Néolibéralisme et science économique

Cet article se propose d’examiner les liens entre un néolibéralisme dominant[1] – paradigme de référence aux Etats-Unis et en Europe en dépit de son invalidation théorique pour certaines de ses affirmations dogmatiques et de son inadéquation au monde réel – et la paix globale, bien public collectif universel. Un paradigme dominant de destruction profitable n’est pas obligatoirement légitime quand une de ses composantes, le militarisme, impose et stabilise les deux autres composantes de l’ordre néolibéral sous hégémonie américaine, à savoir la finance et le libre échange. Le rapport sur l’utilité des guerres rendu public par John Kenneth Galbraith mettait en avant la notion de guerre comme facteur de progrès et de cohésion sociale : « Le fait d’être toujours prêt à faire la guerre caractérise les systèmes sociaux contemporains d’une manière plus exacte que leurs structures économiques et politiques qui ne sont que des conséquences de ce caractère »[2] […] « La tendance à la guerre a déterminé les critères fondamentaux de valeur dans les arts de création et a fourni leur principale source aux mobiles qui ont conduit au progrès scientifique et technique »[3]. Dans les années soixante, selon cette étude menée aux Etats-Unis par des chercheurs et des stratèges militaires, le militarisme incluant la production d’armement en temps de paix, serait le seul système capable de stabiliser et de contrôler avec efficacité les économies. Pour ces raisons, la paix serait indésirable. Il ne serait pas dans l’intérêt de l’humanité de parvenir à la faire régner. Le militarisme permanent favoriserait la prospérité nationale[4].

Considérations théoriques sur le néolibéralisme et le militarisme

La théorie économique tente d’énoncer des lois permettant de mieux comprendre le fonctionnement micro- et macro-économique de notre monde, alors que la fonction de l’idéologie est de générer a priori des représentations politiques et de produire a posteriori des arguments simplistes pour justifier des politiques économiques. John Kenneth Galbraith estime que la distinction entre micro- et macro-économie est de plus en plus difficile à maintenir. Les faits « enlèvent une grande partie de sa signification à l’une des distinctions courantes en économie : celle qui l’on fait entre la micro-économie ou théorie des prix et du marché, et la macro-économie, ou théorie qui s’intéresse aux ensembles nationaux. Les prix comme la demande globale sont en fin de compte adaptés aux impératifs de la planification de la technostructure »[5].

L’économie politique s’intéresse aux lois fondamentales qui gouvernent les manifestations économiques des humains. « En économie politique, la théorie économique – c’est-à-dire la recherche ou l’explication des facteurs qui régissent les prix, la production et les revenus au niveau des individus, des entreprises et de l’économie dans son ensemble – constitue un premier secteur de spécialisation »[6].

Les thèses néolibérales sont dominantes dans les discours des hommes politiques néo-conservateurs européens et américains. Aux Etats-Unis, les fonctions politiques du militarisme méritent une attention toute particulière, non seulement pour la fonction externe de défense du pays, mais aussi notamment en ce qui concerne la fonction politique interne. La guerre a non seulement constitué un élément essentiel de l’existence des nations en tant qu’entités politiques indépendantes, mais elle a également été indispensable à la stabilité intérieure de leurs structures politiques. Sans elle, aucun gouvernement n’a jamais été capable de faire reconnaître sa « légitimité » ou son droit à diriger la société. La possibilité d’une guerre crée le sentiment de contrainte extérieure sans lequel aucun gouvernement ne peut conserver longtemps le pouvoir. L’organisation d’une société en vue de la possibilité de la guerre est la source principale de la stabilité…[7].

