Le commerce, cet inconnu des « élites » françaises

Le commerce en France (Insee Références, du 26 mars 2019) représente pour 2017, sous toutes ses formes, un emploi sur cinq et plus de 1.400 milliards €, et pas de ministre. Pourtant la consommation des ménages est considérée comme le moteur de l’économie depuis plusieurs années. Plus que l’investissement ! Paradoxal mais significatif.

Ce dernier trimestre 2020 a été triste pour le commerce

L’objectif était, devant la deuxième vague rapide de la pandémie de Covid-19, de casser les chaines de transmission. L’expérience de déconfinement de mai-juin aurait dû être prise en compte puisqu’elle fut un succès… pendant 3 mois. Dès le 30 octobre, les commerces de biens « non essentiels » ont dû fermer à nouveau. Chacun peut imaginer ce qui est essentiel chez soi en temps de confinement. Pitoyables ont été les commerçants devant bâcher de plastique noir les rayons dont les produits sont interdits de vente : ce rayon oui, ce rayon non, ce produit oui dans ce rayon non… Le ridicule ne tue pas les hauts fonctionnaires qui préparent les dossiers comme ceux qui ont géré les masques depuis la grippe H1N1. Les ministres changent ou n’existent pas ; eux restent. Le bon sens du commerçant est absent. Et ce n’est pas anecdotique.

Pour comble de cette sinistre période, le Premier Ministre avait même songé, en première sortie de confinement, d’autoriser les commerces « non essentiels » à réouvrir un peu le 1er décembre 2020 (oui : 30 octobre, 15 novembre, 1er décembre : c’est logique !). Un mardi, le meilleur jour de la semaine… surtout pour le mois de décembre qui pèse au moins deux mois d’activité, voire trois ou quatre. Décidément, le commerce est une inconnue pour bien des Français, à commencer par la tête de l’Etat et quelques personnalités médiatiques sans problème de revenu. Nous allons nous y pencher.

Couvrez ce commerce que je ne saurais voir

Le commerce est mal perçu en culture française. D’ailleurs Edouard Leclerc en 1949 crée un « centre distributeur » tant le mot « commerce » ou « commerçant » est mal accepté. Le commerce alimentaire moderne est devenu de la « distribution », mot inconnu dans les autres langues. Dans le dossier d’appel à idées du Grand Paris (2008), le mot commerce était absent, ou juste mentionné comme un pis-aller. Architectes, sociologues et urbanistes s’intéressent aux transports, aux logements, à la culture… mais pas aux commerces. Pourtant, par expérience, les villes nouvelles autour de Paris (Paul Delouvrier, 1965) n’ont réellement été acceptées que lorsqu’un centre commercial de très grande taille a ouvert et en est devenu le cœur. Autre exemple : l’Insee évalue le temps de sommeil, de repas, de transport, de travail, … mais pas le temps consacré aux achats.

Dans la culture française, le commerçant est un voleur

Pourtant, le commerce c’est la vie. C’est la vie d’un quartier, d’une rue, d’un village. 30% des communes qui ont perdu leur supérette ont connu des évènements « gilets jaunes », pour 8% de celles qui n’ont pas connu de fermeture. La province – pardon, on dit aujourd’hui les territoires – les territoires (la France silencieuse) ont besoin de supérettes. Le commerce, c’est la rencontre, l’entraide. Le commerce, même de trottoir, est souvent la plus simple manière de gagner sa vie pour quiconque comme pour un migrant. D’ailleurs, pour ouvrir la plupart des commerces, aucun diplôme n’est nécessaire. Il faut de la volonté, de l’observation, de la ténacité… et beaucoup de travail. Je ne vais pas citer des grandes fortunes nées du commerce et sans diplôme. Elles sont nombreuses… et ne connaissent pas les 35 heures.

Mais ces grandes fortunes, et d’autres qui ne peuvent pas avoir cette définition, ont pour la plupart eu du succès avec un magasin originel original et l’ont multiplié. Un commerce n’a du succès que s’il est original. Chacun sait que les trois frères Darty avaient un magasin de vêtements porte de Montreuil et l’ont agrandi en achetant le magasin voisin de télévisions de 25m² en 1957. C’était osé car l’investissement devait être lourd. Et changer de métier, c’est prendre un risque. D’ailleurs, même pour un commerçant, le principal risque est de ne pas prendre de risque. Le client change, donc le commerçant change. Ne pas changer, c’est mourir.

