Publicité et réseaux sociaux : conseil de l’éthique publicitaire (CEP)

Les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie n’ont cessé de se développer de façon très importante à travers le monde depuis leur apparition. Le premier fut Facebook en 2003, suivi par de nombreux concurrents et compléments comme You Tube, Instagram, Twitter, FB Messenger, LinkedIn, Snapchat, What’sApp, etc.

Un Enjeu majeur pour les annonceurs

On compte aujourd’hui 4 milliards d’internautes à l’échelle mondiale, dont 3.2 sont actifs sur les réseaux sociaux. En France, sur les 57 millions d’internautes, 38 sont inscrits sur les réseaux sociaux et messageries et y passent en moyenne plus de 1h20 par jour ! (Source : Étude Web Index 2017). Un tel «rassemblement » de consommateurs ne pouvait évidemment que mobiliser les annonceurs et leurs conseils pour leur communication publicitaire, la promotion et même la commercialisation de leurs produits et services. Et de fait depuis 2016, la publicité en ligne (dont réseaux sociaux et plateformes de messagerie) est devenue en France le premier media investi par les annonceurs avec un montant total de plus de 4 milliards d’Euros, soit 34% de leurs investissements médias totaux, le second étant la Télévision à 27%. Sur ce total, les réseaux sociaux et messageries pèsent pour environ 1.1 milliard d’Euros (vs 2 milliards pour le Search, principalement le moteur de Google), loin devant d’autres médias « historiques » comme la radio ou l’affichage. La dynamique de ce nouveau moyen de communication, particulièrement adopté par les jeunes générations, les « Millenials », devrait se poursuivre dans le futur, sauf impact majeur, peu probable, d’un retournement de l’opinion publique à la suite d’affaires comme celle récente de Facebook (Cambridge Analytica). Pour illustrer cette tendance, rappelons qu’aux USA en 2005, 7% des jeunes étaient actifs sur les réseaux sociaux, ils seraient 96% en 2016…! Présents, selon certaines études, 6 heures par jour…! Ce qui est maintenant considéré, (à juste titre !) par les Autorités comme un vrai problème de santé publique !

La publicité sur les réseaux sociaux, un mécanisme complexe

Deux mécanismes s’enchainent, qui « optimisent » la puissance et l’efficacité de la communication publicitaire sur les réseaux sociaux et les plateformes de messagerie :

  • Des cibles sont identifiées (groupes, communautés actives sur les réseaux) correspondant aux profils (types de personnalité, centres d’intérêt, etc.) recherchés par chaque annonceur pour leur adresser des messages « pertinents », censés être adaptés à leurs attentes.
  • Chaque internaute « récepteur » du message publicitaire, quel que soit sa forme peut devenir un « réémetteur » vers sa communauté de contacts (« amis ») en portant un jugement (« j’aime » « je recommande », « je n’aime pas », etc…) sur le message ou la proposition commerciale reçus, en le partageant avec sa communauté. Forme moderne et exacerbée du traditionnel et simple « bouche à oreille », cette initiative de chaque internaute démultiplie la puissance de la campagne de l’annonceur. Ainsi, 2/3 des contenus de marque sur les réseaux sont produits par les consommateurs eux-mêmes ! (Source : Accenture).

Comment ҫa marche… ?

Pour le premier mécanisme, à partir des cibles définies par l’annonceur, son Agence procède a leur « repérage » sur les réseaux sociaux et les plateformes de messageries. En fait, ce sont ces dernières qui sont largement privilégiées dans cette « exploration » car 84% des « conversations » et interactions entre internautes , donc des réémissions et partages de messages publicitaires, se font à partir d’ elles et non à partir des réseaux publics. Ce chiffre n’était que de 69% il y a 2 ans, il y a donc un transfert, surtout de la part des jeunes, du « public » vers le « privé », donc vers les plateformes comme FB Messenger, Skype, What’sApp, etc., les groupes privés et fermés de Facebook, et même les mails et les SMS. C’est ce que les professionnels appellent le « Dark social » (la définition qu’ils en donnent étant : tout ce qui est partagé de façon privée).