Les théories économiques comme les faits font l’objet d’interprétations. Mais les faits ne sont pas intelligibles en tant que tels : l’échec d’une politique économique peut être attribuée soit à des bases théoriques non validées, soit à des insuffisances dans sa mise en œuvre. « Les discours dans notre culture sont du vent avec lequel nous remplissons du vide »[8]. Les discours sont une sacralisation des apparences, la réintégration d’une illusion collective où le débat se limite par mimétisme à la reproduction des opinions les plus discourues et les plus attendues, la doxa. Le néolibéralisme n’est-il pas devenu la doctrine manipulationniste de la pensée politique simplifiée unique et uniformisée occidentale ? La logique de la simplification se manifeste par la réduction ou l’exclusion de la dimension sociale des rapports de l’homme au travail. Le néolibéralisme est une doctrine disjonctive qui rend impossible de penser la conjonction paradoxale entre des concepts économiques supposés antinomiques.

La théorie libérale est fondée sur le concept moral de justice, qui « se réfère à des règles morales très précises qui doivent être respectées dans le processus marchand lui-même »[9]. Ces règles sont la condition nécessaire à l’existence de relations individuelles bénéfiques pour tous. Leur respect implique la création de lois et d’un Etat de droit, sans lequel la liberté ne peut être garantie[10]. Le Keynésianisme et le néolibéralisme sont deux formes de libéralisme. Keynes pourrait être qualifié de libéral modéré. Interventionnisme et libéralisme sont parfaitement compatibles. Adam Smith était considéré par Keynes comme le précurseur de l’école classique. Pour Keynes, l’augmentation des dépenses est un moyen efficace pour relancer l’économie.

Le libéralisme reste toujours une pensée de l’émancipation : émancipation de l’individu par rapport au religieux et au social. Pour Tocqueville, dans un espace « vide et presque sans bornes » apparaît celui de la liberté : liberté métaphysique et liberté politique. La science économique est née, comme toutes les autres sciences, d’une émancipation vis-à-vis de la philosophie et de la morale. Elle s’est construite sur une idée de la scientificité par laquelle le monde pouvait aussi s’écrire et se représenter en langage mathématique.

L’économie doit aussi s’interroger sur sa finalité et ne pas trop restreindre son champ de vision pour expliciter la complexité de la réalité (économie éthique). En devenant une science, l’économie a expulsé l’homme de sa préoccupation. Le prix du marché d’une marchandise ou du travail ne traduit qu’un rapport de force. Le travail est transformé en une marchandise fragilisée par l’augmentation de l’offre destinée à faire diminuer son coût. Le PNB mondial est de plus en plus important, mais il existe de moins en moins de moyens pour financer le social. La dialectique entre capital et travail est toujours d’actualité. Le capitalisme, ne pouvant se passer des êtres humains, souhaite toujours rechercher plus de profit en rémunérant au strict minimum la classe laborieuse. L’ultralibéralisme dans sa marchandisation généralisée et son « fétichisme de la marchandise » (Karl Marx) poursuit sa politique de contraintes en opprimant le travail au profit des intérêts du capital. Le règne du capital a d’abord pour premier objectif de faire de l’argent avec de l’argent.

La division internationale du travail est de plus en plus développée car le coût du transport terrestre des marchandises n’est pas réel : non prise en compte du coût des infrastructures routières et des effets externes sur le changement climatique. La diminution des coûts apparents du transport ne permet pas une relocalisation de la production dans les pays développés. A l’époque des unificateurs mercantiles (Smith, Ricardo, Say…) le commerce n’était que marginal.

A contrario, la théorie néolibérale considère généralement l’économie et le politique comme des domaines indépendants mais avec le primat de l’économique. Pour Bernard Guerrien, une assimilation entre théorie néoclassique et théorie néolibérale est erronée, car le néolibéralisme tout comme le libéralisme ne peuvent pas constituer une théorie, mais en serait le résultat ou la conséquence[11]. Il y aurait une théorie néoclassique (et classique) et des politiques néolibérales (et libérales) dérivées de ces théories. Les politiques néolibérales sont une expression du pouvoir de la finance : c’est la prééminence des marchés monétaires et financiers. Par principe, le politique est considéré comme un obstacle au fonctionnement du marché.