Le commerçant est à l’image de son client

Or le client a largement évolué depuis l’après-guerre. Le pouvoir d’achat a été multiplié par 3 entre 1960 et 2009, le temps de vie est passé pour l’homme de 67 ans en 1945 à 79 ans aujourd’hui et le temps de travail de 60% à 10%. Son foyer est passé de 3,3 personnes en 1960 à un peu plus de 2 personnes et il achète plus de services que de produits. Il faudrait ajouter qu’il est passé de la Mobylette à la voiture électrique, du téléphone fixe très rare au téléphone mobile personnel qui lui met internet dans la poche, qu’il se déplace plus souvent, plus loin et bien plus fréquemment en vacances, qu’il y a 3 millions de piscines personnelles en France, etc.

Sur cette période de plus de 70 ans, il faut insister également sur le rôle de l’automobile. Celle-ci a modifié les villes en les structurant autour d’axes routiers, de plus en plus éloignés de leur cœur et a favorisé, sur ces trente dernières années, un habitat passant en moyenne à 10 km de la ville à 30 km, les voitures étant de plus en plus confortables. Le développement des trains, TGV, tramways et métros a paradoxalement contribué à cet étalement urbain. Certains pays y prennent garde en interdisant la construction de nouveaux logements autour de ces axes. Au final, cet étalement, a renforcé un besoin de commerce de proximité.

Bref, tous les 10 ans au moins, le client est nouveau

Et le commerce a suivi. Le « tout sous le même toit » des années 60/70, est devenu « tout sur le même parking » dans les années 80, « tout dans la même zone » dans les années 90/2000 et « tout dans la même poche » depuis 2010, ou « tout sous le même doigt ». Car le client veut acheter plus, plus vite et dans un temps plus court à toute heure du jour ou de la nuit. Il a d’autres choses à faire que faire des achats, surtout des achats contraints !

Le temps est devenu un critère d’achat essentiel. Le nouveau consommateur achète vite dans un hard-discounter (Lidl, Aldi), ou avec le drive, ou encore avec le mobile qui est dans sa poche (commerce économiseur de temps), ou en bas de chez lui pour se dépanner, ou au contraire il prend son temps, pour assurer l’ensemble des courses du foyer, pour chercher un produit particulier, pour acheter moins mais mieux ou simplement pour passer un temps agréable (commerce capteur de temps).

Commerce et consommateur font bon ménage. Le premier s’adapte au second et réciproquement. La blouse grise du commerçant et son comptoir ont disparu sauf à être très chic. Le consommateur des Trente Glorieuses correspondait à un marché économique représenté en forme de bobine avec, au milieu, un moyen de gamme massif entre le haut et le bas de gamme important en valeur mais réduit en nombre. Or depuis vingt ans il est représenté en diabolo, avec un haut et un bas de gamme développés et un milieu de gamme se réduisant jusqu’à quasiment disparaitre.

L’accélération des dernières années

Depuis une vingtaine d’année, la vente par catalogue a été remplacée par la vente sur Internet, notamment depuis la diffusion du téléphone mobile. Vers 2010, le e-commerce a explosé jusqu’à représenter de 5 à 75% selon les produits. Les achats de services tels que déplacements (train, avion, hôtel) se font en ligne, au détriment des guichetiers et des agences de voyage. Même le marché du luxe, qui le refusait à l’origine, s’y est mis avec discernement mais persévérance. Les prospectus en papier tendent à disparaitre au profit de la communication par courriel ou par mobile. Certains commerçants ouvrent des sites Internet. Certains sites Internet ouvrent des commerces (« web to store »). La réussite n’est pas assurée, c’est toujours le consommateur qui décide.

Par ailleurs, ces dernières années, le pouvoir d’achat stagnant, le consommateur a contribué au développement du commerce de l’occasion, notamment en textile et sur Internet (comme le lituanien Vinted), voire de la location de vêtements, contribuant à l’effondrement de la vente de vêtements neufs en magasins. La vie de nombreuses chaînes de textile est en cause. Pour autant, le consommateur s’habille toujours.

