EN PARTICULIER LA LOI EGALIM 2 : UN PAS EN AVANT OU UN « MACHIN » ADMINISTRATIF SUPPLEMENTAIRE ?
Faire le point sur les nouveaux enjeux des négociations 2021-2022 entre industriels et distributeurs de la grande distribution, tel est le but de cet article.
L’enjeu majeur est la nouvelle loi EGALIM 2 promulguée en octobre 2021 dans le prolongement d’EGALIM 1 qui a été un semi-échec.
Pour les consommateurs, spectateurs de ces négociations, les risques sont grands si elle ne s’applique pas correctement ou si de part et d’autre on cherche à la saboter : reprise forte de l’inflation (4 à 5% ?), réduction des assortiments, ruptures de stocks, promotions incohérentes, de l’offre Premiers Prix, etc …
EGALIM 1 avait mis l’accent sur le concept de ruissellement pour favoriser les agriculteurs.
EGALIM 2, comme on va le voir, pousse le bouchon beaucoup plus loin mais « à la française », c’est-à-dire dans une débauche de contraintes législatives et administratives qui, si les acteurs ne cherchent pas à l’interpréter de façon responsable, risque bien de déraper avec des conséquences négatives pour toutes les parties prenantes.
I) LE CHANGEMENT PRINCIPAL : LA LOI EGALIM 2
Dans la continuité d’EGALIM 1, dont l’efficacité sur les relations Industrie-Commerce et sur le fameux concept de ruissellement ont été plus que modérées (sauf dans le domaine du lait et du porc…), l’objectif d’EGALIM 2 est clairement de protéger la rémunération des agriculteurs et de trouver un meilleur équilibre de répartition des valeurs entre industriels et distributeurs.
Vous pourrez en juger, le système français a abouti à une loi extrêmement complexe, qui laisse des parts d’ombre encore importantes. Dans d’autres pays, comme le Royaume Uni, ces relations s’établissent de gré à gré dans l’intérêt d’un plan d’affaires optimisé …
Essayons d’expliciter cette loi en la simplifiant au maximum. Elle repose sur cinq concepts piliers :
- La transparence
- La sanctuarisation des coûts
- La non-discrimination
- L’individualisation des contreparties
- Les pénalités logistiques
- La transparence
L’objectif est de quantifier les variations de coûts des matières premières agricoles pour une décomposition de leurs composants dans les conditions générales de ventes.
Trois options sont possibles au choix du fournisseur :
Option 1 : Indication de la part des matières premières agricoles ou des produits transformés contenant plus de 50% de matières premières agricoles dans la composition des produits alimentaires en pourcentage de volume et au tarif du fournisseur.
Option 2 : Les pourcentages de matières premières agricoles et produits transformés de plus de 50% de matières premières agricoles apparaissent sous forme agrégée en pourcentage de volume de tarif.
Option 3 : Intervention d’un tiers indépendant chargé de certifier au terme de la négociation que l’évolution du tarif n’est pas portée sur l’évolution des matières premières agricoles (MPA) et des produits contenant plus de 50% de matières premières agricoles.
Cette troisième option est clairement plus novatrice mais pose un certain nombre de questions à résoudre rapidement : qui seront ces tiers de confiance ? Qui les valide ? Quelles modifications en cas de désaccord ? Un décret devrait apporter des précisions mais il n’est pas sorti à date … A mon avis, on s’oriente vers des tiers commissaires aux comptes ou médiateurs, mais ce point important est à clarifier.
2. Sanctuarisation des coûts
La négociation annuelle ne portera pas sur la part dans le tarif des MPA et produits transformés à plus de 50% de MPA et les contrats devront obligatoirement comporter une clause de révision automatique des prix en fonction de la variation du prix des MPA. Cette clause sera fixée librement par les parties sans plus de précision, ce qui promet des discussions à l’infini sur le sujet ! Un plus assez logique : les intrants type énergie, transport, emballage ont été réintroduits par l’Assemblée Nationale dans le champ des négociations.
3. L’interdiction de discriminer
La mise en place de mesures interdisant la discrimination entre enseignes, sauf échange d’une contrepartie proportionnelle constituant une condition particulière de ventes, permet de renforcer cette interdiction déjà présente.