Les arguments les plus divers sont mis en avant pour justifier les politiques néolibérales. L’économie néolibérale n’est qu’une version plus déshumanisée de l’économie néoclassique qui repose sur plusieurs hypothèses implicites ou explicites communément admises mais dont la pertinence peut être fortement controversée. « On peut dire d’une hypothèse qu’elle est confirmée simplement s’il ne s’est trouvé personne pour l’invalider »[12]. Les fondements théoriques et les concepts sous-jacents au néolibéralisme sont-ils toujours aussi pertinents ou ne sont-ils que des opinions mises en avant depuis un quart de siècle ?

Revisitons d’abord quelques unes de ces hypothèses fondamentales de la science économique et procédons si nécessaire par une invalidation graduelle de certaines d’entre-elles du décalogue suivant :

  1. Tous les consommateurs agissent égoïstement en vue de satisfaire leurs besoins
  2. Le consommateur est roi
  3. L’individu consommateur est inassouvi dans ses besoins
  4. Tous les consommateurs ont des préférences et peuvent les classer par ordre de priorité
  5. L’homme est naturellement agressif plutôt que coopératif
  6. L’homme doit souvent faire des choix et prendre des décisions
  7. L’homme recherche constamment l’optimisation de ses gains pour son bien être
  8. Plus un individu possède d’un bien, moins il en apprécie l’augmentation quantitative (loi de l’utilité marginale décroissante)
  9. Tous les individus cherchent à maximiser leur profit et leurs gains
  10.  Le droit à la propriété privée et à la sécurité

Les hypothèses (1) et (8) semblent acceptables en première analyse en référence au paradigme dominant individualiste et utilitariste. Cette conception du lien social considère comme sujet l’individu (et pas les groupes) et postule les comportements individuels comme nécessairement intéressés et égoïstes. Les sociétés de surconsommation de masse sont le lieu privilégié d’une explosion des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général et d’une affirmation croissante des revendications identitaires au détriment des valeurs universelles. Mais les autres présupposés doivent être remis en cause. Le consommateur est-il toujours souverain (2) quand il n’est que le dernier maillon de la chaîne marketing – production – distribution – consommation, sur laquelle il n’a qu’une faible emprise. Ce ne sont pas les consommateurs qui déterminent ce qui sera produit en fonction de leurs besoins intrinsèques, mais les marketeurs, les producteurs et les distributeurs qui créent le besoin et le produit. John Kenneth Galbraith a mis en avant cet aspect du capitalisme qu’il nomme la « filière inversée ». Il fait remarquer que grâce à la publicité les entreprises échappent aux lois du marché en créant une demande artificielle pour leurs produits et services. La publicité a pour premier objectif de créer tout simplement le besoin de consommer quand il n’existe pas. On ne peut que constater la contradiction fondamentale entre le pouvoir supposé du consommateur, développé par la théorie néoclassique en micro-économie (comportement des agents économiques individuels) et le pouvoir réel du producteur.

Si l’individu consommateur est insatiable dans ses besoins (3), cela signifie une forme d’illimitation du désir de consommation. Ce désir d’expansion illimitée est une forme d’aliénation qui ne permettrait pas de s’autolimiter individuellement et collectivement, conditions fondamentales pour bâtir une société libre. L’autolimitation individuelle et collective suppose une réflexion approfondie sur soi. Poser des limites, ce n’est pas interdire au sens répressif. « La liberté, c’est l’activité. Et c’est une activité qui en même temps s’autolimite, c’est-à-dire sait qu’elle peut tout faire mais qu’elle ne doit pas tout faire. C’est cela le grand problème, pour moi, de la démocratie et de l’individualisme »[13]. L’insatiabilité n’existait pas dans les sociétés primitives. Ce n’est donc pas du domaine de l’inné, mais un acquis de la société de surconsommation.

Il est reconnu que tous les consommateurs ont des préférences mais la plupart d’entre eux ne sont pas capables de classer leurs préférences par ordre de priorité (4). Le consommateur peut préférer un produit A à un produit B et un produit B à C, mais non A à C. La primauté du critère de prix par rapport au besoin, est trop souvent prise en compte pour justifier un choix. Les besoins objectifs des individus ne sont pas pris en compte dans les courbes d’indifférence, ce qui entraîne que celles-ci n’ont pratiquement aucun rapport avec les situations réelles. Et pourtant les fonctions d’utilité reposent sur les courbes d’indifférence.