Depuis quelques années, le commerçant préféré des consommateurs est soit Décathlon, Picard, Amazon ou Grand Frais : Décathlon pour la réponse qualité, prix et création correspondant aux besoins en sport, Picard pour son renouvellement permanent de produits, Amazon pour la largeur et la profondeur de son choix ainsi que son service client, Grand Frais pour le rapport qualité/prix constant de ses produits variés et de qualité. Pourtant Amazon n’a pas de magasin physique et, d’ailleurs, ne pourrait pas en avoir pour présenter tous ses produits. Mais le consommateur le considère comme un commerçant. Amazon ne vend que sur Internet en France ! Cela n’empêche pas des chaines de magasins physiques comme Action ou Gifi, voire Costco (aux Etats-Unis principalement) de se développer : à la différence du e-commerce, le consommateur ne vient pas pour chercher un produit mais pour le produit fou, la surprise qu’il devrait y trouver. Contrairement à ce que l’on entend ou lit, il n’y a pas que Amazon dans le commerce !

Pourquoi tant de haine ?

Black Friday 2019 a déclenché une haine féroce de certains et de politiques en particulier. En cinq ans, cette opération commerciale est devenue phare dans le commerce. Elle donne un nom à une période qui marque le lancement des achats de Noël, temps pendant lequel les magasins sont bondés et les ruptures de références fréquentes. Il faut acheter tôt le cadeau commandé au Père Noël. Pour prendre un exemple de cette haine, voici l’un des pires. Delphine Batho, députée et ancienne Ministre de l’environnement a obtenu en commission parlementaire un amendement à la loi antigaspillage pour que tout commerçant faisant une publicité avec le mot Black Friday soit passible d’un emprisonnement de deux ans (oui, deux ans de prison !) et d’une amende de 300.000€ au plus. En Assemblée, à partir du 9 décembre, l’amendement n’a sans doute pas été retenu. [En 2020, il a failli s’appeler Black Tuesday, ce sera Black Friday. En fait, les commerçants ont commencé leurs promotions la dernière semaine de novembre, comme chaque année]. Les députés ont pu constater en 2019 que les commerces étaient bloqués par les défilés contre la réforme des retraites et les Gilets jaunes (comme en 2018). Autant dire que les commerçants ayant fait le Black Friday et ceux qui vendaient sur Internet ont partiellement sauvé leurs ventes de décembre. Madame Batho n’a pas réitéré en 2020 sa demande de prison, elle a demandé un « Noël sans Amazon ».
Ici, la haine est double, d’une part contre la consommation actuelle, c’est un choix politique, d’autre part elle est exaspérée par l’importation de cette manifestation américaine par Amazon. En France, l’anti-américanisme est une drogue. Pourtant McDonald’s France est l’une des plus gros contributeurs à la marge de ce géant mondial. Pourquoi ne pas interdire toutes les manifestations commerciales d’origine américaine comme Noël (eh oui ! Avant 1950, ce n’était pas cette avalanche de cadeaux et c’était sans le Père Noël), la saint-Valentin (avant les années 80 et son développement en copie des américains, ce jour n’était pas fêté et on pouvait diner à deux au restaurant sans réserver le 14 février), et bien sûr Halloween (originellement le nouvel an gaulois). Et pourquoi pas ne plus manger de pizza italienne ou de couscous maghrébin ? Certains devraient admettre que nous ne vivons pas comme une tribu repliée sur elle-même. La richesse de la France est d’abord géographique, entre le continental et le méditerranéen, entre l’Est et l’Ouest.

La haine du commerce

Et puis il y a la haine de la « distribution », ces « faiseurs de fric qui tuent les petits commerçants » … Haine générale ? Non. Disons qu’il y a une opposition de certains médiatiquement bruyants à cette forme de commerce, et pourquoi pas ? Pour rappel, l’histoire du commerce moderne est résumée plus haut en quelques lignes, ainsi que l’évolution du consommateur pendant la même période. Il faut savoir que les distributeurs se battent entre eux, au bénéfice prix des consommateurs, parfois au détriment des industriels. Sauf en ex-Union Soviétique et dans ses pays soumis, le commerce est libre. Et comme dit plus haut, le commerçant doit savoir acheter et savoir vendre, or ces deux métiers sont en évolution permanente, savoir acheter devient souvent savoir faire fabriquer. Ne pas s’adapter c’est fermer boutique.

