Ça bouge dans la grande et moyenne distribution. Comme toujours direz-vous ! Mais les habitudes nouvelles prises pendant la Covid-19 deviennent pérennes, la concentration des distributeurs dans 4 grands groupes mettent les autorités au bord des lois anti-trust, les prix baissent trop. Mais la réaction de la distribution pendant la pandémie a donné une bonne image de marque à ces commerçants. Voici à ce sujet l’analyse de Romain Nouffert.
Statut des relations Industrie/Commerce début 2020
Les relations Industrie/Commerce en France sont marquées par une formalisation juridique extrême par rapport à celle des autres pays européens. De très nombreuses lois ont jalonné l’histoire récente : Loi Royer, Loi Raffarin, Loi Galland, Loi Dutreil, Loi Chatel, Loi Hamon, Loi Macron, qui ont chacune tenté vainement d’établir un équilibre entre Distributeurs et Fabricants, en privilégiant alternativement l’une ou l’autre des parties puis en essayant de colmater les « trous dans la raquette » résiduels !
La plus récente, la Loi Egalim, cherchait à endiguer la guerre des prix et à remettre de l’oxygène au niveau des différents acteurs : amont agricole (théorie du ruissellement…), Distributeurs (relèvement du seuil de vente à perte de 10% à 15%), Fabricants (limitation des promotions avec notamment un taux plafonné à 34%), sans réel succès sauf pour la filière Lait.
Début 2020, le fait majeur est l’extrême concentration de la Grande Distribution. Il ne reste plus que quatre groupes : Envergure (Carrefour, Cora, U), Leclerc, Horizon (Casino, Auchan), Intermarché, auxquels il faut ajouter les deux Hard Discounters, en face d’environ 10000 Fabricants. Cette concentration a conduit à une forte dégradation des tarifs nets des Fabricants. Ce phénomène est encore amplifié par le développement des centrales internationales, fortement discutable et souvent source de revenus démesurés par rapport aux contreparties, avec pour conséquences une baisse des investissements industriels, de l‘innovation, de l’emploi, destructrice de valeur et fragilisant l’ensemble du secteur économique.
Impact du confinement
Globalement on peut dire que les efforts très importants des Distributeurs et des Fabricants ont limité les dégâts en termes d’approvisionnement des consommateurs et des magasins.
Les Fabricants ont privilégié en usine les produits essentiels, avec des normes sanitaires indispensables mais contraignantes et les Distributeurs ont réussi à maintenir un niveau de service satisfaisant au prix également d’investissements humains et financiers importants. Malheureusement les difficultés logistiques ont entraîné de nombreuses pénalités liées à l’application stricte des contrats, qui ont empoisonné les relations Industrie/Commerce et perdurent encore aujourd’hui.
Quelles tendances dans le futur ?
En termes de circuits
Certaines habitudes ont été prises durablement : installation accélérée du Drive, du numérique, voire de la promotique. La proximité va continuer à se développer, accompagnant le passage accru au télétravail. Espérons également que la valorisation du personnel des magasins, déjà bien engagée pendant le confinement, se poursuivra ! En ce qui concerne le local, un certain ralentissement se fait sentir : circuits encore balbutiants, prix élevés, distances aux points de ventes parfois longues… C’est pourtant une tendance de fond, et nos enseignes indépendantes (E.Leclerc, Intermarché, U) l’ont bien compris et intensifient les efforts pour éviter que cette tendance de fond ne leur échappe…
En termes de gammes et de marques
L’impact économique sur l’emploi et l’inquiétude installée vont privilégier la croissance des marques distributeurs et un retour aux promotions agressives. Le rapport qualité/prix devient la variable majeure, l’utile plutôt que le futile, et les innovations marginales encore trop présentes devraient quasiment disparaître. On voit également les communications des marques évoluer fortement en s’adaptant à la situation Covid et en intensifiant leur politique de RSE et de valeur donnée aux salariés des entreprises.
Nouveautés estivales et préparation des négociations 2021
Au début de l’été le député Besson Moreau a proposé une loi visant à rééquilibrer les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs. Elle s’inscrit dans le prolongement de la commission d’enquête dont il était le rapporteur en 2019.
Les principaux thèmes sont :
- Le renforcement de la négociation tarifaire : renforcement pour les producteurs des contrôles de leur tarif leur donnant la capacité de rétrocéder une partie de la valeur à l’amont agricole.
- Plus de transparence dans la négociation : prise en compte enfin du problème des accords internationaux qui passent pour l’instant sous le radar des autorités.
- La proportionnalité des pénalités logistiques, source de conflits comme indiqué précédemment.
- Les dispositifs entourant la Loi Egalim : ceci par le renforcement et la meilleure organisation des inter-professions et des filières agricoles ainsi que par la création d’indices publiés par l’INSEE qui permettraient de modifier les prix à la hausse comme à la baisse. Les modalités de ces indices posent de nombreuses questions…
- Le renforcement du contrôle a priori des alliances. Il s’agit, avant de pouvoir créer une alliance (type Envergure ou Horizon), d’obtenir l’aval de l’Autorité de la concurrence qui jusque là n’était consultée que pour information !
Cette proposition va dans le bon sens, dénote une bonne compréhension de la situation et a reçu un bon accueil des Parlementaires… Elle sera probablement discutée en décembre 2020.
La rentrée sera donc chaude en vue des négociations 2021 qui débutent comme vous le savez dès le mois d’octobre. Malgré la Covid, on peut déjà supposer que certaines thématiques vont être prioritaires : la guerre des prix, la négociation des tarifs, la politique promotionnelle, les accords internationaux… Les nouveautés 2021 vont tourner autour de la réduction des gammes, des pénalités logistiques, des indices de coûts et de l’anticipation de l’éventuelle Loi Besson Moreau.
Terminons sur une note positive : en 2020 on a vu l’émergence au niveau des négociations des éléments RSE, amélioration des emballages, traçabilité, supply chain, promotions, qui peuvent constituer une base commune pour les Industriels et les Distributeurs et permettre une amélioration de l’offre au profit également du consommateur.
Espérons que cette variable majeure sera intégrée en 2021, ce qui serait une preuve de maturité de tous les acteurs en présence !