Si l’homme est naturellement agressif plutôt que coopératif (5), c’est accepter la relativité de la distinction ami-ennemi et s’est se résigner à la généralisation du déchaînement des rivalités et de la violence relationnelle dans un contexte d’illimitation de la compétition entre les individus. C’est une absence d’autolimitation de l’homme dans son désir d’assujettissement de ses semblables et donc de son désir de pouvoir. « Notre individualisme est un mensonge, ce n’est pas une valeur, […] la recherche de l’autonomie et de la différence précipite les hommes dans le maelström de la violence »[14]. Seule la fraternité remet l’homme au centre des systèmes sociaux par une approche plus humaniste de l’économie. Toute vie en société exige un niveau élevé d’altruisme et de coopération.

L’homme a-t-il toujours la capacité de faire des choix libres et de prendre des décisions (6) dans un univers contraignant où les choix sont limités par de multiples contraintes (cognitives, affectives, organisationnelles et économiques) ? L’individu consommateur peut toujours rechercher la meilleure solution et la meilleure décision à tout problème mais il est incapable de l’optimiser. Sa liberté et son niveau d’information sont trop limités pour qu’il y parvienne. Dans un contexte de rationalité limitée, il décide de façon séquentielle et opte, pour chaque problème qu’il a à résoudre, pour la solution qui correspond à un seuil minimal de satisfaction[15].

L’homme en position de décideur chercherait constamment l’optimum de ses gains (7) et (9), mais dans la réalité opératoire il n’a pas cette possibilité : la solution optimum dans l’absolu est hors de sa portée. Il recherchera au mieux la solution la plus rationnelle. L’homme en position de décideur n’ayant pas une structure cognitive optimisante (optimizing), recherche d’abord la satisfaction (satisfying). Pour comprendre le choix d’une décision a posteriori, il faut d’abord définir les options a priori qui se présenteraient séquentiellement et analyser les critères utilisés consciemment ou inconsciemment pour refuser ou accepter ses options.

Cette forme de rationalité limitée rend mieux compte cognitivement de la réalité du choix. Ce qui est considéré comme strictement rationnel aux USA, est considéré comme relativement rationnel en Europe et ne le sera pas au Moyen Orient.

Le droit à la sécurité (10) s’impose comme la fonction régalienne par excellence (Homeland Defense aux USA). Le welfarestate ne suffit plus dans sa dimension socio-économique de satisfaction des besoins primaires (croissance, confort, éducation). A contrario, le besoin de sécurité s’impose comme primordial. La fonction de sécurité se traduit par la capacité de l’Etat à assurer ou non la sécurité des biens et des personnes.

