de biens de consommation à cause de la baisse substantielle de leurs disponibilités financières. Ce changement a augmenté la fréquence des visites aux points de détail quand le panier moyen baissait sensiblement. Certains produits chers ne trouvent plus preneur et les distributeurs gèrent des quantités importantes de produits périmés affectant la rentabilité de leurs opérations.
L’offre des grandes surfaces a évolué et leur mode d’approvisionnement a partiellement changé ; traditionnellement leurs fournisseurs étaient de grandes entreprises, maintenant elles ont élargi leur approvisionnement à des petits fabricants de produits du terroir qui étaient considérés, avant la crise, moins fiables et incapables de leur accorder un crédit supérieur à 30 jours.
Le cout de l’énergie et l’incertitude sur l’approvisionnement en pétrole de leurs groupes électrogènes ont également impacté les marges des distributeurs de produits périssables. Ce coût a été répercuté sur les prix aux consommateurs, ce qui a modifié la structure des prix et incite les grandes surfaces à investir dans les panneaux d’énergie solaire pour réduire leur dépendance énergétique et assurer la chaine de froid. Cependant, cette conversion énergétique nécessite des investissements importants amortis sur 10 ans, fragilisant la rentabilité de nombreux distributeurs.
La dépréciation du taux de change de la livre par rapport aux devises étrangères a également affecté les prix des produits qui ont été multipliés en moyenne par 50 entre 2019 et 2023. En parallèle, les institutions financières ont restreint l’utilisation des cartes de paiement, ce qui a augmenté la masse des liquidités en circulation et a obligé les distributeurs à accueillir une majorité de consommateurs réglant leur facture en espèces. Cette nouvelle façon de payer a déclenché des files d’attente devant les caisses, un risque accru d’erreurs dans la manipulation d’espèces et la nécessité de transporter de grandes sommes d’argent vers les banques, plusieurs fois par jour, pour des raisons de sécurité. Après de nombreuses démarches, visant à stabiliser les prix et à offrir aux consommateurs la possibilité de comparer les prix de différents distributeurs, l’affichage des prix des produits en dollars américains a été accepté dans les points de vente après avoir surmonté la législation locale et l’obstacle règlementaire.
Au Liban, les distributeurs des produits de grande consommation, notamment les produits alimentaires, sont des acteurs incontournables. Ils sont condamnés à s’adapter au contexte dynamique du pays et à faire face à de nombreuses incertitudes. Leur réactivité devient une priorité pour assurer la continuité de leur service à leurs clients et calmer l’inquiétude de la population libanaise qui a vécu, durant une longue période, la hantise d’une pénurie des produits alimentaires et même d’une menace d’interruption de l’approvisionnement véhiculée par les médias.