De même, on peut refuser d’acheter sur Internet, comme on peut ne pas acheter par catalogue, téléphone, feu Minitel ou un vendeur à domicile. Internet n’est qu’un moyen de vente. Il n’est surtout pas l’unique moyen de vendre. Et Amazon n’est pas le seul site de e-commerce : Fnac, CDiscount, Veepee (ex Venteprivée), E.Leclerc, La Redoute, etc. sont des créations françaises et sont juste derrière Amazon, ignorés par les contempteurs de cette forme de commerce. Certains sites français sont des succès mondiaux du e-commerce – des licornes valorisées au moins un milliard d’euros –, comme Manomano, Mirakl ou Blablacar. Juste quelques petits détails : Fnac Darty a comme premier actionnaire (24,3%) un groupe de distribution allemand…, Castorama est filiale d’un groupe de distribution anglais…, LeBonCoin est norvégien…, Habitat est né et s’est développé 28 ans depuis Londres… et quand on mange chez McDonald’s presque tous les produits sont à base d’ingrédients de l’agriculture française comme la viande, les pommes de terre et le pain.
Donc le commerce est plus complexe qu’il n’y parait…

Le commerce, cet inconnu

En fait, le commerce est mal connu. D’une part il est le fruit de commerçants qui ont… le sens du commerce, de l’écoute et de l’observation de l’Autre, d’autre part il est le fruit d’industriels voulant maitriser la vente de leurs produits, voire de commerçants devenus industriels et réciproquement. Puis les affaires grossissant (on a vite oublié celles qui ont disparu, le cimetière des enseignes est riche), les moyens financiers complémentaires ont été nécessaires où l’un a racheté l’autre parce que l’occasion était bonne de vendre, ou parce que l’âge de l’arrêt d’activité était venu, ou… Certes, il y a le petit commerçant du coin de la rue… Il évolue lui aussi. Il ne travaille plus comme il y a dix ans, voire comme il y a deux ans. Et en observant « sa » rue, un magasin change régulièrement et on oublie celui « qui était là avant… ».

Le commerce est un système complexe et changeant. La France a été créatrice du commerce moderne avec Au Bon Marché en 1838, l’hypermarché en 1963 (Carrefour), le drive de produits alimentaires en 2000 (Auchan, à moins que ce ne soit Chronodrive en 2004). Chaque création a eu ses opposants, poussés par des petits commerçants souvent jaloux et les concurrents. Lorsqu’en 1973 la loi Royer a voulu maitriser la création de grandes surfaces en France. La loi a plus contribué à développer les aberrations urbaines (l’hyper construit à 10 km de la ville, en accord ou en demande de communes, la piscine dans une trop petite commune) qu’elle n’a maitrisé le développement de la distribution moderne. Les lois se sont additionnées, les mètres carrés aussi, à tel point que l’autorisation d’ouverture d’une grande surface alimentaire, nécessite d’ouvrir de très nombreux commerces, des restaurants et cinémas, etc. Combien de centres commerciaux ouverts cette dernière décennie devraient tout simplement fermer. Rassurons-nous, les déficits sont comblés par les maisons mères. La profession ne s’en vante pas, chaque année depuis au moins 2010, des dizaines de milliers de mètres carrés de vente sont fermés.

Un commerçant doit gagner sa vie

En fait, un commerçant, petit ou grand, doit gagner sa vie. Si son magasin ne fonctionne pas, il le ferme. Ce qui pose un autre problème notamment pour les centres-villes, les locaux vacants, les grandes surfaces et les friches commerciales. Combien de commerçants français ont fermé ou vendu leurs magasins à l’étranger et il en est de même pour les étrangers en France (Marks & Spencer, C&A). Si l’ouverture nocturne et/ou du dimanche ne fonctionne pas, le magasin est fermé.