Un deuxième groupe de critiques concerne les postulats explicitement formulés dans l’économie capitaliste ainsi que le cadre général dans lequel ce décalogue d’hypothèses comportementales est décrit. A l’origine du libéralisme, il y a les concepts de libre marché, de libre échange, et de liberté individuelle. Dès le XVIIIe siècle, Adam Smith, père du capitalisme et de la science économique, a introduit la thèse de l’efficience du mécanisme concurrentiel et soutenu que le marché était le mécanisme de régulation universel. Le libre marché, un des fondements du libéralisme, s’est transformé aujourd’hui en un marché totalement libre sans aucun contrôle. C’est la loi du plus puissant qui fait autorité. Le marché financier ultra libre n’a aucun égard pour les plus faibles. Il oriente notre société vers un darwinisme social : « Seuls les plus aptes survivent et méritent la survie ». La finance concentre un pouvoir devenu illimité et arbitraire dans quelques institutions internationales radicalement coupées de la société. Le peuple n’est plus souverain. Plusieurs secteurs de l’économie occidentale sont contrôlés directement ou indirectement par quelques entreprises transnationales, organisées en oligopoles mondiaux et en monopoles nationaux. Ces méga-entreprises se situent au dessus des Etats nations, opérant au niveau global (globalization). La principale caractéristique de l’économie néolibérale n’est plus la libre entreprise (polypole) mais bien la concentration (oligopole). Elles dictent aux Etats nations leurs politiques économiques et financières. Elles ont de fait une capacité d’influence et un pouvoir supérieur à chaque Etat nation. « Il s’agit d’une politique qui vise à conférer une emprise fatale aux forces économiques en les libérant de tout contrôle et de toute contrainte en même temps qu’à obtenir la soumission des gouvernements et des citoyens aux forces économiques et sociales ainsi libérées […] Tout ce que l’on décrit sous le nom à la fois descriptif et nominatif de « mondialisation » est l’effet non d’une fatalité économique mais d’une politique, consciente et délibérée, celle qui a conduit les gouvernements libéraux, ou même socio démocrates d’un ensemble de pays économiquement avancés à se déposséder du pouvoir de contrôler les forces économiques […] Il en va de même de ces grands organismes internationaux, comme l’OMC […] qui sont en mesure d’imposer, par les voies les plus diverses, juridiques notamment, leurs volontés aux Etats »[16]. Dans la phase contemporaine du capitalisme, qu’est le néolibéralisme, le libre marché n’existe plus. L’histoire montre que la main invisible seule n’a pas la possibilité d’ordonnancer le marché. Pour sauver le capitalisme, John Maynard Keynes a donc proposé des interventions étatiques comme mécanisme complémentaire de régulation du marché. Dans cet esprit, Franklin D. Roosevelt proposa le New Deal au peuple américain suite à la crise de 1929. Ceci démontre que le marché ne peut être économe et qu’il ne doit pas bénéficier d’un laisser faire généralisé.

Parmi les interventions étatiques, le Keynésianisme militaire est un moyen efficace de lutter contre les récessions. Les dépenses militaires, étant soumises à des décisions discrétionnaires de l’Etat, offrent un amortisseur permettant de compenser les contractions susceptibles de se produire dans le secteur privé. Cette fonction de compensation, complètement réalisée par les dépenses militaires, ne serait que partiellement remplie par les autres dépenses publiques, notamment les programmes sociaux, du fait que ces programmes deviennent normalement des activités régulières et ne sont plus dès lors sujets à un contrôle discrétionnaire.

Au-delà de sa fonction de « gaspillage », la guerre, explique ensuite ce rapport sur l’utilité des guerres, exerce un effet stimulant de premier plan sur les progrès industriels, sur la croissance du PNB, l’emploi, etc… . Elle agit comme « stimulant du métabolisme national ». […] « Aucun ensemble de techniques destinées à garder le contrôle de l’emploi, de la production et de la consommation n’a encore été essayé qui puisse être, de loin, comparable à son efficacité »[17]. Mais les pays pauvres dépensent proportionnellement plus pour l’armement que les pays riches. Une trop forte disproportion entre ses dépenses et la richesse nationale (modèle nord coréen) entraîne des mécontentements sociaux à l’intérieur et à l’extérieur un aventurisme politique déstabilisateur pour les autres Etats.

L’Etat doit donc intervenir par des politiques économiques et sociales adaptées en soutenant la demande pour corriger les imperfections du marché. A partir de 1969, l’Ecole monétariste de Chicago dont les théoriciens sont Friedrich von Hayek et Milton Friedman soutiennent la thèse que l’Etat doit se mettre complètement au service du capital financier. C’est l’avènement du néolibéralisme qui se caractérise par le passage du capitalisme industriel des Etats Nations au capitalisme financier globalisé qui échappe à tout contrôle des gouvernements représentatifs. George Stigler, économiste de l’école de Chicago, présentait toute forme de réglementation gouvernementale comme une marchandise achetée par des agents recherchant une protection contre la concurrence. Mais la Cour Suprême des Etats-Unis abandonna une réglementation anti-trust trop contraignante vis-à-vis des industries de défense. Le néolibéralisme avec son internationalisation du capital posait le problème de la concurrence au niveau mondial.