4. Individualisation des contreparties
Une nette amélioration par rapport aux textes précédents et l’obligation de justifier la spécificité et la valeur de chaque contrepartie ligne à ligne alors que précédemment ces contreparties bénéficiaient très souvent d’un flou artistique ouvrant la porte à des négociations peu objectives…
5. Renforcement de la lutte contre les pénalités logistiques
Ce point était un véritable poison et une arme pour les distributeurs pour échapper au cadre des négociations générales et fonctionner comme une véritable « pompe à fric ». Dans cette loi, seules les situations ayant entrainé des ruptures de stocks peuvent donner lieu à des pénalités et elles doivent être proportionnelles au préjudice. Reste à voir les modalités de contrôle à mettre en place.
6. Quid des exemptions ?
Un décret paru plus tardivement précise un certain nombre d’exemptions sans préciser aucunement leur rationnel ! Lobbying, action des filières, action du monde agricole, décisions politiques ? Il serait très instructif d’en savoir plus. De nombreuses catégories alimentaires sont concernées : fruits, céréales brutes, farines, huiles (mais pas huile d’olive !), sel, compléments alimentaires, pratiquement toutes les boissons. Une liste à la Prévert qui réduit fortement le champ d’application de la loi et ouvre la porte à des négociations et des péréquations loin du maximum de transparence recherché !
II) QUELLES REACTIONS A CHAUD A CETTE LOI ?
Il est intéressant de comparer les réactions des différentes parties prenantes à la sortie de cette loi.
Quelques verbatims :
Michel Edouard Leclerc : « Cette loi qui est devant nous est le résultat de notre inorganisation »
Virginie Beaumanoir, DG de la DGCCRF : « Il ne suffit pas de mesures législatives. L’idée c’est aussi de donner un nouveau sens à la négociation, à la souveraineté alimentaire que tout le monde appelle de ses vœux »
Hervé, Directeur Marchandise Casino : « Il ne faudrait pas que la complexité du texte EGALIM 2 se retourne contre l’objet initial de la loi »
Jean-Philippe André, Président de l’ANIA : « Soyons optimistes car nous allons parler de transparence. Mais il faut Bac +15 pour domestiquer cette loi »
Richard Panquiaut, DG de l’ILEC : « Il faut que nous soyons plus transparents et pédagogues »
Des réactions diverses mais qui montrent que si la volonté de départ est perçue positivement, il subsiste une forte inquiétude quant à la complexité et aux modalités d’application de cette loi.
III) UN AUTRE ENJEU : L’INFLATION
L’inflation s’introduit cette année dans l’équation. En effet, elle a été très faible les années précédentes. Cette inflation est encore invisible en 2021 (à fin octobre), puisque IRI annonce sur les produits de grande consommation une baisse de prix de 0,49% avec une différence entre grandes marques (-0,6%) et marques distributeurs (-0,26%). Ceci est essentiellement lié à la poursuite de la guerre des prix sur les marques qui entraîne une certaine péréquation sur les marques distributeurs. Mais l’inflation se situe aujourd’hui en amont : matières premières, logistique, emballages … Elle n’a pas pu être répercutée en 2021 et la répercussion est un enjeu majeur pour les industriels pour ne pas écraser les marges et mettre en péril innovation, investissements et emplois à terme.
Une inflation sur les produits alimentaires de 4 à 5 % est probable dans les mois à venir.
IV) RSE ET DEVELOPPEMENT DURABLE
On peut regretter qu’aucun mot ne soit intégré dans la loi sur cette thématique majeure. C’est en plus un domaine sur lequel industriels et distributeurs peuvent trouver des chantiers communs : emballages, logistique, recyclage, gaspillage, provenance des produits. Ces projets gagnant-gagnant mériteraient d’être plus intégrés dans les négociations à venir.
CONCLUSION
Une nouvelle donne pour les négociations 2021-2022 : on est arrivé au bout du processus de règlementation pour renforcer l’encadrement.
La vraie question : le législateur est-il allé trop loin, tout en laissant des zones d’ombre qui vont pervertir les bonnes volontés initiales, ou bien les parties prenantes vont-elles se responsabiliser (avec l’aide de tiers éventuels) pour essayer enfin d’améliorer l’équilibre entre industriels, distributeurs et… consommateurs ?
Vivement le 1er mars, date légale de la fin des négociations, pour en tirer les premières conclusions !