Prenons le commerce dans le sens inverse : les consommateurs disposent d’un certain budget, d’un pouvoir d’achat. Quelques-uns vont épargner, s’ils le peuvent, d’autres vont s’endetter, s’ils en ont besoin. Mais globalement, l’ensemble des consommateurs disposent d’un potentiel de dépenses. Le consommateur ne mangera pas plus, si les prix sont 10% plus bas ou s’il peut faire ses achats à minuit ; il n’achètera pas deux téléviseurs s’il n’en a besoin que d’un et ne partira pas en vacances s’il n‘en a pas le temps ou l’envie.

On ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif. Chacun connait l’anecdote : deux restaurants ont le même menu, on rentre dans l’un, pas dans l’autre. L’un tente, l’autre pas. C’est toute l’histoire du commerce.

Alors faut-il un moratoire sur l’ouverture de centres commerciaux ?

Nous l’avons mentionné, certains centres commerciaux ouverts ces dernières années n’auraient pas du ouvrir. Ou plutôt, les études de marché ont mal conclu sur la véritable clientèle de la zone, son offre commerciale existante et ses besoins. Certes, il arrive dans tous les domaines que des études de marché fassent des impairs. Mais la population française comme son pouvoir d’achat n’est pas figée. Le nord et l’est de la Seine perdent des habitants quand les côtes atlantiques et méditerranéennes en gagnent. Des centres villes se dépeuplent quand des villes de périphérie gagnent des habitants. La population française bouge et améliore son pouvoir d’achat, ou pas. Il y a des mètres carrés à fermer et d’autres à ouvrir.

Fin août 2020, le Premier ministre a adressé aux préfets une circulaire : « Il vous est […] demandé de faire usage des pouvoirs dont vous disposez en la matière pour lutter contre l’artificialisation des sols générée par les équipements commerciaux soumis à autorisation d’exploitation commerciale ». Cette circulaire fait suite à la Convention Citoyenne pour le Climat (la CCC) qui a pour mandat de « définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale ». La CCC recommande, dans sa proposition SL3.3, de « … prendre immédiatement des mesures coercitives pour stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines très consommatrices d’espace ». La CCC a pris soin de compléter par « … pour les zones commerciales et artisanales, prendre une mesure au niveau national d’interdiction de nouvelle surface artificialisée, sauf dans les zones où la densité de surface commerciale et artisanale par habitant est très inférieure à la moyenne départementale ». Vérifier cette densité est le rôle de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) dont l’origine remonte à la loi Royer et qui fait ce travail depuis 46 ans. Dont acte, rien de neuf. Sauf la mauvaise connaissance du commerce par le Premier Ministre ou plutôt par son Cabinet en l’absence d’un Ministre du Commerce ou ayant le commerce dans ses compétences car la circulaire va à l’encontre des lois en place et aucune urgence aussi soudaine la justifiait. Accessoirement, la création annuelle de centres commerciaux a été divisée par deux depuis une quinzaine d’années.

Décidément, le commerce a bon dos. Avant l’euro, il était responsable de l’inflation, aujourd’hui, il est responsable de l’artificialisation des sols !

Mais la Convention Citoyenne pour le Climat – dont on note que chacune des 150 propositions a été approuvée à 95% ce qui est pour le moins soit une conviction unique, soit une sélection « hasardeuse » et trop homogène des conventionnels – a oublié dans son travail la démonstration de la baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre et l’esprit de justice sociale. Protéger les terres arables, c’est nécessaire. Limiter les déplacements c’est nécessaire. Dans ce cadre, associé à la justice sociale, il aurait pu y avoir une idée simple inspirée par le créateur du Bon Marché, il y a 170 ans et ses successeurs de grands magasins comme de l’industrie : proposer au personnel de loger sur place, donc construire des logements sur les « caisses à savon » construites pour moitié avant 1980 et se situant aujourd’hui en zone urbaine… Dommage que l’histoire du commerce n’ait pas inspiré les conventionnels à moins qu’ils n’imaginent s’adresser aux commerçants que de manière « coercitive ».