Aucune réglementation n’a été envisagée au plan mondial, car les grandes firmes américaines souhaitaient acquérir une taille suffisante pour rivaliser et être en position de domination par rapport aux entreprises européennes par exemple. Le dogme néolibéral de la mondialisation a été formulé en 1990 par l’économiste John Williamson, sous l’appellation du « consensus de Washington ». Il repose sur sept principes : discipline fiscale (équilibre budgétaire et baisse des prélèvements fiscaux) ; libéralisation commerciale (suppression des protections douanières) ; ouverture totale des économies à l’investissement direct ; privatisation de l’ensemble des entreprises ; dérégulation (élimination de tous les obstacles à la concurrence) ; protection totale des droits de propriété intellectuelle des multinationales. Et puis, progressivement la relation entre politique et marché est entrée en déséquilibre mondialement.

néolibéralisme
Détail d’une illustration de René Gaillard août 1944, 27 x 37 sur carton.

Le Néolibéralisme, c’est la concurrence imparfaite entre les producteurs, la mobilité des facteurs de production, la manipulation de l’idéal démocratique à travers une opinion publique modelée par les puissants de la finance mondiale. Ce nouveau dogme mondial magnifie les échanges falsifiés, les transactions financières illicites, le profit, le quantitatif, le rentable, le rapide, le consommable, le visible, le divertissement en lieu et place de la réflexion, la décroissance sociale, le capital contre le travail, pour tout dire l’objet au détriment du sujet. La récente crise financière aurait dû être une occasion unique de se désincarcérer du néolibéralisme dans lequel nous vivons encore, où le sujet citoyen s’efface progressivement au profit de l’homme comportemental formaté et où l’esprit s’incline devant l’imposture d’une pensée dominante pourtant invalidée par la science économique. Ne désespérons pas de bâtir un autre monde, sans cupidité inassouvissable et sans rapacité insatiable. Un monde, où l’esprit ne s’incline plus devant l’imposture néolibéral, amoral par nature.


[1] Néolibéralisme dominant : primauté de la double logique du tout marché et de l’Etat minimal.

[2] John Kenneth Galbraith, la paix indésirable ? Rapport sur l’utilité des guerres, Calmann-Lévy, Paris, 1968, pp. 165-166.

[3] Idem, p. 169.

[4] Idem, pp. 14 – 15.

[5] John Kenneth Galbraith, Le nouvel Etat industriel, Edition Gallimard, NRF 1968, p. 208.

[6] Idem, p. 406.

[7] John Kenneth Galbraith, la paix indésirable ?, op. cit., pp. 100 – 101

[8] John Kenneth Galbraith, extrait d’un discours prononcé à Washington, 18 juin 1984.

[9] Francisco Vergara, les erreurs et confusions de Louis Dumont, L’économie politique, n°11, 3ème trimestre 2001, p. 80.

[10] Eric Mulot, « Libéralisme et néolibéralisme : continuité ou rupture ? », Université de Paris I, 2003.

[11] Bernard Guerrien, La théorie économique néoclassique, Tome I : Microéconomie, La découverte, Paris, 1999, p. 5.

[12] F. Machlup, The Problem of Verification in Economics, Southern Economie Journal, n°22, 1955, p. 5.

[13] C. Castoriadis, Post-scriptum sur l’insignifiance, Paris, Editions de l’aube, 1998, p. 34-36.

[14] Jean Pierre Dupuy, L’économie : une éthique scientifique, 1979, p. 128.

[15] J.G. March et H.A. Simon, Organizations, Wiley, New York, 1958.

[16] Pierre Bourdieu, Contre la politique de dépolitisation, Contre feu II, Editions Raisons d’agir, Paris, 2001.

[17] John Kenneth Galbraith, La paix indésirable ? Rapport sur l’utilité des guerres, Calmann-Lévy, Paris, 1968, pp. 95-98.

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