1 B.E. & A.E. vs Français
Le nombre et l’accroissement des termes anglais BE (British English) et surtout américains AE (American English), dans la communication commerciale en français, presse papier et Internet, préoccupent, souvent à juste titre, les « Défenseurs de la langue française »[1].
Toutefois, dans ce domaine, plus que dans tout autre, nous devons nous garder de tout amalgame ou de tout raisonnement intellectuel voire de généralisation abusive. Gardons à l’esprit que toute langue est le reflet d’une culture, et que la traduction dans une langue de culture différente, n’est souvent qu’une approximation voire une déformation.
« L’un des problèmes les plus urgents que pose l’Europe est celui des langues. « On peut choisir une langue dominante, dans laquelle se feront désormais les échanges, ou bien jouer le maintien de la pluralité, en rendant manifeste le sens et l’intérêt des différences. Ce vocabulaire s’inscrit dans la seconde optique (…). Il explore le lien entre fait de langue et fait de pensée, et prend appui sur ces symptômes que sont les difficultés de passer d’une langue à l’autre- avec mind entend-on la même chose qu’avec Geist ou Esprit ? (…) » Source Vocabulaire européen des philosophies. Seuil Le Robert 2004 |
« La langue anglaise ou le génie de l’ordinaire »[1] Ce « génie de l’ordinaire » constitue l’obstacle majeur de la traduction de l’anglais vers le français. Et ce plus particulièrement pour l’American English (voir ci-dessous Ruée vers l’Ouest) En effet, les termes commerciaux anglo/américains ont été créés le plus souvent à partir du terrain. Ce fameux « bottom up » comme le « marketing » que pratique la fermière en allant au marché. « Marketing. Malgré les tentatives de spécialistes pour donner de ce mot une traduction trop limitative, rappelons qu’en tant que forme en ING du verbe to market, il a tous les sens de ce verbe jusques et y compris[2] celui de « porter ses marchandises au marché » Source Michel Marcheteau Professeur d’anglais à l’école supérieure de commerce Dictionnaire de l’Anglais économique et commercial » Pocket 1980 En fait, le BE et surtout l’AE sont des langues de cultures pragmatiques qui, le plus souvent partent du terrain et non d’une réflexion abstraite, intellectuelle, voire académique. C’est la force de l’usage qui domine dans ces langues qui n’ont pas subi les canons[3] d’une Académie « régente de la langue française ». Par ailleurs, on soulignera que l’AE a été fortement influencé par les langues et les cultures des pionniers de la Ruée vers l’Ouest, qui, sauf exception, n’avaient pas connu la langue subtile et les délicats accents d’Oxford ou de Cambridge. « Dire presque la même chose » On pourra également se reporter à l’ouvrage « Dire presque la même chose » du grand linguiste, traducteur et écrivain, Umberto Eco, « Négociation » Voilà, le mot est lâché : tout bon traducteur est celui qui sait bien négocier avec les exigences du monde de départ pour déboucher sur un monde d’arrivée le plus fidèle possible, non pas à la lettre mais à l’esprit. Tout donc est dans le presque du titre. » Myriam Bouzaber Grasset. 2007 [1] Source Vocabulaire européen des philosophies. Seuil Le Robert2004 [2] Jusques avec un S dans la graphie de cette expression traditionnelle. [3] Canon du grec kanon règle |
2 Du Retail au Bashing
Face à un terme ou une expression « anglo-américaine » nous sommes naturellement tentés de consulter un ou des dictionnaires anglais-français. Cette démarche, souvent utile, ne permet pas toujours d’approcher le sens actuel et notamment médiatique d’un terme ou d’une expression. Dans nombre de cas, les traductions proposées ne sont que le copié-collé d’une version standard.
De plus, le BE et l’AE dans le domaine commercial en particulier, s’adaptent en permanence, en créant si nécessaire de nouveaux mots ou expressions, par contraction, abréviation ou réunion, qui ne figurent pas toujours dans les dictionnaires.
Le Retail
L’emploi de retail en français est de plus en plus fréquent :
« Avec l’avènement du numérique, les secteurs du Retail et du Travel ont entamé une profonde mutation. »[2]
« Tech for Retail se veut le lieu de rencontres et d’échanges privilégié pour les professionnels du retail offline & online afin de les aider à décoder les challenges de l’avenir. »[3]
« Les retailers doivent initier leur transition vers le « Net Zero Retail » et accélérer leurs efforts pour décarbonater leurs activités, leurs produits et leur chaîne d’approvisionnement. »[4]
Pour tenter d’approcher le sens de retail en anglais (B ou A), pensons à Jean-François Revel, qui parlait en connaissance de cause puisque lisant le latin et le grec ancien dans le texte et pratiquant plusieurs langues actuelles.
Ainsi, il recommandait « Toujours se référer aux sources dans la langue originelle » pour comprendre un mot, une expression ou un texte.
Donc allons à une source américaine :
“Retail : business of selling products and services to the public as the ultimate consumer [5] “
On notera que cette définition comprend toutes les formes de vente au détail et notamment les petits commerces indépendants, les fameux « Pop Mam business » et les distributeurs dits « grandes surfaces » et plus globalement ce que nous appelons la distribution via Internet.
Notons qu’en AE le terme « distribution » désigne la distribution physique et plus spécifiquement la logistique de distribution donc le circuit des marchandises du producteur au consommateur au sens de répartition/répartiteur.