Les annonceurs sont donc obligés d’être actifs en priorité sur ces plateformes du « Dark social », pourtant plus difficiles à « pénétrer » puisqu’il s’agit (en principe, ! !) d’échanges privés entre internautes….

Le « repérage » des cibles est réalisé par des agences dont c’est la spécialité : elles procèdent à ce qu’elles appellent un « ratissage » des conversations sur les différents réseaux sociaux avec des outils automatiques dont les résultats sont ensuite étudiés par des analystes. L’objectif est de sélectionner les caractéristiques et centres d’intérêt communs aux cibles visées qui vont servir de bases à l’élaboration de messages pertinents appelés à être partagés par les internautes « récepteurs » avec leur communauté. Sur cette base, l’annonceur achète auprès des plateformes des fichiers de profils comparables et cohérents, en principe sans identification personnelle… Il est alors procédé à un envoi automatisé des messages, qui fait le plus souvent appel à des robots.

Dans le deuxième mécanisme, tout l’enjeu pour la marque est d’émettre des messages suffisamment convaincants et engageants pour que l’internaute ait envie d’entamer une « conversation » avec sa communauté et ainsi propager la campagne de l’annonceur. Très souvent, les annonceurs ont recours à un ou des internautes « influenceurs » qui collaborent le plus souvent de façon contractuelle, contrôlée et rémunérée, avec la marque. Un internaute sur trois suivrait un influenceur ! (Source : Accenture) La compréhension du comportement de l’internaute, des ressorts psychologiques qui l’animent, est évidemment clé pour élaborer des contenus et formes de messages engageants et incitatifs. Lui donner un rôle valorisant au sein de sa communauté, est surement un des leviers déterminants pour déclencher une large propagation des messages… Ce sujet qui relève de la psychologie et de la sociologie mériterait surement une analyse approfondie…

Quelle éthique pour ce nouveau mode de communication ?

Les réseaux sociaux ne sont pas un media à part ! La publicité doit y être loyale, sincère et responsable, comme sur tous les autre medias ! Les acteurs, annonceurs, agences, opérateurs doivent donc se soumettre strictement à toutes les règles générales de l’autorégulation publicitaire élaborées, mises en œuvre et régulièrement mises à jour par les professionnels (c’est à dire eux-mêmes) au sein de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité). On pourrait ajouter que ces règles devraient en l’occurrence aussi être portées à la connaissance des internautes, devenus des réémetteurs de contenus publicitaires… Mais bien sur la spécificité de la publicité sur les réseaux et messageries impose des obligations renforcées, notamment en termes de transparence sur l’origine des messages, l’identification des émetteurs qu’ils soient directement les annonceurs ou les influenceurs (ou blogueurs, vlogueurs…) auxquels ils sont liés. Ces derniers sont en quelque sorte leurs collaborateurs, qui doivent agir sous leur responsabilité. Les dispositions adoptées en 2017 par les membres de l’ARPP en addition à la Recommandation Communication Publicitaire Digitale vont bien dans ce sens, avec les mentions explicites recommandées comme « En partenariat avec, Sponsorisé par, Suggéré par, etc.» mais dont on peut se demander quelle est la compréhension réelle qu’en a aujourd’hui le public. Une autre obligation majeure s’impose tout particulièrement à toutes les plateformes, elle concerne leur utilisation des données personnelles recueillies auprès des internautes et qui servent à constituer les cibles procurées aux annonceurs. La question est bien sur crument mise en lumière à l’occasion de l’affaire Facebook. Malgré toutes les affirmations rassurantes et dénégations de la part des plateformes, on ne peut que s’inquiéter des risques de défaillance dans le domaine de la protection des données personnelles et le respect de la vie privée. C’est particulièrement criant pour le « Dark social » ou la publicité n’est ni plus ni moins une immixtion, une intrusion dans des conversations en principe privées… Les professionnels, annonceurs et agences, se veulent certes rassurants, argumentant que, par construction, les cibles utilisées sont « anonymisées »…