On peut regretter que la thématique 3 de la CCC, se déplacer, n’imagine à un horizon de 10 ans qu’une modification des transports et déplacements alors que depuis plusieurs années, des évolutions technologiques laissent à penser que les transports vont être révolutionnés comme des transports autonomes (trains, bus, bateaux…). Des encouragements en ce sens auraient sans aucun doute fait chuter les émissions de gaz à effet de serre par personne transportée, conforté l’esprit de justice sociale et eu un impact profond sur le commerce en encourageant sa concentration géographique, notamment en centre-ville.

A armes égales

Le poujadisme (1953-1958) existe toujours, de droite comme de gauche : c’était mieux avant, surtout ne changeons rien ! Et en France, celui qui réussit est la cause de nos maux sauf à savoir cacher sa réussite : pour vivre heureux, vivons cachés. Il en est ainsi des industriels comme des commerçants. A force de cacher la réussite, celle-ci devient une jalousie, une honte… et la France nivelle par le bas. Exemples récents : nos deux prix Nobel (« Nobelles »), d’économie 2019, Esther Duflo, et de chimie 2020, Emmanuelle Charpentier, ne travaillent pas en France, les laboratoires de recherche n’ayant pas les budgets suffisants.
L’enseignement français perd son niveau d’excellence en mathématiques. Ne favorisons pas les bons éléments, nivelons par le bas. Celui qui crée commence par déranger. La reconnaissance du succès par les « autorités » est souvent post-mortem… Louis de Funes est plus grand mort que vivant.

Amazon est-il à armes égales ?

Revenons aux armes égales. Souvent, celui qui réussit est très proche de la ligne blanche car il sort de la pensée rassurante en silo, et parfois la mord en utilisant la fiscalité par exemple. Là, les poujadistes contemporains parlent d’évasion fiscale lorsque c’est de la fiscalité internationale ; en utilisant la Bourse qui spécule sur la réussite future. Là ils dénoncent le capitalisme, surtout s’il est international ! Le patron d’Amazon utilise la fiscalité internationale et la Bourse. Il n’est pas hors la loi. En fait, ce sont nous les Français, les champions des cumuls des lois, codes et normes (sans en supprimer) et d’impôts et taxes en tous genres qui avons une vingtaine d’années de retard, voire plus. Amazon utilise la fiscalité de l’entrepôt pour faire du commerce. D’ailleurs, peut-être que certains drive le font aussi… Or, les deux fiscalités (entrepôts et commerces) sont très différenciantes et plus favorables aux entrepôts : il y a inégalité. De plus, un entrepôt travaille 24h/24 7j/7. Pas un commerce.

Pour prendre le cas de la librairie, Amazon représenterait 10% des livres vendus en France. Fnac Montparnasse seule représentait à son ouverture (1974) 4% des livres français… Il sort 200 livres par jour (plus de 70.000 par an). Aucun libraire physique ne peut les présenter. Une grande Fnac doit avoir 40.000 livres en rayon. Amazon dit vendre pour 80% des livres de plus de deux ans d’âge. Les sites Amazon et Fnac sont concurrents et présentent des millions de livres. Les librairies physiques offrent pour l’essentiel un conseil sur la nouveauté et commande le livre manquant. Ce sont des métiers différents et il se vend chaque année 1% de livres en moins mais +1,6% en 2019 hors scolaire, et +20% entre mai et août 2020 ! Le confinement du printemps 2020 a fait vendre plus de livres ! Sans doute pour remplacer les spectacles culturels et le cinéma…

Le commerce demande à être à armes égales. Il est donc demandé d’aligner Amazon sur les lois du commerce surtout en le taxant comme les autres. Pour autant, la logique inverse est possible : rapprocher le commerce des avantages d’Amazon, ceux de l’entrepôt, tout en diminuant les avantages d’Amazon et en réduisant les taxes des commerçants. Un salarié d’Amazon induit un chiffre d’affaires d’environ 2 millions €, contre 300.000 € pour un salarié du commerce traditionnel. Il y a donc une autre différence que l’impôt et le temps de travail car, si c’était la seule, les commerces traditionnels auraient tous disparu depuis longtemps, en France comme aux Etats-Unis.