Soulignons qu’en français le terme « commerce de détail » a une connotation réductrice, car souvent assimilé aux « petits commerçants au détail ».
Il en ressort que l’emploi du mot retail pour désigner le commerce de détail est réducteur par rapport au sens américain, mais il a l’avantage d’être plus bref, comme c’est souvent le cas.
Retail correspondrait plus en fait à « distribution », bien qu’en ce terme soit aussi utilisé pour « distribution en gros ».
Cet exemple illustre bien l’adage italien « Traduttore, traditore », traducteur, traitre, traduire c’est trahir.
Le bashing
De même en France dans la presse professionnelle mais aussi grand public le mot bashing est souvent présent.
« Le nouveau sport à la mode dans le monde de l’immobilier commercial est le « Retail Bashing », vouant le commerce physique aux pires catastrophes à venir »[6]
Ce qui incite certains observateurs à dire, notamment, « stop au presse bashing »[7]
Suivant toujours Jean-François Revel, voyons donc bashing dans son conteste B.E. ou A.E.
To bash : de « to hit something , somebody very hard”
Bashing/ noun (often in compounds)
1 (Used especially in newspapers), very strong criticism of a person or group
2 A physical attack or a series of attacks on a person or a group of people: gay bashing
L’exemple » Hit man / a professionnal assassin who works for a crime syndicate » [8]illustre bien le sens physique de to hit
Bashing a donc une connotation très physique de frapper, de cogner fort, particulièrement dans la presse, que devrait rendre une traduction éventuelle
De plus, le bashing se déroule sur la place publique, physique ou virtuelle, avec la participation de la foule, d’où l’idée de lynchage.
Le développement d’Internet et des réseaux sociaux, incontrôlés, a offert au bashing un champ d’action illimité, en permettant à tout individu quelle que soit sa motivation, et sa compétence, ou son incompétence, de participer, dans un anonymat sécurisant, à cette activité collective et destructrice.
Bashing vs dénigrement
Ce sens de « cogner, frapper fort » n’apparaît pas dans « dénigrement » traduction proposée par certains dictionnaires.
En effet, « dénigrement » a une connotation psychologique, comportementale, voire intellectuelle ou littéraire et vise à « noircir » la cible.
« La malveillance et le dénigrement
Sont les deux caractères de l’esprit français »
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe
« J’ai loué des sots, j’ai dénigré des talents »
Voltaire
Synonymes de dénigrement : calomnie, diffamation, attaquer la réputation…
On notera par ailleurs que l’anglais et l’américain disposent également de denigrate mais l’emploient dans un sens « formal » formel, cérémonieux
“ To denigrate , to criticize sb/sth unfairly; to say sb/sth does not have any value or is not important “
De même pour « Denigration » : dénigrement
3 Adaptations françaises pour Retail bashing
Pour les raisons indiquées ci-dessus, il apparaît que Retail bashing a une connotation de violence collective qui doit être rendue en français. Toutefois, cette violence existant dans des situations très différentes, nous proposons différentes adaptations à utiliser en fonction du contexte, et du style de l’auteur du texte : · Le lynchage médiatique de la distribution · La bastonnade de la distribution, bien dans le sens concret américain · Le matraquage médiatique de la distribution · Les attaques médiatiques anti-distribution, plus académique mais toujours concret et correspondant bien à l’usage américain. On notera qu’« attaques » est un terme générique désignant toutes les actions offensives quelle que soit leur nature, sans impliquer de jugement de valeur sur la personne ou le groupe ciblé. |
[1] On peut d’ailleurs s’interroger sur l’adéquation du terme « défenseurs » à l’objectif de ce mouvement. En effet, « défenseur » avec une connotation de repousser, s’opposer à », est pour le moins négatif. On défend une citadelle contre les envahisseurs. Or, en l’occurrence, il ne s’agit pas de s’opposer à des CONCEPTS B.E. ou A.E. qui n’existaient pas dans la langue française, mais de proposer leurs équivalents en français, pour ENRICHIR la langue française. Dans cet esprit « Bâtisseurs » ou « Enrichisseurs », voire « Actualisateurs » de la langue française paraîtraient plus adaptés… bien que moins démagogiques.
[2] https://www.journaldunet.com/retail
[3] https://www.techforretail.com/badge/?utm_source=google&utm_medium=search&utm_campaign=earlybird&gclid=EAIaIQobChMIpJrY49Sa9AIVhqjVCh0ZPg44EAMYASAAEgJPofD_BwE
[4] https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/consumer-business/articles/tendance-retail-2021.html
[5] Dictionary of Business Terms Fourth Edition
[6] https://www.lsa-conso.fr/quels-modeles-de-sur-vie-pour-les-centres-commerciaux-mapic
[7] https://www.printbasprix.com/blog/paysage-mediatique-francais-comment-inserer/
[8] Merriam-Webster Eleven Edition
CPA HEC EMBA
Membre de l’Académie des Sciences Commerciales, Expert distribution. Membre de la Société des Amis de la Fondation Maeght depuis 40 ans.
Past Conseil en commercialisation et développement (France, Belgique, Suisse, Québec).
Grand Prix de l’Innovation Merchandising 1991. Archives professionnelles « Jacques Dioux Conseil » déposées aux Archives Nationales du Monde du Travail – Roubaix.