À ce titre d’ailleurs, les agences disent estimer que le RGPD , règlement européen entré en vigueur depuis le 25 mai 2018 et la future réglementation sur le respect de la vie privée (règlement E-Privacy) n’auront aucun impact sur leurs stratégies sur les réseaux et messageries. On peut légitimement s’interroger et s’inquiéter de ces affirmations si péremptoires et il sera impératif, notamment pour la CNIL, de surveiller de près la réalité de l’utilisation des données personnelles… !

Quelques réflexions sur la spécificité de la publicité réseaux et son avenir

On compare à juste titre les réseaux sociaux à un gigantesque « Café du commerce », où on s’informe, on échange, on influence. Ce n’est pas faux, mais il existe une énorme différence, les participants en ligne le plus souvent ne se connaissent pas vraiment, ne se rencontrent pas, ne peuvent s’apprécier, et ne peuvent donc évaluer la confiance qu’ils peuvent s’accorder mutuellement.

C’est un risque majeur pour les marques qui ainsi communiquent (ou plutôt sont » »communiquées ») de façon indirecte et en quelque sorte masquée, c’est leur capital de confiance, leur réputation qui sont ainsi mises en jeu par les internautes. Les marques ne peuvent donc être que très vigilantes à cet égard. La publicité sur les réseaux sociaux se veut pertinente parce que chacun reçoit un message adapté à sa personnalité et donc théoriquement à ses attentes, mais « à force » ne devient-elle pas impertinente, pénétrant l’intimité de la vie de l’internaute y compris dans ses conversations privées et finalement par « effet boomerang », ressentie comme trop intrusive et indiscrète. Il y a là fondamentalement un risque à terme pour les annonceurs de susciter progressivement une méfiance, les internautes réalisant peu à peu que la publicité est devenue particulièrement insidieuse et une explosion du taux d’ « adblocking » (selon Accenture, seulement 27% des consommateurs disent aujourd’hui être influencés par la publicité dans leur comportement, alors qu’ils étaient 50% il y a quelques années. On pourrait bien assister à un retournement de cette tendance… !).

Enfin, ne faut-il pas souligner, à l’attention des annonceurs et de leurs conseils à quel point les réseaux sociaux sont en fait un espace de créativité restreint ! En effet, la publicité en général se veut séduisante pour convaincre, veut établir un lien de confiance et de proximité, être une mise en scène et même un spectacle, faire rêver, porter de l’émotion. Sur un espace physiquement plutôt restreint et avec des messages forcément courts, les réseaux sociaux ne se prêtent pas à ces qualités et ne sont pas le meilleur moyen d’expression du talent et de la valeur ajoutée des créatifs d’agence qui sont le cœur du métier de la publicité. De chaleureuse, vivante, éventuellement au second degré et humoristique, la publicité, trop cantonnée à cet espace ne deviendrait-elle pas alors froide, déshumanisée et impersonnelle, une simple information brute et ciblée ? Si les réseaux sociaux et autres plateformes devaient devenir le media dominant, on irait probablement vers un appauvrissement général de la publicité, de sa reconnaissance, de son acceptation par le public et finalement de son efficacité pour les marques, en particulier pour construire à long terme un capital d’image et de réputation. C’est toute la chance et la probabilité de « survie » des medias dits « classiques et traditionnels » qui pour toutes ces raisons ne pourront que garder toute leur place et leur rôle.

