L’alimentaire est un marché immense qui attire les convoitises d’Amazon qui dispose de bien des avantages pour progresser mais la concurrence ne sera peut-être pas d’accord pour se laisser prendre de part de marché.
Amazon le géant du commerce électronique — 233 milliards $ de chiffre d’affaires en 2018 — a compris que, pour renforcer sa position sur la scène du commerce mondial, il faut savoir conjuguer commerce électronique et commerce physique. Et pour ce faire, Jeff Bezos a jeté — entre autres secteurs — son dévolu sur le commerce de détail alimentaire, un immense marché de 830 milliards $ aux États-Unis en 2018.
Ce choix représente un défi considérable pour Amazon qui n’avait, jusqu’au début des années 2010, presqu’aucune expérience dans ce domaine, probablement l’un des plus difficiles pour le commerce électronique car peu d’Américains achètent des produits frais en ligne.
Pour rentrer sur le commerce physique alimentaire Amazon a procédé en trois temps.
Et de un : Amazon Go
Cette supérette « sans file d’attente et sans caisse de sortie » a permis à l’entreprise de Seattle d’appliquer des techniques qu’elle maîtrise de mieux en mieux : le traitement des données, la logistique automatisée et la robotique, la reconnaissance faciale, la détection du mouvement et l’intelligence artificielle. Début 2018, après avoir surmonté au cours d’une phase-test de plus d’un an, les difficultés techniques inhérentes à ce type de magasin révolutionnaire, l’enseigne Amazon Go passe du stade expérimental au stade opérationnel (voir les caractéristiques de ces magasins dans l’article « Le futur du commerce à travers l’expérience d’Amazon Go » sur le site internet de l’Académie des Sciences Commerciales). Ainsi, début 2019 Amazon Go dispose d’un parc de quatre magasins. Leur nombre passe à une dizaine en mars 2019. Pour le futur, les estimations varient selon les sources, mais il semble que l’objectif d’Amazon soit de disposer d’un parc de 2 000 à 3 000 points de vente à l’horizon 2021. Quel que soit le nombre définitif, et malgré un début d’internationalisation en Grande Bretagne, Amazon Go ne pourra représenter au plan mondial qu’une part de marché de quelques décimales, d’autant plus qu’il faut aussi tenir compte d’une concurrence émergente en Europe et en Chine. On se doute bien que ces quelques miettes du marché alimentaire sont totalement insuffisantes pour satisfaire les ambitions de Jeff Bezos.
Et de deux : Whole Foods Market
En juin 2017, le rachat par Amazon pour 13,7 milliards $ de l’entreprise Whole Foods Market, 470 supermarchés bio, fait la une de toute la presse des affaires. Whole Foods Market permet à Amazon de prendre son véritable envol sur le marché alimentaire et de faire jouer des synergies avec ses activités existantes (livraison de produits Whole Foods avec Amazon Prime, vente de produits Whole Foods sur de nombreux sites internet d’Amazon, utilisation d’Alexa pour le commerce vocal, etc.) Mais Whole Foods Market place aujourd’hui Amazon devant une alternative stratégique :
1) élargir la cible actuelle d’urbains-aisés, amateurs de produits bio de qualité, ce qui signifie baisser les prix et rechercher des emplacements pour de nouveaux magasins hors des zones urbaines traditionnelles
2) continuer sur la lancée actuelle de l’enseigne en utilisant les mêmes facteurs-clés de succès, sachant que, dans ce cas, la part de marché global du bio alimentaire, même s’il a le vent en poupe, sera limitée à terme à une dizaine de pour cent. Quelle que soit l’option choisie le développement de Whole Foods Market est un petit pas en avant pour devenir un acteur notable du commerce de détail alimentaire, mais toujours insuffisant pour nourrir une ambition mondiale. Selon une estimation de la banque d’investissement Cowen, Amazon Go + Whole Foods Market représenteraient aujourd’hui 4 % du commerce de détail alimentaire américain alors que la part de marché de Wal Mart est de 21%.
Et de trois : la rumeur monte
Au début 2019, le Wall Street Journal se fait l’écho de la volonté d’Amazon de créer une chaîne de supermarchés plus traditionnels. A priori, la taille moyenne de ceux-ci serait de l’ordre de 3 250 m², soit sensiblement moins que le supermarché médian américain (3 890 m²). La firme de Jeff Bezos compte ouvrir son premier magasin à Los Angeles vers la fin de l’année 2019. Elle a de plus engagé des négociations pour signer des baux en vue d’ouvrir des supermarchés dans deux autres villes en 2020. On ne sait pas encore à quoi ressembleront ces nouveaux magasins, ni quel nom ils porteront. Pour atteindre son objectif d’ouvertures dans des villes comme San Francisco, Seattle, Chicago, Washington DC et Philadelphie, Amazon envisage aussi de racheter de petites chaînes locales de supermarchés disposant au moins d’une douzaine de magasins. En vue d’ouvrir dans des centres commerciaux existants, Amazon négocie la liberté de vendre toutes sortes de produits, notamment de la parfumerie et des produits de beauté, ce qui est contraire aux usages de nombre d’entre eux qui proposent ces produits dans des boutiques spécialisées. Si Amazon veut devenir un acteur majeur de l’alimentaire mondial, il ne pourra le faire qu’en créant une chaine de magasins ou en faisant l’acquisition de petits et grands distributeurs alimentaires. Certaines rumeurs circulent même sur le rachat de Carrefour — après sa réorganisation en cours — par Amazon. Constituer un réseau de magasins prend du temps et coûte cher. Selon Morgan Stanley, la création d’un supermarché revient à 9 millions $ soit 18 milliards $ pour un réseau de 2 000 magasins, une taille raisonnable pour commencer à concurrencer les leaders du marché. Mais cette stratégie de croissance organique et/ou externe présente un double avantage :
1) proposer un assortiment différent et plus étendu de produits (marques nationales et marques de distributeur, notamment dans le domaine parfumerie, hygiène, beauté)
2) atteindre une clientèle différente, plus large et plus sensible au prix que les acheteurs de bio. Par ailleurs les principales chaines de supermarchés surfent actuellement sur une tendance lourde du comportement des consommateurs américains : commander en ligne et enlever en magasin. Pour répondre à cette demande, disposer d’un réseau dense est un avantage concurrentiel. Une raison de plus qui pousse Amazon à créer, aussi rapidement que possible, une chaine importante de supermarchés.
L’alimentaire en magasin est un défi pour Jeff Bezos qui espère ne pas être « la baleine blanche de Moby Dick ». Heureusement Amazon a plusieurs fers au feu. Ainsi en 2018, ses investissements, tous secteurs confondus, ont encore été de 1,65 milliard $.