En effet, Il y a un autre point sur lequel Amazon n’est pas à armes égales avec les autres commerces. Amazon a en gros deux activités : le site de commerce et le Cloud (AWS) dont il est l’inventeur et le numéro un mondial. [Reconnaissons-là une forme de génie de Jeff Bezos, créateur d’Amazon et de AWS]. Et la marge du cloud (environ 30%) finance les déficits du e-commerce ainsi que les activités cinéma et vidéo. Ce n’est pas normal, ni en Europe, ni aux Etats-Unis. Dans le e-commerce, Amazon a trois activités : 1. la vente et la livraison de produits qu’Amazon achète, 2. la place de marché qui représente en France 58% de son activité et dont les commerçants paient très chers les services (référencement sur le site, livraison, qualité de service, réputation), 3. Amazon est comme un grand centre commercial dans lequel des annonceurs font de la publicité. La loi américaine anti-trust, comme la loi européenne, travaille au démantèlement d’Amazon. Il n’est pas certain que cela se fasse, ce peut être dans plusieurs années. Si cela se fait, il sera temps alors de lutter contre le chinois Alibaba dont il n’est pas du tout certain qu’il soit moins puissant qu’Amazon. Amazon, c’était le bon temps… dirons-nous ?

Pour dire les choses plus brutalement, les politiques, les médias généraux, l’Administration ont deux décennies de retard, au moins. Ils vivent dans le passé, rarement dans le présent, n’imaginent pas le futur. Le consommateur achète soit dans un point de vente, soit par un point d’achat (l’ordinateur ou le téléphone mobile) et cela peut être au même commerçant (ou industriel). Par ailleurs, il a la possibilité de récupérer ses achats dans un magasin ou de les faire livrer soit au coin de sa rue, soit chez lui. Qui plus est, les produits achetés sont expédiés d’on ne sait d’où (d’Italie ou de Corée).

Comment mettre toutes ces solutions à armes égales ? C’est la question à résoudre. Inutile d’interdire Noël…

Pour conclure provisoirement sur ce vaste sujet

Juste pour conclure, le consommateur n’est pas un exemple de fidélité. Entre mars et mai 2020, lors du confinement 1, le consommateur et bien des médias ont loué les producteurs de produits alimentaires qui livraient directement les consommateurs confinés, de la ferme à la fourchette : manger sain, voire bio et sans intermédiaire ! Il n’y a que cela de vrai. Lors du déconfinement, les producteurs n’ont eu que leurs yeux pour pleurer. Les consommateurs avaient repris leurs habitudes de faire leurs achats en grandes surfaces. Oh bien sûr, quelques bobos de grandes villes ne l’ont pas fait. Ils ne le faisaient pas avant, et malgré les « coronapistes », aller en grandes surfaces en vélo, ça fait loin…

En fait, le consommateur comme le commerce est d’une variété extraordinaire. Le consommateur est imaginatif, le commerçant aussi. Et comme nous l’expliquions au début, le commerce est un espoir pour toute personne ayant un tant soit peu d’initiative. Hier les loueurs de télévision puis de vidéo étaient légion. Aujourd’hui ce sont les réparateurs de téléphones mobiles ou la restauration avec salle ou sur rue. Hier vous ne trouviez plus un brodeur de mouchoir, aujourd’hui par Internet vous faites broder votre nom sur tout ce que vous voulez même à deux heures du matin et vous pouvez le faire livrer où que ce soit.
Le commerce est une matière vivante. Il évolue au jour le jour, comme le consommateur et le client. Même la météo influe sur son humeur. Commerce et client sont une rencontre de chaque moment dans un acte de commerce, chacun doit faire une affaire. Dernier point, l’usager n’est pas un client ; seule l’Administration a des usagers. L’Administration est un monopole. Le commerce est une liberté.

Je repars en plongée…

2 réflexions au sujet de “Le commerce, cet inconnu des « élites » françaises”

  1. Formidable synthèse.
    Ca fait du bien de pouvoir mettre ses idées en place et en perspective.
    Je vais diffuser son article à quelques amis ; pour certains cela leur fera comprendre un peu un monde qu’ils ignorent..
    Amitiés.

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    • Merci pour votre compliment.
      En effet, beaucoup de personnes ignorent le commerce parfois comme la prose de Monsieur Jourdain, parfois comme on rejette les “marchands du Temple”…
      Amitiés.

      Répondre

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