Les recommandations du CEP

En l’occurrence, l’objectif doit être de protéger les internautes tout en préservant et en facilitant la liberté de communiquer des marques par des campagnes de publicité efficaces et de qualité, l’atteinte de ce double objectif devrait contribuer à défendre, ou même améliorer, l’image et la reconnaissance du rôle et de l’utilité sociale et économique de la publicité par l’opinion publique.

LES PLATEFORMES, RESEAUX ET MESSAGERIES : Elles doivent mettre en œuvre une vraie protection des données personnelles pour en garantir la totale confidentialité et une politique de respect de la vie privée. Elles doivent ainsi s’inscrire dans le cadre des nouvelles règlementations européennes en la matière, elles doivent considérablement améliorer pour l’internaute sa facilité d’accès aux différentes fonctionnalités concernant la confidentialité et l’utilisation de ses données personnelles. Elles doivent ainsi lui en donner le contrôle, y compris la faculté de refuser toute utilisation. A cet égard, notons qu’une des grandes plateformes (Facebook) a déjà, dès fin avril 2018, pris des dispositions qui vont dans ce sens. Concernant les contenus publicitaires qu’elles émettent, elles doivent veiller au respect de l’ensemble des Recommandations de l’ARPP et être vigilantes sur les contextes éditoriaux dans lesquels sont insérés les messages. On se souvient par exemple du retrait en 2017 de You Tube de grands annonceurs mondiaux comme Unilever, Mars, Adidas, Cadbury, etc… : Ils avaient découvert la proximité de leurs messages avec un contexte inapproprié, extrêmement dévalorisant, en fait inacceptable. D’ailleurs, une récente étude IFOP en France indique que 58% des annonceurs considèrent que les réseaux sociaux ne sont pas un environnement sûr pour les marques.

LES ANNONCEURS, LES AGENCES, LES INFLUENCEURS : Bien sûr, ils doivent aussi se conformer à toutes les Recommandations de l’ARPP et en particulier la Recommandation communication publicitaire digitale, complétée en 2017 par son volet « influenceurs », applicable quand leur communication est précisément qualifiable de publicité. Les annonceurs doivent être particulièrement vigilants et exigeants dans leur relation avec les influenceurs, de la sélection à la maitrise de leur activité qui doit se faire sous leur contrôle, sans oublier la chasse aux faux influenceurs… ! Quant à la Recommandation, les professionnels estiment qu’elle est parfaitement adaptée à leur problématique, tout en reconnaissant et regrettant que parmi eux un trop grand nombre ne la respecte pas encore correctement… Cependant, Il semble que, grâce aux efforts de leurs organisations professionnelles et de l’ARPP, la situation s’améliore progressivement. Comme suggéré plus haut (même si ce n’est pas vraiment le rôle du CEP ? !), on ne peut que recommander aux annonceurs et à leurs conseils de rechercher « le bon mix » pour leur communication entre les réseaux sociaux et les autres medias !

L’ARPP : Elle a mis en place un système de veille spécialement consacré à la publicité en ligne avec son « Observatoire des pratiques publicitaires digitales » qui s’avère particulièrement efficace pour repérer les dérives. Il faut bien sur le maintenir et le développer. Compte tenu de l’importance de l’enjeu, La possibilité d’un « Name and Shame » public (décidé par le Jury, à l’initiative de l’ARPP ?) est envisagée pour les dérives constatées en matière de publicité en ligne. Enfin, sous une forme à définir, l’ARPP pourrait prendre publiquement la parole à l’intention des internautes, donc de l’opinion publique, sur la publicité sur les réseaux sociaux pour souligner les précautions à prendre pour la juger, la partager et la propager sans risques auprès de leurs communautés. Une telle initiative, qui pourrait être une des missions du Fonds de Dotation de l’ARPP récemment créé, serait, outre son utilité pédagogique, une occasion exceptionnelle et originale de montrer la responsabilité sociétale des professionnels de la publicité et de développer la notoriété, la légitimité, et l’image de l’ARPP. Ce serait un geste très fort au service de la Société et de la Publicité !

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