La consommation connaît actuellement en France des hauts et des bas, entre confinements et déconfinements partiels.
En décembre 2020, le chiffre d’affaires dans les grandes surfaces alimentaires monte ainsi de +10,8%, après -9,8% en novembre. Et si le chiffre d’affaire en alimentaire au sens strict du terme varie peu : +1,7% après -2,3% sur ces deux mêmes mois, les variations sont bien plus fortes dans le non-alimentaire : +29,4% après -27,7%, compensation et décompression sans doute. Phénomène de plus longue portée peut-être, sur un an, le chiffre d’affaires total des supermarchés est stable (+0,1%) en 2020, contre une baisse de 3,3% pour les hypermarchés. Il y a donc à s’interroger sur l’ampleur d’éventuels rattrapages quand un semblant de retour à la normale se mettra en place et, aussi, sur des inflexions plus durables au détriment des très grandes surfaces, en faveur de supermarchés plus proches et d’autres modes de distribution : click and collect et surtout e-commerce. Comment tout ceci va-t-il évoluer, en fonction de quels nouveaux penchants, et lesquels pourraient s’incruster ?
En même temps, ceci expliquant en bonne partie cela, la confiance des ménages connaît elle aussi des hauts et des bas, selon l’Insee.
Par rapport à sa moyenne historique normée à 100, elle chute de 105 environ début 2020 à 91 au premier confinement, remonte un peu vers 95, puis rechute davantage au second, puis remonte à 95 en décembre, puis rechute à 92 en janvier 2021. Pour les ménages, « l’opportunité de faire des achats importants » est ainsi en nette baisse et celle d’épargner en très forte augmentation. Elle rejoint en décembre 2020 un niveau très près du haut historique de l’enquête. Mais, en même temps que les ménages jugent qu’il est « opportun d’épargner », ceci ne signifie pas qu’ils se font une idée positive du futur et épargnent pour s’équiper ou pour investir plus tard. Au contraire, ils sont majoritaires à penser que leur niveau de vie ne va pas s’améliorer et très majoritaires à craindre un rebond du chômage, rejoignant les pics de 2009 (crise des subprimes) et de 2013 (crise des dettes souveraines en zone euro). Ce n’est donc pas un regain inflationniste qui pèse, d’après l’enquête, sur cette morosité : c’est l’évolution modeste des salaires et plus encore celle, forte, d’un chômage anticipé.
Il n’est donc pas surprenant que l’épargne des ménages en France soit au plus haut, tout comme en zone euro d’ailleurs.
Les raisons liées au COVID-19 : confinement qui empêche la consommation de biens et plus encore de services, notamment tourisme, restaurants, cinémas et spectacles, s’ajoutent. Elles rejoignent les raisons « classiques » : vieillissement de la population, inquiétudes devant la montée de la dette publique et le risque d’une montée de l’impôt, plus les raisons politiques : tensions sociales nationales et mondiales (avec notamment « l’épisode Trump »), plus les raisons monétaires, avec la montée des inquiétudes sur le devenir de l’euro, salariales et sociales, plus les interrogations liées à la santé des entreprises et leurs effets en termes de progression des salaires et des politiques d’emploi. Quelle série !
Par ailleurs, le Focus du Conseil d’analyse économique n°54 de janvier 2021 a bien montré les compressions différenciées de la consommation qui viennent d’avoir lieu en fonction des niveaux de vie, donc les montées corrélatives de l’épargne et les possibilités de « décompression » quand les inquiétudes liées au COVID-19 se réduiraient. Ce sont ainsi les ménages aux revenus les plus modestes qui ont évidemment connu la contraction la plus faible de leur consommation et la hausse la plus modeste de leur épargne, tout simplement parce que leur consommation répond en large part à des besoins incompressibles. Le cas est symétrique pour les hauts revenus, avec une compression forte des dépenses d’hôtellerie, de voyages, de restaurants sous l’effet d’une contrainte physique. Plus les niveaux de revenus sont élevés, plus la part de services l’est, donc la part possible de compression.
Tout s’ajoute pour obscurcir le futur immédiat : problèmes et inquiétudes sanitaires, contraintes physiques des fermetures, problèmes économiques et sociaux sur les revenus et l’emploi, inquiétudes sur l’activité, bien plus que sur la dette et l’impôt dont on nous parle tant. Difficile, dans ce contexte de dessiner un futur, entre reprises rapides de la consommation « comme avant » et effets d’inquiétude économique et de prudence sanitaire qui pourraient durer, plus des effets de résonances écologiques ou comportementales propres à faire changer durablement les canaux de distribution.
Et arrive alors le e-commerce, qui vient de connaître une grande année, avec une accélération des mutations de comportements : on parle de quatre années gagnées par rapport à la tendance, avec des gains d’apprentissage informatique, dont une part devrait demeurer. On montre aussi que des commerces de tailles petites et moyennes ont créé ou développé leurs sites et se sont lancés dans des modes de distribution nouveaux. On lit partout que tous les distributeurs devront devenir plus agiles et réactifs, aller au-devant des nouveaux besoins, consolider les relations avec leurs clients. Des préoccupations sanitaires bien sûr, mais aussi sociétales (des proximités avec des producteurs identifiés) et environnementales (les plastiques entre autres) vont se développer partout, encore faudra-t-il les manifester, les personnaliser.
Mais rien ne réussira si les nouveaux commerces n’expliquent pas ce qui change et ce qu’ils vont faire, notamment sur les nouveaux prix qui vont monter si on produit plus près et plus sûr, face à des hausses de salaires qui seront la moitié de ce qu’elles étaient. Rien ne réussira surtout si on ne poursuit pas l’e-commercialisation des clients, avec plus d’informations sur les nouveaux produits et plus d’incitations, avec des tokens, des jetons inscrits sur le compte électronique du client qui pourront donner droit à des réductions mais peut-être aussi à d’autres prestations : séances de film, de yoga, chansons… sur ordinateur, ce nouveau canal à enrichir, la véritable inconnue du déconfinement.
Pour l’économie des tokens, voir Tectonique des monnaies, de janvier 2021 :
Professeur émérite de sciences économiques à l’Université Paris Panthéon Assas, Jean-Paul Betbeze est ancien chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA et membre du Cercle des économistes.